Polarités (Partie 4)
merielle
Marine éclata subitement en sanglots. Je la pris dans mes bras pour la rassurer et vérifiai le pansement à sa cheville. Elle avait certainement perdu beaucoup de sang et la plaie devait commencer à s’infecter, il s’en dégageait une légère odeur. On ne développait pas la gangrène en quelques heures tout de même ? Normalement, il fallait du temps pour que l’infection pourrisse… De là à ce qu’il faille amputer à l’aide du couteau suisse… Cette idée m’arracha un haut le cœur que j’accompagnai d’une main sur ma bouche. C’est ainsi que je réalisai que le bain de bactéries, où nous pataugions, devait probablement accélérer le processus.
J’ignorais pourquoi la plaie de sa jambe trouvait le moyen de se distinguer de la redoutable puanteur ambiante, mais je lui affirmai que tout allait bien. Elle répondit froidement, entre deux hoquets, de ne pas la prendre pour une imbécile et que de plus, je n’étais pas médecin. Certes, et je n’étais pas non plus nyctalope mais l’état de sa cheville odorante, laissait présager bien pire que ce que je pouvais imaginer. Elle s’excusa, je répondis qu’elle avait raison. Il nous fallait trouver une sortie le plus rapidement possible, avant que la situation générale ne s’aggrave.
Nous étions épuisés. Marine avait un peu de fièvre. (Je redoutais qu’elle n’augmente au fil des heures). Elle voulait dormir, se reposer. Je n’y vis aucune objection. Cependant, j’aurais préféré récupérer mon couteau suisse et le garder en main avant de sombrer dans un éventuel sommeil. Dormir semblait peu probable. Je fouillai le sac et laissai échapper un cri de joie en pensant subitement à ma montre de survie. Elle s’allumait dans le noir ! Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Bien sûr ce n’était pas une lampe et elle n’éclairait qu’à cinq centimètres, mais, je pus ainsi trouver mon couteau tandis que Marine maintenait le sac ouvert. J’aperçu ses lèvres régulières et rosées en faisant mine de regarder l’heure avec elle. Il était 7 heures.
Nous nous glissâmes dans le sac de couchage, dans une intimité incongrue. Il me fallait la tenir dans mes bras afin d’occuper moins d’espace. Sa petite taille nous aida, mais ses fesses rebondies provoquèrent, à mon grand désarroi, une érection inopinée. Elle rit bêtement et je remerciai le ciel, que nous ne puissions pas nous voir…
Le sol bougeait. C’était évident ! Le sol bougeait ! J’ouvris les yeux sans y voir plus que paupières closes et tentai de réveiller Marine. Elle me répondit vaguement, en m’appelant Benoît et me demanda de la laisser tranquille. Qui était ce Benoît ? L’un de ses amants ? Fort bon moment pour ces questions ! Nous étions ballottés de droite à gauche, suivant un rythme régulier. Soudain, une plainte assourdissante résonna non loin de nous. Mon corps paré à déguerpir, m’ôta l’ombre du doute quant à savoir si le sol était vivant. Je devais m’extraire du sac de couchage pour récupérer mon sac à dos. Nous risquions de le perdre sous l’effet des secousses. A peine debout, je senti le « monstre » s’arrêter net. Le sac à dos roula un peu plus loin. Le danger était imminent. Un pressentiment. Oui, j’étais quasiment certain que le « monstre » s’était figé en raison d’une autre présence. Que faire ? Bondir ? Tenter de retrouver le sac ? Sortir Marine du sac de couchage ?... Je la secouai brutalement ! Nous devions quitter ce sol avant le pire. Affaiblie par la fièvre, Marine eut la réaction d’un poids mort. Je passai vivement mon bras sous les siens en me positionnant à sa gauche, en béquille, et tirai. La porter avec cette dose d’adrénaline fut comme de mettre une écharpe. Tout s’accélérait. Agir ! Vite ! Mes jambes s’élancèrent droit devant et trébuchèrent sur le sac que j’attrapai d’une main, avant de réaliser ce que je venais de faire. Le sac !
