Pas de littérature!
divina-bonitas
Un de mes fils doit rédiger un mémoire scientifique d'une vingtaine de pages.
Deux mois que ça dure, que les corrections se succèdent selon des annotations dans les marges: "qu'est-ce que ça veut dire cette phrase? Pas de littérature!!!"
Il a donc fallu rayer pour cause de "littérature" deux expressions qui me paraissaient jusqu'alors très banales: "force est de constater" et "si (...) est le fer de lance de ...", étant entendu que le "je" et le "nous" sont proscrits, que seules des formulations impersonnelles sont acceptables: il s'agit, il est supposé, il est établi...
Il a fallu enlever aussi les articles dans beaucoup de phrases. Bizarre car pour moi, l'article défini ou indéfini a et donne un sens au vocable qu'il précède...le, la, une, des...la curée, un curé...
Je passe sur le fait que la plupart des mots scientifiques recommandés font rougir le correcteur d'orthographe.
Bref, c'est un mémoire qui se suce comme un gros berlingot amer, un petit coup de langue à gauche puis un à droite, pour un résultat qui se passe de commentaires du fait que le quidam lambda n'y comprend plus que dalle, que l'ensemble a l'allure d'un fouchtra totalement abscons pour ne pas dire inb.table, le tout émaillé d'anglais, de notes multiples, chiffres, équations de recherche imposées d'une totale inefficacité. Obtenir 1940 résultats à une analyse de données a des fragrances d'avant-guerre, surtout quand on constate après s'être fadé toute cette "littérature" ardue in english, que seuls deux résultats conviennent au sujet.
Bref, j'en conclus donc que je ne suis pas une scientifique, aucune chance de me reconvertir sur le tard...ouf!...mais que les plus diplômés, docteurs es-sciences, chercheurs de nos facultés, apprennent donc aux étudiants comment aligner des mots selon une logique qui échappe à la grammaire et aux règles de syntaxe, en rayant de traits rouges saignants toute formule apparentée à de la "littérature", littérature qui qui sonne comme jointures. Pas de jointures messieurs les étudiants! Pas de liant! Pas de douceur entre les mots durs. Le sujet est atroce, il y a du sang et des larmes à chaque page, des photos à faire vomir, tout est gore et il nous en faut plus! Encore plus dur, encore plus aseptisé, encore plus trash! Arrêtez de mettre des formes sur vos mots et de l'humain dans cette logorrhée biologique! Mince! Comment dites-vous? Plait-il? Biologie signifie science du vivant...mais comment donc? Il y a donc des gens vivants derrière les tableaux de morts et les puces des paragraphes? Derrière les malformations des bébés? Derrière ce virus galopant à travers la planète? Mais qu'est-ce que ça peut faire? Nous les "sachant" étudions dans la pâleur de nos paillasses avec nos rats en cage, alors les gens, les gens, leurs émois et leurs émotions...que nous apporterait de parler de leurs maux ou de leur mort avec un peu de rondeur au détour d'une virgule? Avec de l'empathie et de la compassion? On n'est pas là pour ça voyons! Ainsi il convient d'écrire "Xn décès ont été recensés: X de sujets adultes et X de sujets âgés de 36 mois " au lieu de "force est de constater que des milliers de décès ont été recensés dont X d'enfants de moins de 3 ans".
Ce à quoi je répondrai que sans douceur, finesse de l'esprit et humanisme sensible, je vois mal comment il est possible d'appréhender des problématiques complexes touchant au vivant, en espérant les résoudre un jour. Mais bon, mon côté rousseauiste sans doute...
Et quand je pense qu'on fait suer les gosses à l'école depuis le plus jeune âge pour leur apprendre à écrire avec toutes ces nuances linguistiques, qu'on leur fait lire Racine, Molière, Proust ou Rabelais, Rimbaud et Baudelaire, que les gosses des ex filières scientifiques se sont souvent fait assassiner pendant des années parce qu'ils étaient mauvais en français et en littérature....
Pffff.....
Écoute mon garçon, fais un effort, écris leur le bidule en morse, ça devrait convenir.
Eh oui, un article scientifique ne décrit que des faits de la façon la plus précise et objective possible - il ne s’agit pas de savoir si ces faits sont regrettables ou rassurants et doit être aussi concis que possible : son but est de faire passer un maximum d’informations en un minimum de lignes, d’être le plus factuel et le plus efficace possible.
· Il y a environ 5 ans ·Ce n’est pas œuvre de littérature et la personne qui encadre ton fils a raison d’avoir de telles exigences.
campaspe
Il ne s'agit pas d'un article scientifique mais d'un petit mémoire.
· Il y a environ 5 ans ·Je veux bien la précision, la concision, l'objectivité tout ça, mais je ne crois pas que cela justifie que les COD n'aient plus d'articles, les phrases pas toujours de verbes ou si peu, deux auxiliaires et une poignée de verbes d'état à la forme impersonnelle. Il y a à mon sens une marge entre faire œuvre de littérature et écrire en français.
