Peter

Dans le miroir, ce visage dans le miroir, c’était le sien…

Il avait quitté  la lumière. À la dérive au-delà d’un océan de larmes.

Deux êtres qui s’aiment et une séparation, quoi de plus banal en somme ?

Et pourtant !

Longtemps leur  histoire avait survécue aux tempêtes, aux marées, aux séismes.

Un amour noué et dénoué à maintes reprises pour s’échouer il y a une année tout au plus, sur les rives de la discorde. Jusqu’à se taire…

Et aujourd’hui, ce visage, dans le miroir, c’était le sien !

Non ! Elle ne voulait pas de cette vérité là. Non ! Elle ne supportait pas le renvoi de cette image là ! Non !

Hier encore, leurs corps à corps. Algues marines, mouvance. Torpeur liquide. Jouvence.

Son cœur se soulève et bât à rompre.  Et la tête, là qui tourne, tourne,  tourne, bercée par la houle. Sur cette épave de vie échouée à l’automne. Personne à l’abordage.

Un cri soudain déchire le silence. Qui crie ?

De l’eau, là sur ses joues. Les larmes sillonnent son visage, glissent entre ses lèvres arides. Salées.

Les sanglots en cascades se sont tus.

Méduse solitaire.

Hier encore.

-          « Tu m’aimes ?

-          Si je t’aime ? Oh ma Belle, bien sûr que je t’aime.

Lui la Bête s’était transformée en charmant  prince pour elle. Mais  l’animalité sommeillant aux portes du  palais,  sortait griffes et crocs dans leurs féroces combats.

Elle la Belle, lançait ses flèches empoisonnées, foudroyantes.

Rituel destructeur, des années durant.

Ils s’étaient épuisés à leurs guerres permanentes.

Aujourd’hui,  au regard de ce visage dans la Psyché de la chambre, elle chavire. Livide. Anéantie.

Désincarnée.

-          « Que t’arrive t-il ?

-          J’ai mal au cœur

-          Comment ça se fait ?

-          J’ai froid, si froid

-          Couvre-toi !

-          Laisse-moi tranquille, veux-tu

-          Pourquoi ?

-          Je ne veux pas parler

-          Ton cœur,  jette-le là derrière ce mur

-          Il est trop haut

-          Je vais t’aider

-          Mais t’es qui toi ?

-          Ta conscience

-          Ah…Tiens prend le ce cœur d’ado… »

Cette conscience semble si réelle. Ce souffle à son cou. Si vivant ! Et cette voix susurrée !

Légère. Elle se sent mieux. Si légère à présent. Elle s’est délestée, de ses doubles Wendy et Lili la Tigresse. Il est temps de vivre au présent.

 Affronter son image.

Demain, sans doute. Oui, demain.

Une autre elle-même. Acceptée. Appropriée. Reconnue.

Elle rassemble ses vêtements, épars. Trois légers tocs résonnent à la porte.

Sur le seuil, un visage souriant au regard limpide, directe.  Quelques ridules au détour du bleu.

-          « Bonjour,  je viens d’emménager et je vous entends jouer du piano…Heu, moi aussi je suis musicien…Je vous croise dans l’ascenseur parfois mais  vous paraissez toujours si préoccupée…

-          Heu…Oui…

-          Oh, excusez-moi…Je ne me suis pas présenté…Peter ! J’ m’appelle Peter ».

Le ton est troublant, caressant. Si émouvant ! Yeux bleus. Océanien en diable !

Elle reste figée puis dessine un sourire hésitant.

Comment se fait-il donc que son regard se perde ? Sa poitrine se soulève. Elle étouffe.

Malaise vagal.

Névrose infantile.

-          « Qu’avez-vous ?

-          J’ai mal au cœur, je suis désolée

-          Je vais  vous aider à vous allonger, attendez... Je vous dépose sur votre lit,  je m’en vais.

Dans la chambre encombrée elle croise alors un étrange  tableau renvoyé  par le miroir.

Mais qui est donc cette femme lovée dans les bras de Peter ?