Pourquoi je n'ai rien fait?

divina-bonitas

J'écris ce texte comme promis, en réponse à un des auteurs de ce site, victime d'abus dans l'enfance, se demandant pourquoi il n'a rien fait en pareilles circonstances, se sentant encore coupable. Je réagis en écrivant plus longuement que par un commentaire, tant les larmes me sont montées aux yeux en lisant son texte.

J'ai vécu ce qu'on appelle aujourd'hui un inceste maternel. C'est tellement choquant que personne ne peut le concevoir et que le tabou persiste. Ceux qui se demandent à quoi ça ressemble peuvent chercher sur le net les témoignages de femmes qui racontent toutes la même chose. Je ne m'étendrai pas, ce n'est pas le sujet. Grâce à deux cancers, j'ai dépassé le cap de la honte et de la culpabilité sur ce passé.

Pourquoi un enfant ne dit-il rien? Comme toutes les victimes, d'abord parce qu'il a tellement honte, que parler reviendrait sur l'instant à se salir encore plus, que se taire ou se cacher est une solution (mauvaise) mais qui apparaît sur l'instant comme la seule possible, de repli protecteur provisoire, chaque moment de vie sereine étant apprécié au centuple, permettant d'espérer que l'enfer va s'arrêter.

Ensuite, comment un enfant peut-il parler de choses sachant que, dans beaucoup de cas de figure, personne le le croirait, qu'il risquerait en plus de passer pour un menteur, un affabulateur voire un pervers? Pour l'avoir vécu, c'est exactement ça, le temps passant d'ailleurs, c'est toujours pareil ou quasi. Avoir une quelconque crédibilité sur le sujet est une totale utopie. Enfant, c'est juste impossible.

Parfois, un enfant ne peut parler, du fait qu'il n'a pas totalement, en raison de son âge, conscience de la limite à ne pas franchir, croyant à tort, que dans les autres familles, la pratique est courante et acceptée. Le raisonnement est le suivant "personne n'en parle, donc c'est que ça doit être courant, "normal", les autres ne disent rien, si moi je parle, c'est que je suis une mauviette, les autres ne disent pas qu'ils ont mal, si je parle je passerai pour un lâche, les autres qui ne disent rien, ils sont courageux; il faut que je le sois aussi". 

Le problème de toutes les victimes d'abus, est de vivre avec la double peine évoquée dans l'article de cet autre auteur, à savoir la honte et la culpabilité. La honte d'être sale et la culpabilité de n'avoir pas réagi, sur laquelle s'ajoute parfois celle de l'avoir "mérité", d'être une mauvaise personne, que les autres en les martyrisant, sont encore bons car ils accordent une affection, mauvaise et perverse mais une affection quand même. 

Toute personne, même un enfant, victime d'abus sur son corps, est profondément meurtri dans son identité corporelle et psychique. Il devient juste impossible de se construire correctement en supportant des intrusions répétées dans son intimité. Plus les agissements sont répétés, moins il devient possible d'en parler, honte, culpabilité et perte de repères identitaires croissant de façon exponentielle. Comment attendre ensuite de quelqu'un qui "n'existe plus" qu'il agisse, se rebelle, parle? Toutes les capacités de réactions sont annihilées depuis longtemps. 

Le pire n'est d'ailleurs sans doute pas les actes en eux-mêmes, même s'ils sont abominables, mais effectivement, toutes les perturbations psychiques dont souffrent les victimes, lequelles finissent par se persuader un jour, qu'elles l'ont sans doute cherché, mérité, qu'elles sont mauvaises, moches, trop bêtes...Tout ceci est bien sûr absolument faux. Sauf que beaucoup d'adultes sont des aveugles sans canes blanches et sans chiens, certains par innocence, persuadés que de telles horreurs n'existent que dans les faits divers distillés par les médias, incapables de discerner le problème sous les multiples somatisations développées par les enfants: insomnies, ongles rongées, agressivité, peurs paniques, phobies, eczéma, pleurs, maux de ventre...pendant que certains sont juste peu cortexés et un poil lâches, se doutant bien comme Rantanplan que quelque chose ne tourne pas rond, sans jamais poser poser de questions - du moment que rien n'est évident!-, prendre l'enfant à part pour lui parler... 

