Penser à toi c'est fermer les yeux.

Marie Eve Brassard

Penser à toi, c’est perdre mon temps. Et le savoir. Et le faire quand même. Comme si le temps était fait pour se perdre. Comme s’il n’avait rien de mieux à faire. Penser à toi, c’est gaspiller mes journées et mes nuits. C’est me lever le matin en sachant que tu n’es pas là. Me faire un café et le boire seule. Me demander si je te croiserai aujourd’hui et ne pas savoir comment m’habiller. Penser à toi c’est attendre un message ou un appel. Un regard ou un signe. Penser à toi c’est attendre toujours un signe.

Penser à toi c’est être seule sans ne jamais l’être vraiment. Mais en l’étant toujours un peu. C’est fermer les yeux et imaginer ton visage, ton sourire, te serrer dans mes bras et enfouir mon nez dans ton cou et mes mains dans tes cheveux. Et ne penser à rien et penser à toi. C’est le vent qui me décoiffe et qui soulève ma jupe pendant que je roule à vélo. Et je pédale toujours plus vite. Penser à toi c’est risquer chaque minute de faire un face à face avec une portière qui s’ouvre sans que je ne la voie. Penser à toi c’est fermer les yeux et pédaler toujours plus vite.

Penser à toi c’est partir en vacances et ne pas réussir à décrocher. Jamais. Prisonnière du quotidien. Prisonnière de mes pensés. C’est me demander chaque instant, chaque seconde, si toi aussi tu penses à moi. Et espérer que oui. Un peu. En être presque certaine. Et être si loin quand même. C’est regarder le lac en me demandant comment je me sentirais si tu étais là, assis à côté de moi, le regardant toi aussi. Être certaine que tu aimes les lacs. Et penser que tu m’aimes peut-être un peu. Et que tu devrais être là. Et que ta place, ta place à toi, elle est là, à côté de la mienne. Penser à toi c’est penser toujours un peu que la vie est injuste. Tellement. Que tout est toujours une question de timing. Une question de mauvais timing. Que le timing il est comme la vie. Il est injuste lui aussi.

Penser à toi c’est fumer une cigarette. Regarder la fumée qui s’envole vers le ciel. Et la trouver belle. Et avoir envie de m’envoler avec elle. C’est apprécier difficilement chaque instant de bonheur. Qui sont si nombreux. Mais qui ne veulent rien dire parce que je pense à toi. Penser à toi c’est savoir que tout est mélangé, que rien ne veut plus rien dire, que je ne sais plus quoi penser. Être consciente, lors de brefs instants de lucidité que je me fais du mal pour rien mais choisir de le faire quand même. Parce qu’au fond, ce mal-là, il me fait tellement de bien.

Penser à toi c’est t’entendre rire.  C’est imaginer ton regard qui se pose sur moi pendant que je dors. Pendant que je mange. Pendant que je lis. Penser à toi c’est aussi t’oublier parfois. Mais pas assez souvent.

Penser à toi c’est t’embrasser, te toucher, sentir ton corps collé contre le mien. Me laisser envahir par ta force. Comme si enfin, je pouvais me laisser aller. Ma peau n’est plus aussi douce depuis que tu y as touché. Penser à toi c’est espérer si fort que ça dure toujours. Et savoir que ça ne durera pas. Et t’embrasser plus fort. Et savoir que ça fera mal et savoir que ça ne changera rien et t’embrasser encore. Et te laisser partir sans vouloir regarder. Penser à toi c’est garder les yeux fermés et continuer d’avancer.

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