Polarités (Partie 7) FIN
merielle
Laissant aller notre joie, tels des enfants, heureux d’avoir trouvé la solution de l’énigme de la forêt, nous suivions les marches. Dans cette pénombre, nous allions peut être vers un danger, mais l’euphorie primait. Brusquement l’escalier s’arrêta contre une paroi. Nous aussi, stupidement, étant donnée sa position insolite. Le choc résonna dans nos corps, avant de céder place au silence de nos battements de cœurs. Par réflexe, je parcourais des bouts des doigts ce qui ressemblait, encore, à une porte. J’en avais marre. Des portes, des trappes, des ouvertures sur des mondes terrifiants ! Le pire serait une entrée donnant sur le début de ces évènements. Tout revivre à l’infini. Tester de nouvelles stratégies à chaque passage… Chaque passage ?? Le but n’était-il pas de s’échapper ? Pour être libre fallait-il mourir ? Que ce passait-il, dans la répétition si l’on mourrait avant la fin ? Quelle fin, si c’était infini ? Y avait-il un sens à toute cette aventure ? Marine m’attrapa par le cou pour m’incliner vers elle. Même sans nous voir, nous n’avions pas besoin de parler pour nous comprendre. Elle colla sa joue à la mienne comme pour murmurer, mais laissa seulement entendre son souffle. Avions-nous le choix ? Je la serrai contre moi, l’embrassai tendrement et elle me chuchota : « Vas-y, ouvre ! ». Ce que je fis.
Nous entrâmes dans un grand hall au style anglais, où un homme se tenait derrière un comptoir. « Entrez, entrez, dit-il, je vous attendais.
- Qu’est-ce que c’est que cette blague ? Répliquai-je
- Oui Monsieur. Vous avez réservé la suite numéro 12. Vous avez d’ailleurs une journée de retard.
- Que va-t-il encore se passer ? Demanda Marine avec lassitude.
- Vous allez dormir, je suppose…, répondit l’homme, solennel. Voici votre clé. »
Il nous tendit, avec un immense sourire étudié, une grosse clé accrochée à un ruban vert. Puis, il contourna le comptoir et nous indiqua un couloir en nous priant de le suivre. Nous étions curieux, plus qu’inquiets. La peur n’existait plus. Au de-là d’elle, d’autres réalités s’étaient imposées. Force, courage, réussite, cœur, amour… Nous étions si humains. Ces pensées, en cheminant le long des chambres, me ramenèrent à mon corps meurtri. La perspective d’un vrai lit, de draps, d’un bain enchantait mon esprit. Mais lorsque l’homme nous laissa dans la suite luxueuse, alliant broderies et rainures dorées, marbre et acajou, le silence s’imposa. Il nous fallut quelques minutes, incapables de bouger, attendant le bruit, le cri singulier, l’irruption de la peur. A l’écoute, corps tendus, nous dévorions des yeux l’ensemble de l’espace. Le salon, gigantesque, dans les teintes pastelles, la chambre grande comme mon appartement. Une desserte exposait un assortiment de mets délicats au milieu du salon. Nous n’hésitâmes plus. Le champagne réchauffa nos cœurs et c’est ivres, que nous nous effondrâmes sur le lit immense. Je ne savais pas avec quel argent nous réglerions cette réservation, mais j’étais sûr que ce lit nous offrait une véritable trêve…
« Bravo ! Applaudissez encore les champions, mesdames et messieurs ! »
Une lumière atroce me tira de ma léthargie. J’étais assis sur une chaise et grand panneau de bois se dressait devant moi. Un homme muni d’un casque me secouait en m’obligeant à me lever. « C’est à vous ! » me dit-il en souriant. J’étais vêtu d’un costume blanc qui m’était inconnu, avec un petit micro accroché au col de la veste. Je ne comprenais rien et ma tête était lourde. L’homme au casque ouvrit une petite porte encastrée dans le panneau et me poussa en avant. Je déboulai sur un immense plateau de télévision, avec un millier de personnes, sur des gradins, applaudissant et criant comme des désaxées.
« Eric Termon ! Mesdames et messieurs ! Notre grand héros du jour ! »
Les hurlements redoublèrent. Je clignai des yeux. C’était bien mon nom, mais où étais-je ? Qu’est-ce que tout cela signifiait ?
