Naissance du mâle (1)

mina-fauster

Je m'appelle Pete. Pete Dawning. En vrai, je m'appelle Peter mais tout le monde m'appelle Pete. Je n'aime pas trop ce léger diminutif, mais on ne m'a jamais demandé mon avis. C'est marrant d'ailleurs, parce que mon frère Michael, on l'appelle Michael et pas Mike, un jour il a dit qu'il n'aimait pas trop Mike, et après personne ne l'a plus jamais appelé comme ça. C'est un peu rageant. Certains diraient qu'il ne faut pas se formaliser, alors je ne me formalise pas. Michael fait beaucoup de sport. Il est très musclé. Moi je n'arrive même pas à taper dans une balle, j'ai bien essayé mais tout le monde se moquait de moi, alors j'ai préféré arrêter. Je n'aime pas trop avoir l'air ridicule. Comme de nombreuses personnes, sans doute, sauf que j'ai remarqué qu'il y en a beaucoup qui arrivent à se trouver drôles et à rire d'elles-mêmes. J'avoue que je ne comprends pas du tout comment elles y parviennent. N'est-ce pas d'ailleurs un peu prétentieux, de se faire rire tout seul ? Je ne sais pas trop, il faudrait que je réfléchisse davantage à cette question. J'aimerais bien ressembler à Michael. Il est certes musclé, mais il est aussi très malin, il a de très bonnes notes, Papa et Maman sont fiers de lui, ils n'arrêtent pas de dire tout le temps : "Ah ce qu'on est fiers d'avoir un fils comme Michael !". J'aimerais bien leur rappeler qu'en vrai ils ont deux fils mais je n'ose trop rien dire, de toute façon on ne m'écoute jamais, c'est rageant. Michael a une petite copine, Stacy : évidemment, elle est blonde couleur de blé, évidemment elle est pom-pom girl, comme toutes les blondes couleur de blé du lycée (qui sont cela dit bien moins jolies), et évidemment elle est folle amoureuse de Michael. Franchement, ça aussi c'est rageant. Pourquoi aucune fille n'est-elle amoureuse de moi ? Quand je me regarde dans le miroir, je vois bien que je ressemble à Michael, c'est mon frère après tout, ce n'est pas parce que je ne fais pas de sport et que je ne suis pas musclé que je suis repoussant, non ? Il y a là aussi un mystère à élucider, il faudrait que j'y réfléchisse davantage. Dans sa chambre et dans le salon et dans plusieurs pièces de la maison, Michael collectionne toutes sortes de trophées qu'il a amassés au fil des années : quand il joue, il gagne, c'est indéniable. Ce qui m'étonne le plus, c'est que ça ne lui fait ni chaud ni froid, toutes ces belles récompenses. S'il accepte de les empiler de la sorte sur l'étagère du salon, c'est parce qu'il sait que ça fait sacrément plaisir à Papa et à Maman. Ils sont toujours tout excités de les montrer aux voisins quand ils passent prendre le thé et manger des gâteaux (comme s'ils ne pouvaient pas boire du thé et manger des gâteaux chez eux) ou boire un verre à l'heure de l'apéro (ils n'ont donc rien à boire chez eux ?). En ce qui me concerne, on n'a rien à montrer, j'ai même l'impression qu'il vaut mieux que je ne me montre pas trop moi-même car ça a l'air de les gêner plus qu'autre chose. Je ne parle pourtant pas, je ne dis strictement rien, alors j'ai vraiment du mal à saisir ce qui peut bien les mettre mal à l'aise. C'est rageant. Cette semaine, Michael est parti en camp de vacances. J'ai profité de son absence pour aller regarder un peu ses affaires, non pas pour fouiller, mais parce que j'étais curieux de savoir comment il organisait ses effets personnels. C'est assez intime, une organisation, mais l'observation des pratiques des autres peut toujours être utile à l'amélioration de sa propre technique. Moi, par exemple, j'ai tendance à me sentir mieux quand tout est rangé par ordre alphabétique. C'est plutôt pratique pour les bandes dessinées : il suffit de faire le choix entre le nom de l'auteur (plus facile que le prénom, qui n'est pas si varié) et celui de l'album. Pour d'autres objets en revanche, la tâche devient tout de suite plus complexe. Pour les animaux, ça va encore, on peut les ranger par nom d'usage, si on ne veut pas se compliquer la tâche avec leur appellation scientifique, le plus souvent d'origine latine. Là où ça devient plus compliqué, c'est pour les films : doit-on choisir le nom du réalisateur, de l'acteur principal, le courant esthétique dans lequel il s'inscrit, le procédé de narration ou la focalisation retenue ? Je m'en tiens pour ma part à l'année de sortie, parce que j'ai une bonne mémoire des dates et que ça me permet d'utiliser des étiquettes plus petites, même lorsqu'il faut ajouter le mois dans le cas de productions sorties la même année. Je n'ai pas encore été confronté au cas de figure où il me faudrait ajouter le jour, alors ça va. Enfin bref, tout ça pour dire qu'alors que je détaillais un peu l'organisation personnelle de Michael (du grand n'importe quoi, soit dit en passant), j'ai eu une idée de génie. J'ai enfilé des vêtements qui lui appartenaient, afin de pouvoir juger concrètement ce qui nous différenciait. Certes, je nageais dans le polo et dans le pantalon que j'avais choisis, j'ai dû serrer la ceinture bien fort autour de ma taille pour que ce dernier reste bien en place. Le résultat s'est toutefois avéré assez étonnant. Avec un peu de gel dans les cheveux, et en enlevant mes lunettes, on aurait pu me prendre pour Michael. Il faut admettre que je ne vois pas grand-chose sans ma monture, mais tout de même : mon reflet était saisissant. J'ai donc attendu que mes parents sortent dîner je ne sais où (il faudrait vraiment que je réfléchisse à cette lubie qu'ont les gens de manger et de boire en dehors de chez eux, c'est tout de même très déconcertant) et je me suis préparé pour aller me promener "en Michael". 

