Peau de Chagrin - M.patate
monster-inside
Elle ne connaissait que trop bien ces moments-là. Ces moments, où pris dans la tornade de ses émotions, englué dans l’indiscible, sa Patate ratatinée opérait un repli stratégique en lui-même.
Déjà, il avait avalé son visage. Lentement. Sûrement. Façon boa. Les bras croisés sur le torse, on pouvait voir la pulpe de ses doigts pénétrer les espaces inter-costaux comme de la guimauve molle et pégueuse. Carapace-éponge qui ne sait plus filtrer, son derme blafard suintait par tous les pores, tentative ultime de barrière chimique par exsudation.
Dedans lui, un bordel monstre. Bien que coutumier de phénomènes de dislocation physique dont il jouait régulièrement, ce bordel là, il ne l’aimait pas. C’était un fatras de pensées contradictoires : « je devrais/ je pourrais /il faudrait que… MAIS.». Mais le ressenti existe par-delà la raison, on connaît la chanson, et sa mélodie n’est qu’un grondement sourd et lointain qui se rapproche, et s’amplifie jusqu’à tonitruer. Le bruit du vide, quand il vous remplit, est terrifiant.
Pour y remédier, une seule solution : surtout ne pas se disperser, tout rassembler en un point le plus compact possible : le passé, les valeurs, les idées, les projets, les envies, les « qui je suis ». Tout le pack de survie : coquille de plomb en construction.
Entassé dans un coin de la chambre froide (instinct de conservation oblige), le haut de son corps n’était déjà plus qu’une informe masse gélatineuse absorbant dans sa chair ces jambes qu’il avait de toutes façons aussi coupées que le souffle.
Après la phase de guimauvisation venait celle de pétrification. L’énorme masse rosâtre se condensait en spirale autour de son coeur sombre, dessinant au passage de délicates volutes nacrées. L’atmosphère de la pièce elle-même s’était alourdie, chargée des tensions à évacuer que la patate avait exsudées. Quelques heures plus tard, il ne restait plus au sol qu’une petite boule terne, et dense. Très dense.
Elle la saisit délicatement entre deux doigts et la regarda rouler au creux de sa paume. Lovée inerte entre les lignes de la main, il était difficile de croire que cette chose ait été cet homme-patate, acrobate du morcellement, équilibriste de l’éclatement, virtuose ès démembrement-remembrement. Elle alla placer la relique bernard-lhermitte dans l’écrin de velours prévu à cet effet, le temps de l’incubation.
D’ici peu, une lueur s’en échappera. Et tout recommencera.
J'aime beaucoup, coup de coeur !
· Il y a plus de 12 ans ·bella-leff
vraiment pas mal et, même mieux, plutôt bien!
· Il y a plus de 13 ans ·Ggiselle Amély
J'suis fan!
· Il y a plus de 13 ans ·charlotte-laquiche
Dans mes textes mettant en scène le personnage de "Mr Patate", j'essaie de traduire à ma façon le concept de sublimation (de la souffrance, du manque, de l'amour, et aussi du moche, du biscornu, do hors norme). C'est pourquoi faire s'entrechoquer les niveaux de langage pour mettre en exergue ces contradictions du beau et de l'immonde, me semble être judicieux.
· Il y a plus de 13 ans ·monster-inside
Je ne partage pas cet avis... Mais celui de l'auteur reste le plus important.
· Il y a plus de 13 ans ·Marie Leroy
C'est notamment ce qu'il y a d'intéressant dans ce texte, le contraste y est très présent dans le langage, comme pour montrer un beauté présente dans les objets les plus anodins, même imagés.
· Il y a plus de 13 ans ·cerveau-lent--2
Bien écrit mais, si je puis me permettre, certains termes très familiers polluent le texte au langage relativement soutenu. Je pense notamment à "patate", "bordel monstre", "guimauvisation" (?), qui constituent selon moi de fortes dissonances.
· Il y a plus de 13 ans ·Marie Leroy
Une sacrée becquetée de mots à la Beckett pour décrire le sentiment d'être parfois un homme-objet pour ces dames. Thanks
· Il y a plus de 13 ans ·epic
superbe!
· Il y a plus de 13 ans ·saki
:) Merci!
· Il y a plus de 13 ans ·monster-inside
j'adore!
· Il y a plus de 13 ans ·lanimelle