J’en aurais presque chanté si une sorte de barrissement tonitruant sur la gauche, ne m’avait pas devancé ! Je lâchai Marine, mon esprit venait de fuir mon corps. « Cours ! » hurlais-je. J’attrapai son bras et m’élançai à l’opposé. C’est alors que le sol se releva et nous ne pûmes que rouler sur le dos du « monstre ». Je retenu Marine fermement dans mes bras, mais je ne pus empêcher sa cheville de rebondir à maintes reprises sur cette carapace qui nous avait accueillis. La chute se termina dans une eau stagnante emplie d’algues. Je me redressai immédiatement la bouche pleine d’herbes gluantes et soulevai Marine qui s’était évanouie. La portant à bouts de bras dans cette mélasse, je continuai d’avancer pour nous éloigner des « monstres ». Les hostilités commençaient. A chacun des chocs entre les colosses, nous étions aspergés par une vague énorme emplie de vase et d’algues. Je pataugeais comme un fou. J’étais bizarrement heureux de toute cette obscurité, je me sentais protégé. Sentiment qui disparut quand une giclée d’un liquide poisseux entra dans mes yeux. Aveuglé, je ne disposais d’aucune main de libre pour les essuyer. La tête vide, seulement consciente de mes jambes en mouvement, je me sentis prêt d’abjurer et de laisser le destin décider de notre sort.
Soudain un filet de lumière apparu non loin. J’allai droit vers lui, tirant Marine par les bras sans ménagement. Toujours évanouie, à peine visible sous les algues, elle ne devait plus sentir la douleur.
La lumière s’échappait par un mince faisceau rectangulaire, comme si elle provenant de l’encolure d’une porte. Je courrais presque, l’espoir me redonnait une énergie insoupçonnée.
Il s’agissait bel et bien d’une porte, trois marches la précédaient. J’actionnai la poignée et elle s’ouvrit sur une grande pièce chaleureuse. Une immense bibliothèque ainsi qu’une luxueuse cheminée emplie de grosses bûches embrasées, faisaient face à l’entrée. A quelques pas de la cheminée trônaient un gros fauteuil et un canapé en cuir brun. L’ensemble reposait sur un tapis blanc cassé. Interdit, je lâchai Marine dont la tête heurta le sol dans un bruit mat. Je devenais fou. Où étions-nous ? Que se passait-il ? La porte s’était refermée sans que j’y prête attention ; chaque détail de cette pièce captivait mon esprit. Une douce chaleur l’étreignait. Cependant un élément vint troubler cette distraction. Une assiette de sandwichs, deux verres, une bouteille de vin rouge ainsi qu’une bouteille d’eau, trônaient sur une table basse. J’entendis un déclic au niveau de l’un des pans de la bibliothèque et un ensemble d’étagères pivotèrent, révélant un passage secret.