« En duplexe, avec nous ce soir, Marine Léral ! On l’applaudit bien fort ! » Une tempête s’abattit dans les gradins. Les spectateurs tapaient des pieds et des mains. L’homme qui faisait les présentations, me saisit par l’épaule et m’obligea à pivoter en direction d’un écran géant. Marine était là, assise vraisemblablement dans un lit d’hôpital et une jeune femme tenait un micro près de sa bouche. Elle regardait la caméra qui devait lui faire face, tout aussi décontenancée que moi. « Quelles sont vos impressions ? » lança l’animatrice sur l’écran. Marine tourna la tête vers la femme, incrédule, et je fis de même près du présentateur. Celui-ci meubla notre silence « Ils sont intimidés ! Encourageons les ! ». Et le public de se mettre à taper des mains dans un ensemble régulier et assourdissant. « Vous avez gagné cinq ans de loyers gratuits pour l’ensemble de l’immeuble ! Une annulation des impôts sur la même durée pour les rares propriétaires ! Ce n’est pas rien ! Il fallait le faire et ils l’ont fait !… Appelons maintenant, les autres habitants de l’immeuble qui avaient choisi leurs candidats… et quel choix stratégique, mesdames et messieurs ! ». Sortant de la foule pour emprunter les couloirs entre les sièges, apparurent divers visages que je connaissais, dont Martine et Patrice Orte, ainsi que ma voisine de pallier. Certains descendaient joyeusement les marches, d’autres adressaient des signes de la main au public enthousiaste. L’animateur les accueilli tout en me gardant près de lui d’une main ferme sur mon épaule. Ils se postèrent en demi-cercle autour de nous. « Vous pouvez les remercier ! » enchaîna-til, « Alors Marine, un mot pour vos voisins ? ». Marine éclata en sanglots et la jeune femme près d’elle fit quelques signes au caméraman qui effectua un gros plan. « Et vous Eric ? Emu d’avoir remporté l’épreuve de cette grande première, de notre nouveau jeu : Survie à l’impossible ! ». Il prononça ces derniers mots comme pour une annonce au stand d’une kermesse et le public hurla. « Vous pouvez lui serrer la main chers voisins ! Vous lui devez beaucoup ! ».
Le premier qui se présenta, main tendue, fut Patrice et je lui collai mon poing dans la figure ! Il voulu me le rendre. Ma voisine de pallier s’interposa et reçu celui qui m’était destiné. J’en profitai pour en assener un autre à Patrice, qui le fit tomber à genoux. Martine me sauta sur le dos et en quelques secondes ce fut la pagaille sur le plateau. Je me débâtais, lançant mes poings ça et là, encore et encore… Des techniciens au service d’ordre, arrivé un peu tard, on ne distinguait plus qui en voulait à qui. Certains spectateurs, audacieux, frappaient mes voisins, qui eux-mêmes se cognaient mutuellement, tandis que Martine Orte, toujours sur mon dos, me tirait les cheveux. Elle en arracha une poignée et c’est alors que tout empira. Hurlant, je tournai sur moi-même. Les pieds de Martine s’élevèrent dans l’élan pour heurter plusieurs visages. Du sang gicla. D’un mouvement j’attrapai son bras et la forçait à tomber brutalement au sol. Le présentateur trébucha sur elle et l’écrasa de son poids. Déchaîné, je lançai un coup de pied dans le ventre de cet homme qui m’était devenu insupportable. Ce geste plût aux spectateurs. Ceux dans les gradins émirent un « ouais ! » et ceux sur le plateau se jetèrent sur l’homme pour m’imiter. Brusquement on attrapa mon bras et je fus projeté contre des pieds de micros et des amplis…C’était Patrice. Avant qu’il ne se jeta sur moi, je pris un des pieds et le lui enfonçait dans l’abdomen. La tige en métal traversa son corps. Il fit quelques pas en arrière et tomba.