Plus le problème se passe au sein de la famille ou du cercle d'amis, plus c'est pire. C'est l'omerta absolue! 

Même si la page est tournée, je reste révoltée par ces histoires. Combien de fois ai-je entendu: "on voyait bien que tu n'allais pas bien, que tu pleurais tout le temps, que tu étais toujours malade, que ta mère buvait, couchait, ses remarques cinglantes, ses yeux, ses attitudes..." Là, quelqu'un qui a vécu ça, a juste envie de hurler: "mais alors pourquoi toi l'adulte censée m'aimer et me protéger, tu n'as rien fait, rien dit?" 

Ce n'est pas les victimes qui devraient se poser la question de savoir pourquoi elles n'ont rien fait, parce qu'elles, c'est juste qu'elles ne pouvaient rien faire. Et ce ne sont pas toujours les plus proches qui peuvent réaliser ce qui se passe, car l'enfant, par amour et instinct de survie, va savoir dissimuler ce qu'il vit pour les protéger, ne pas les perturber et préserver parfois la seule relation qui lui apporte de la sécurité et de l'amour, lui permet de conserver une part identitaire intacte au fond de lui. C'est d'ailleurs en partant plus tard de cette part précieuse et enfouie, qu'il pourra se reconstruire, avec un peu de chance et beaucoup d'amour.

Ce ne sont pas les victimes qui doivent ressentir de la honte et de la culpabilité, mais les "bourreaux", à qui il convient de rendre absolument ces monceaux de vases putrides. Généralement, ils n'en veulent pas, mais il est nécessaire d'insister. Les cadeaux, ça se garde, mais tout ce qui revient à abuser du corps et de la confiance d'un enfant, n'est certainement pas un présent orné d'un ruban. Il convient de renvoyer aux expéditeurs les factures délivrées à tort.

Courage à tous ceux qui ont vécu des trucs de ce genre.

  • Un résumé complet de ce que peut ressentir un enfant victime d'abus... C'est très lucide, et courageux, plein de pudeur, mais aussi plein d'espoir et de force. Bravo...

    Il y a des phrases très fortes, et j'approuve complètement le : "il convient de rendre absolument ces monceaux de vases putrides. Généralement, ils n'en veulent pas, mais il est nécessaire d'insister. Les cadeaux, ça se garde, mais tout ce qui revient à abuser du corps et de la confiance d'un enfant, n'est certainement pas un présent orné d'un ruban. Il convient de renvoyer aux expéditeurs les factures délivrées à tort."

    Plein de belles choses à toi, et à tous les autres...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • Beau texte, qui résonne beaucoup .... Et si juste ....

    · Il y a presque 12 ans ·
    Illustration campagne avc

    lounalovegood

  • Merci pour vos commentaires. J'ai bien lu ton texte Mathieu et comprends très bien. J'entends chez beaucoup de vous, les douleurs et les peines. Je trouve intéressant que ce site permette de se retrouver. Les auteurs savent très souvent ce que c'est de souffrir. Steph, je te dirai mes démarches. Maintenant, en suis-je sortie? Tourner la page est une chose, avoir la certitude que c'est fini est un poil différent. Il faut du temps et énormément d'énergie, ça c'est sûr.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

  • Beaucoup de pudeur et de sincérité dans ce témoignage.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Adam orig

    sophie-l

  • Egalement... il suffit de peu de choses...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Skulltest

    apophis

  • je compatis...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Img 5684

    woody

  • ...merci...beaucoup.

    · Il y a presque 12 ans ·
    B3

    janteloven-stephane-joye

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