Naissance du mâle (partie 1)

Je m'appelle Pete. Pete Dawning. En vrai, je m'appelle Peter mais tout le monde m'appelle Pete. Je n'aime pas trop ce léger diminutif, mais on ne m'a jamais demandé mon avis. C'est marrant d'ailleurs, parce que mon frère Michael, on l'appelle Michael et pas Mike, un jour il a dit qu'il n'aimait pas trop Mike, et après personne ne l'a plus jamais appelé comme ça. C'est un peu rageant. Certains diraient qu'il ne faut pas se formaliser, alors je ne me formalise pas. 


Michael fait beaucoup de sport. Il est très musclé. Moi je n'arrive même pas à taper dans une balle, j'ai bien essayé mais tout le monde se moquait de moi, alors j'ai préféré arrêter. Je n'aime pas trop avoir l'air ridicule. Comme de nombreuses personnes, sans doute, sauf que j'ai remarqué qu'il y en a beaucoup qui arrivent à se trouver drôles et à rire d'elles-mêmes. J'avoue que je ne comprends pas du tout comment elles y parviennent. N'est-ce pas d'ailleurs un peu prétentieux, de se faire rire tout seul ? Je ne sais pas trop, il faudrait que je réfléchisse davantage à cette question. 


J'aimerais bien ressembler à Michael. Il est certes musclé, mais il est aussi très malin, il a de très bonnes notes, Papa et Maman sont fiers de lui, ils n'arrêtent pas de dire tout le temps : "Ah ce qu'on est fiers d'avoir un fils comme Michael !". J'aimerais bien leur rappeler qu'en vrai ils ont deux fils mais je n'ose trop rien dire, de toute façon on ne m'écoute jamais, c'est rageant. 