Entra alors, une femme longiligne, vêtue d’une longue robe noire, magnifiée par une ample chevelure rousse ondulée aux épaules. La robe, très décolletée, était fendue sur le côté droit et révélait une jambe parfaitement galbée, sous une peau ivoire. Ses pieds, aux ongles d’un vernis sombre, s’offraient enlacés de liens rutilants. Ses mains reposaient sur sa taille fine et elle me fixait de son regard de jade. Son visage était magnifique. Trop magnifique d’ailleurs. J’étais fasciné. Elle fit deux pas dans ma direction avec une grâce en suspension et la porte secrète se referma. D’un geste simple elle m’invita à m’asseoir. Ce que je fis, en automate, posant mes fesses au bord du canapé. Elle esquissa un sourire. Je vis à peine la bouteille de vin s’élever dans l’air pour remplir les verres, tandis qu’elle prenait place dans l’unique fauteuil en croisant délicieusement ses jambes magistrales. Elle posa un doigt sur ses lèvres, comme pour un oubli et les verres se déplacèrent respectivement jusqu’à nous. Je n’avais plus qu’à m’en saisir. M’en saisir ? Le verre à hauteur de ma poitrine me rappela que je n’avais aucune envie de boire du vin. J’avais soif d’eau. Immédiatement, je pensai à Marine. Comme je détournais les yeux sur son corps laissé à terre, il se mit en lévitation. Il oscilla lentement avant de venir près de nous au dessus du tapis et de s’y poser délicatement. J’eus brusquement envie de rire. Le visage de Marine sût calmer mon hystérie naissante. Son corps était couvert de boue rougeâtre, d’algues jaunâtres, et sa jambe gauche penchait pour un bleu violet. Le visage blême, couvert de sueur, vide d’expression, sur ce tapis, je remarquai tout de même qu’elle était jolie. Je devais être aussi extrêmement sale et je me sentis coupable de l’avoir oubliée durant ces dernières minutes.
« Pouvez-vous nous aider ? » demandai-je subitement à Rita Hayworth. Son allure m’évoquait définitivement Rita, la belle, la sensuelle... « Buvez ! » m’ordonna-t-elle avec une voix grave et masculine. Un travesti ? C’était impossible. Je la regardai désemparé. C’est alors que son bras droit s’allongea tel un élastique et que ses doigts vinrent saisir mes joues violemment. Ils m’obligeaient à ouvrir la bouche et surtout à revenir à cette réalité. En une seconde le verre se positionna au dessus de ma tête, tandis que la main la contraignait à se pencher en arrière. Les doigts me faisaient mal aux mâchoires. Sans aucuns réflexes, sans en avoir le temps, je bus le breuvage en me croyant atteint d’une schizophrénie redoutable. A peine une gorgée déglutie, toute la pièce devint trouble. Saisi d’une incontrôlable envie de dormir, je tombai à la renverse près de Marine qui fut la dernière image que je perçus…
A vous qui suivez, vivez, accompagnez cette histoire un grand merci. Merci aussi de me faire rire autant.
· Il y a presque 14 ans ·merielle
Oui Léo, Rita à la taverne! :) Ne touchez pas à vos écrans! Nous en avons le contrôle. Mérielle le sixième sens! :) Génial! Me régale toujours autant.
· Il y a presque 14 ans ·lapoisse
Je ne sais pas comment il va s'en sortir de ce truc mais je ne voudrais pas être à sa place... "Sweet dreams are made of this". Ce n'est peut être qu'un cauchemar mais ça parait bien réel. Ciao Mérielle.
· Il y a presque 14 ans ·jones
oh waouh.... et alors ?
· Il y a presque 14 ans ·Manou Damaye
Brrr ! J'ai peur, moi. Où tu nous emmènes ? Oui, t'es super douée, Mérielle ! Je n'en peux plus.
· Il y a presque 14 ans ·Gisèle Prevoteau
Stress, dégoût, rebondissements inattendus, fantaisie, la lectrice que je suis est maintenue dans une tension constante avec juste ce qu'il faut de courts instants de répit et de petites pointes d'humour, pour que cela reste supportable... bravo ! je suis...
· Il y a presque 14 ans ·Edwige Devillebichot
Te dire tout d'abord que ta ponctuation est magistrale, un métronome qui nous emporte dans un rythme effréné ! Ensuite qu'il faut une sacrée imagination pour nous emmener aussi loin. Et enfin (pour ne pas squatter les commentaires), une petite suggestion : Peut on avec Lapoisse faire appel à Rita à la taverne car y en a qui ont du mal à finir leur godets ;-) Extra Mérielle, encore bravo !
· Il y a presque 14 ans ·leo
Insoutenable suspens! Tu es très forte, Mérielle!
· Il y a presque 14 ans ·pointedenis