Nostal(ler)gique

mina-fauster

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’amis. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un certain Simon Liberati, mais comme j’ai bien aimé sa formule, je l’ai notée avec empressement dans mon petit carnet de formules bien senties, tellement bien sentie celle-là que j’ai eu l’étrange sensation que ce pro du verbe était venu la piocher directement dans un petit tiroir de mon cerveau. Ca ne vous arrive jamais à vous, d’avoir le sentiment que l’auteur vous parle, qu’il ne s’adresse qu’à vous, que vous êtes son seul lecteur ? C’est ce qu’on appelle la projection identificatoire à un monde fantasmatique, mais je m’égare. N’hésitez pas à m’arrêter quand je m’égare, car il semblerait que je m’égare souvent.

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’amis, donc. Je l’aime bien cette formule, car, en plus d’être bien sentie, elle infirme noir sur blanc ma potentielle imbécillité. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’amis > Je renouvelle mon stock d’amis régulièrement > Je ne suis donc pas une imbécile. Une égoïste ? Une opportuniste ? Une pauvre conne ? Peut-être. Mais une imbécile, ça non monsieur (madame ?).

J’ai traversé les années avec la conviction qu’il nous faut être là où l’on est posé. Ici et maintenant. Je m’explique : je suis à Paris, j’ai des potes à Paris. J’habite à Fontainebleau, je sympathise avec des Bellifontains (si si, c’est comme ça qu’on dit). Je bouge sur Lyon ? Ben voilà, je fais amie-ami(e)s avec des Lyonnais. Ca marche, vous suivez.

Désabusé comme attitude ? Rah non, ne confondons pas tout. Je sais bien que l’époque est au minimalisme et au cynisme revendiqués, mais ne vous méprenez pas, l’ironie et le mauvais esprit, je ne connais pas. Ce que je refuse, c’est de vivre le drame d’être toujours ailleurs, la tragédie d’être toujours partie. Le culte de la nostalgie, de l’ami éternel, du corps immuable. On ne saurait remonter le cours du temps : n’est pas Marty McFly qui veut.

La nostalgie, le mal du siècle ? Prenez Facebook. Avec le réseau social de la branchitude, vous avez retrouvé Gégé, votre meilleur copain de primaire, Alice, la tassepé qui se faisait le beau gosse du bahut, Mélanie, la fausse bonne copine dont vous étiez le faire-valoir, Mme Martin, votre prof de maths de 6e B, Nicolas, qui vous avait lourdée comme une merde après vous avoir roulé une pelle à la patinoire… Vous êtes contente, ça fait trop plaisir, depuis le temps ! Ca en rappelle, des souvenirs, dis donc ! Ouais, cool, mais ça vous sert à quoi ? A vous rassurer ? « T’as pas changé, miss ». Ben si, j’espère bien que j’ai changé : je ne rougis plus quand un mec me parle, je ne porte plus de T-shirt Waikiki, je ne demande plus à une copine d’aller voir Charmant pour savoir si y’a moye. Si, j’ai changé. J’ai vieilli. Je commence à avoir des rides un peu partout sur la gueule, je paie mon tiers provisionnel, j’arrive à marcher avec des talons, je réclame mon dû quand la caissière me carotte deux euros, je gueule sur la petite vieille qui s’est crue invisible et qui me double sans vergogne dans la file d’attente, je me fous de ne pas être foutue comme Kate Moss, je me moque de ce qu’on pense quand je dis que je suis fatiguée alors que je n’ai rien foutu de la journée, je me tape d’avouer que je n’ai rien foutu de la journée. Et je me contrefous de savoir que Géraldine B., ma voisine quand j’avais huit ans, a mangé un paquet de gâteaux à midi et qu’elle a mal au ventre à 14 heures.

Je me suis ouverte à l’idée de futur et je confirme aujourd’hui que le temps affirme. Je ne veux pas redevenir celle que j’étais avant. Ca m’emmerde qu’on voit la gueule que je traînais en seconde parce qu’un petit malin m’a taguée sur la photo de classe. Je ne veux pas renouer avec mon enfance. Je veux vieillir. Je veux passer à la suite. Etre ici et maintenant, avec les vrais gens et dans la vraie vie. Et si je virais mon compte Facebook ? Bah non, l’attitude désabusée par excellence, c’est encore de cultiver les contradictions. 

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