Parce que l'inspiration est partout, n'oublions pas de regarder à côté de nous.

Jeff Legrand (Djeff)

L'inspiration. Ceux qui la cherchent ne la trouvent qu'avec difficulté. Elle est ici et ailleurs. Mais ne vous trompez pas : si vous y êtes prêt, c'est elle qui vous touchera.

            Il n'est pas donné à tous de réaliser ses rêves. Certains en ont peur, car la réalisation d'un objectif onirique peut amener à s'interroger sur le sens à donner au reste de sa vie. D'autres, au contraire, en font un moteur, une source d'inspiration.

            Un événement m'a beaucoup marqué, suscitant une prise de conscience : mon nouvel an 2011 à Necko Bay, sur la péninsule antarctique. Un instant magique qui vous touche au plus profond et vous change à jamais. Un accomplissement où j'ai appris le sens du mot contemplation.

            L'émotion née d'une rencontre de ce type fait du plus pauvre des hommes un nanti. La richesse qu'apporte ce spectacle n'est pas monnayable, c'est ce qui en fait un bijou brut qu'il appartient à chacun de tailler à son bon goût. Illustration parfaite de la maxime de Nietzsche «  tout ce qui a son prix est de peu de valeur ».

            Imaginez. Necko Bay est formé d'un glacier géant en cuvette, où viennent s'amasser les restes d'icebergs, comme un cimetière où les éléphants affaiblis décident de se retirer. Calme, à l'abri du monde, la sérénité du lieu parait irréelle. Seul le souffle des baleines à bosses nous ramène à la réalité, dans un cache-cache où nos sens en plein éveil se perdent dans ce paysage miroir, où l'on ne distingue pas le ciel de l'eau.

            Je suis assis dans la neige mais ne sais depuis combien de temps. Je sais que je devrais me lever et mitrailler tout autour de moi, c'est pour cela que j'ai acheté ce superbe appareil photo. Mais le tableau que je scrute, la qualité de mon engin ne saurait la reproduire. Je ne suis peut-être pas assez bon photographe pour tirer de la scène un juste cliché. Et je ne veux surtout pas galvauder cette merveille, ce serait impardonnable de montrer ce lieu sans susciter une profonde émotion.

            Alors oui, je prends quelques photos. Les Manchots Papous qui sautillent entre les rochers pour atteindre leurs nids, en surplombs. Les nuances de bleus du glacier, marbré de noir, auraient donner envie à Majorelle d'abandonner sa quête de l'Atlas pour s'installer ici.

            Puis un craquement retentissant me tire de la léthargie contemplative dans laquelle je m'extasie. Un nuage blanc dévale du haut du glacier, énorme, rapide et se dirige vers notre bateau. En fin de course, il se contente de le repeindre de blanc, comme si la nature avait souhaité harmoniser les tons de ce tableau.

            J'assiste à ce spectacle immobile, m'imprègne de chaque émotion qui me traverse car mon plus beau cadeau est là. Alors que j'ai décidé il y a peu de me consacrer à plein temps à l'écriture, tout cela vient enrichir ma palette. Car l'inspiration ne vient pas du travail ou des idées, mais belle et bien de nos expériences. Ces moments où seuls les mots sont assez forts pour essayer de signifier ce que vous ressentez. Ces instants où le cerveau, après une courte veille, se rallume branché sur votre hémisphère gauche.

            Dans ce genre de crise, je foisonne d'idées pour conter ce que j'observe. Une connexion se crée et les idées arrivent en cascade : raconter l'incroyable histoire du Chef d'Expédition, faire un livre pour enfants, faire un hivernage dans une base scientifique... Dans la nuit, je me réveille et repense à l'ouvrage sur lequel je travaille. Je finis par me lever et m'arme de ma plus belle plume, pour ne pas faire de bruit avec mon ordinateur. Et j'aime travailler à l'ancienne.

            J'écris, ne quittant ma feuille que pour admirer les lumières qu'offre ce jour sans nuit. Après une dizaine de pages noircies, la révélation ultime vient éclairer ma nuit d'illuminé. Cette scène, je la vis souvent. Le déclencheur varie, parfois une rencontre, cette fois-ci un paysage. Il embrase une force qui m'emplit d'assurance. C'est à cet instant que j'ai compris. Le plus beau de mes rêves est aussi ma muse, et elle dort là, juste à côté de moi. Je la contemple dans un silence de cathédrale de glace. Alors je pose mon arme et range mes feuilles. L'inspiration n'est pas acquise, elle m'attend.

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