Et pardon mais non, je ne crois pas que cette personne ait raison, d'une part parce que j'ai bien peur que rien ne soit aussi manichéen dans la vie, même dans la vie professionnelle, que d'autre part couper par quelque moyen que ce soit une science humaine de sa source, ne peut à terme qu'avoir des effets délétères. Enfin parce que les professionnels de santé eux, qui sont aussi des scientifiques, sont au quotidien confrontés à des situations humaines, irrationnelles sans doute pour certains, pleines d'émotions et de faits qu'ils tentent de maitriser, pas de contrôler. D'où leur obligation de moyens sur le plan juridique et non de résultats. Demander à des étudiants de santé de s'abstraire de toute émotion ou compassion les contraint ou à se "couper" en deux, ou à se couper à terme de leurs propres émotions, ou à envisager leur métier sous un angle rationnel. Qu'on soit chercheur ou médecin, franchement je ne suis pas sûre du tout que ça marche une seule minute. Les soignants les plus performants sont avant tout des gens extrêmement humains, sensibles et humbles.
L'hypercontrôle reste, quelque soit le sujet, un frein à la maitrise. Or n'est-ce pas exactement ce qu'on attend de scientifiques, la maitrise de leur sujet?
divina-bonitas
L’encadrante apprend à ton fils à écrire un article scientifique. De tels articles sont écrits de la façon que tu décris. S’ils ne sont pas écrits en suivant ces normes là, l’article est rejeté par le journal et les mois de recherche n’auront servi à rien. Il est donc essentiel d’apprendre à communiquer de cette façon.
· Il y a environ 5 ans ·Et il est normal de relire et modifier jusqu’à arriver à une version où tout est justifié.
Cela n’a rien à voir avec de l’hypercontrôle mais juste avec le respect d’une norme.
Que ton fils se console : mon premier article à été relu et modifié 43 fois et à l’époque moi non plus je n’en voyais pas l’intérêt.
campaspe
Pardon mais non il ne s'agit pas d'un article! Il n'y a pas de journal. C'est juste un mémoire de fin de 3° année!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
J’ai bien compris, mais la suite logique c’est de commencer une thèse et d’écrire des articles je suppose et donc il est jugé sur sa capacité à communiquer avec les codes de la profession de chercheur.
· Il y a environ 5 ans ·En outre, lorsqu’il soutiendra son mémoire, son jury demandera que cette présentation soit faite suivant ces mêmes codes.
campaspe
Ah mais ça rigole plus du tout de nos jours ! On a même plus le droit d'appeler un chat un chat ou une chatte une chatte, alors mettre de la prose dans du bla bla technique ou scientifique, pensez donc. Des gens non autorisés pourraient comprendre ! :o)
· Il y a environ 5 ans ·daniel-m
Vi vi, c'est exactement ça! Et que comprendraient-ils ces gens non autorisés? That is the question!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
Triste constat… "Force est de constater" que notre langue est saccagée...
· Il y a environ 5 ans ·Sy Lou
Mais c'est de ma faute tout ça, ma façon de parler en images, avec des locutions rigolotes...force est de constater qu'il y a des gens pas marrants du tout!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
Certains "scientifiques" se réfugient dans leur langage à eux, leur jargon, ça les rassure...
· Il y a environ 5 ans ·Ne pas hésiter, alors, à exiger qu'ils mettent en français correct leurs idées. Je l'ai fait une fois quand un scientifique du Droit , un notaire, a commencé son topo en jargon incompréhensible. Désemparé, perdu, il était, il a eu du mal à traduire...
astrov
Comme disait Boileau, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
Un texte technique, c'est tout un poème...
· Il y a environ 5 ans ·reklewski-pawel
Tu me fais sourire Pawel, merci!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
Mes copains matheux étaient nuls en français...
· Il y a environ 5 ans ·reklewski-pawel
Ha, ha ! Ca ne se voit peut-être pas, mais je suis de culture scientifique, alors à lire mes conneries on voit que rien n'est jamais perdu. :o))
· Il y a environ 5 ans ·Hervé Lénervé
Oui, ça me rassure!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
Tout à fait d'accord, que devient notre belle langue ?
· Il y a environ 5 ans ·Louve
Sans doute nous faut-il la mettre dans notre poche...notre langue!
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas
J'adore ta dernière phrase.
· Il y a environ 5 ans ·Ton témoignage me fou la trouille, septembre 2020, Fiston commence sa première année en master philosophie.
Lady Etaine Eire
T'inquiète pas! Ton fils aura sans doute droit à des demandes supplémentaires de littérature! Enfin j'espère...
· Il y a environ 5 ans ·divina-bonitas