Michael a une petite copine, Stacy : évidemment, elle est blonde couleur de blé, évidemment elle est pom-pom girl, comme toutes les blondes couleur de blé du lycée (qui sont cela dit bien moins jolies), et évidemment elle est folle amoureuse de Michael. Franchement, ça aussi c'est rageant. Pourquoi aucune fille n'est-elle amoureuse de moi ? Quand je me regarde dans le miroir, je vois bien que je ressemble à Michael, c'est mon frère après tout, ce n'est pas parce que je ne fais pas de sport et que je ne suis pas musclé que je suis repoussant, non ? Il y a là aussi un mystère à élucider, il faudrait que j'y réfléchisse davantage. 


Dans sa chambre et dans le salon et dans plusieurs pièces de la maison, Michael collectionne toutes sortes de trophées qu'il a amassés au fil des années : quand il joue, il gagne, c'est indéniable. Ce qui m'étonne le plus, c'est que ça ne lui fait ni chaud ni froid, toutes ces belles récompenses. S'il accepte de les empiler de la sorte sur l'étagère du salon, c'est parce qu'il sait que ça fait sacrément plaisir à Papa et à Maman. Ils sont toujours tout excités de les montrer aux voisins quand ils passent prendre le thé et manger des gâteaux (comme s'ils ne pouvaient pas boire du thé et manger des gâteaux chez eux) ou boire un verre à l'heure de l'apéro (ils n'ont donc rien à boire chez eux ?). En ce qui me concerne, on n'a rien à montrer, j'ai même l'impression qu'il vaut mieux que je ne me montre pas trop moi-même car ça a l'air de les gêner plus qu'autre chose. Je ne parle pourtant pas, je ne dis strictement rien, alors j'ai vraiment du mal à saisir ce qui peut bien les mettre mal à l'aise. C'est rageant. 


Cette semaine, Michael est parti en camp de vacances. J'ai profité de son absence pour aller regarder un peu ses affaires, non pas pour fouiller, mais parce que j'étais curieux de savoir comment il organisait ses effets personnels. C'est assez intime, une organisation, mais l'observation des pratiques des autres peut toujours être utile à l'amélioration de sa propre technique. Moi, par exemple, j'ai tendance à me sentir mieux quand tout est rangé par ordre alphabétique. C'est plutôt pratique pour les bandes dessinées : il suffit de faire le choix entre le nom de l'auteur (plus facile que le prénom, qui n'est pas si varié) et celui de l'album. Pour d'autres objets en revanche, la tâche devient tout de suite plus complexe. Pour les animaux, ça va encore, on peut les ranger par nom d'usage, si on ne veut pas se compliquer la tâche avec leur appellation scientifique, le plus souvent d'origine latine. Là où ça devient plus compliqué, c'est pour les films : doit-on choisir le nom du réalisateur, de l'acteur principal, le courant esthétique dans lequel il s'inscrit, le procédé de narration ou la focalisation retenue ? Je m'en tiens pour ma part à l'année de sortie, parce que j'ai une bonne mémoire des dates et que ça me permet d'utiliser des étiquettes plus petites, même lorsqu'il faut ajouter le mois dans le cas de productions sorties la même année. Je n'ai pas encore été confronté au cas de figure où il me faudrait ajouter le jour, alors ça va. 


Enfin bref, tout ça pour dire qu'alors que je détaillais un peu l'organisation personnelle de Michael (du grand n'importe quoi, soit dit en passant), j'ai eu une idée de génie. J'ai enfilé des vêtements qui lui appartenaient, afin de pouvoir juger concrètement ce qui nous différenciait. Certes, je nageais dans le polo et dans le pantalon que j'avais choisis, j'ai dû serrer la ceinture bien fort autour de ma taille pour que ce dernier reste bien en place. Le résultat s'est toutefois avéré assez étonnant. Avec un peu de gel dans les cheveux, et en enlevant mes lunettes, on aurait pu me prendre pour Michael. Il faut admettre que je ne vois pas grand-chose sans ma monture, mais tout de même : mon reflet était saisissant. J'ai donc attendu que mes parents sortent dîner je ne sais où (il faudrait vraiment que je réfléchisse à cette lubie qu'ont les gens de manger et de boire en dehors de chez eux, c'est tout de même très déconcertant) et je me suis préparé pour aller me promener "en Michael". 

A suivre...

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