Je récupérai mon arme, l’ôtant d’une main et me tournait vers les autres, prêt à agir. Tous me regardaient, soudain calmes. Plus personne ne bougeait, sur le plateau ni dans les gradins. J’examinais mes mains pleines de sang, j’avais tué un homme. J’avais tué mon voisin. Je lâchai le pied de micro, qui résonna. Alors en un mouvement lent, tous levèrent l’index dans ma direction pour me désigner, avec un regard noir. Je tremblais de tout mon corps. Comment avais-je pu tuer quelqu’un ? Pourquoi ? Une émission de télévision ? Et pourquoi me montrer comme seul coupable ? Etais-je seul responsable de ce désastre ? Non, je n’étais pas un meurtrier, je n’étais qu’un simple habitant. Je n’avais rien demandé. On m’avait torturé au profit d’économies ridicules !... Soudain, en deux pas, une ouverture dans la foule sur le plateau fit place à Martine Orte. Elle s’avança, le visage tuméfié, couverte de sang et les autres s’assemblèrent à sa suite. Je regardai autour de moi, impossible de fuir. Pourquoi fuir d’ailleurs ? Je tombai à genoux et pleurai sans plus rien voir.
Je me réveillai en sueur. Au dessus de ma tête, un homme brun, au regard doux, la peau cuivrée, me sourit. Sa main vint toucher mon bras, rassurante. Ses gestes précis m’apaisaient et son visage m’était familier. Quand il me dit, « Comment vas-tu mon ami ?... Le voyage t’a-t-il apporté des réponses ? », sa voix me pénétra jusqu’au cœur. De mes yeux s’échappèrent deux grosses larmes et je me senti soulagé. J’étais dans le cabinet de Lalo, le chaman, médium qui exerçait dans un petit studio au cœur de Paris. Je me redressai sur le long fauteuil confortable, le remit en position assise et regardai la tasse sur la petite table à ma gauche. Ces herbes qu’il mettait dans son thé étaient incontestablement très fortes. Voire trop fortes, parce que j’étais simplement venu le consulter pour de stupides questions existentielles, pas pour un mauvais trip. Je n’arrivais plus à vivre ma vie, je n’avais plus de projets, je me sentais immobile… un petit coup de déprime. Rien d’exceptionnel. Je lui fis part de mon inquiétude sur le contenu des herbes, il éclata d’un rire franc et long. Les effets, apparemment, s’adaptaient aux besoins selon lui. Je payai, tout en m’interrogeant sur la provenance de ces plantes et sorti. Un peu groggy, je quittai l’immeuble et sur le trottoir un seul mot résonnait dans ma tête : Marine…
Quel trip ! Cha m'a n'est pas qui veut !!!
· Il y a presque 14 ans ·Bravo Merielle. J'ai été sur les dents jusqu'à la fin. Et j'en sors complètement chamanisée.
Gisèle Prevoteau
Un grand merci Mérielle pour nous avoir offert ces si bons et délirants moments de lecture. C'était vraiment Génial!!
· Il y a presque 14 ans ·lapoisse
Merci beaucoup. Merci d'avoir soutenu, accompagné, cette histoire jusqu'au bout. Merci pour ce voyage. Je suis très touchée.
· Il y a presque 14 ans ·merielle
La fin est vraiment surprenante, et bien amenée. Joli travail !
· Il y a presque 14 ans ·mls
Moi j'ai lu les 3 derniers d'un trait et je sui encore un peu sonnée ! Très bien écrit, beaucoup de rythme et de rebondissements et surtout, du suspens, ce qui n'est pas toujours évident à entretenir. Un grand bravo et un grand coup de coeur Mérielle ! Merci pour cette nouvelle TRÉPIDANTE.
· Il y a presque 14 ans ·nouontiine
J'ai commis l'erreur de lire ce texte avant les six premiers chapitres, ce qui m'a un peu spolié la fin ! Mais l'écriture est fluide et le sujet original, j'aime bien le style. Une petite déception sur les dernières lignes qui arrivent un peu trop vite à mon goût ;)
· Il y a presque 14 ans ·grenouille-bleue
Très belle fin Mérielle et surprenante ! Vraiment un travail remarquable et sur la durée ! Chapeau bas...
· Il y a presque 14 ans ·leo
Une apothéose! Cette nouvelle fantastique est fantastique, merci Mérielle.
· Il y a presque 14 ans ·PS: j'en veux encore...
meo