PROVIDENCE (Première partie)

mysterieuse

Une Saint valentin bien ordinaire s'annonçait pour Isabella. Plus d'amoureux ! Que des souvenirs, des photos, des émotions pour un parfum gravé dans sa mémoire. Elle qui affectionne tant la liberté et la solitude, voilà que tout à coup, elle regrettait de pas être enchaînée sentimentalement à un pseudo prince charmant des temps modernes.

 Le vertige de l'amour ! C'est cela qui lui faisait le plus défaut ! Ce branle bas émotionnel, cette fièvre incontrôlable, cette effervescence soudaine qui peuvent vous surprendre à chaque instant. L'amour est une sorte d'ivresse, un bouleversement intérieur que nul autre sentiment ne peut créer.

La rencontre est belle, la séduction troublante, l'inspiration alarmante d'émois fantasmés ou anticipés. Les serrements de cœur, les frissons affolants investissant le ventre, les papillons vibrant dans le sentier de Vénus.

A la seule évocation des symptômes amoureux, Isabella ressentit une fièvre prégnante investir sa peau, son âme. L'amour inverse la gravité.

Le désir faisait une approche timide, essayant de la charmer, d'étouffer ses inquiétudes de solitude. Elle n'était pas seule. Le reflet de son miroir lui renvoyait l'image d'une jeune et belle femme dont nul ne pourrait contester le pouvoir diabolique de séduction.

Ce soir, elle l'avait décidé, elle dînerait en tête à tête avec elle-même, elle ne répondrait qu'à la séduction de sa propre voix. Ainsi pas de déception. Qui mieux la connait qu'elle-même. Un tête à tête amoureux avec son âme. Un peu de poésie, un soupçon de révolte, qui la contredirait ? Pas elle c'est sûr ! Elle pouvait même se surprendre, se séduire, qui sait, peut-être tomber amoureuse de son moi.

A trop douter, on finit par s'éloigner de soi. Un recadrage était nécessaire, un zoom indispensable. Quitte à se faire du cinéma, autant user des stratagèmes artificiels de la mise en scène.

Le dîner serait léger mais pas frugal. Il y a dans la cuisine une sensualité raffinée, une alliance des sens, tous les sens. La bouche prend une nouvelle destination lorsqu'elle déguste, salive, enrobe … Les saveurs effleurent les narines …Le bruit d'une bouteille de champagne qu'on débouche nous murmure les bulles avant qu'elles ne coulent dans nos gorges et émoustillent nos papilles.

Avant sa mise en beauté pour ce tête à tête improvisé, elle dressait une table pour deux, sobre mais élégante. Puis elle déposait en son centre, un chandelier idéal pour son reflet. Elle prenait soin d'installer son invité, un miroir doré, face à elle.

Dehors, la nuit était déjà bien installée. D'ordinaire, elle aurait tiré les lourds rideaux pour s'isoler du monde extérieur. Mais ce soir, elle laissait les lumières citadines filtrer dans le petit appartement. Une ambiance particulière y régnait, un érotisme étrangement exacerbé par le défaut d'une présence masculine. La complicité était ailleurs, les lumières citadines son allié.

Dans son reflet vacillant entre les flammes des bougies chancelantes, elle se trouvait belle, les cheveux en broussaille, à peine maquillée. Elle aimait celle qui la regardait, cela ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps.

Une douche vivifiante, plus tard, elle choisissait avec une élégante application, la lingerie appropriée à sa sensuelle mise en scène. Le rebond de ses fesses prenait une nouvelle dimension sous les quelques grammes de dentelles dont elle harmonisait sa fine silhouette. Guêpière, bas couture …Elle n'épargnait rien à sa métamorphose vampirisante.

Pas mal, songeait-elle, en virevoltant devant sa convive miroitante.

Elle glissait juste une robe légère sur ses apparats féminins, puis interrogeait son miroir

Vous prendrez bien une coupe de Champagne ?

-Avec plaisir ! »

 Avec empressement, elle faisait sauter le bouchon, laissant déborder largement la boisson écumante. Puis elle servait un verre à son moi avant de se servir une coupe.

Ses pas la guidaient machinalement vers la fenêtre, devant laquelle, elle entamait une danse sensuelle face à l'anonymat des voisins. Voilà des semaines que les lumières de l'appartement d'en face ne brillaient plus …la mélancolie la rattrapait un instant. Pourquoi songeait-elle soudain à cette pièce vide désertée de ses anciens occupants ? Etrange réflexion pensait-elle ! l'appartement était vacant , qui serait donc le prochain locataire ? Elle buvait cul sec son breuvage et se réservait une coupe. La musique envahissait à présent sa tête au même rythme que les vapeurs d'alcool. Elle entamait à nouveau un ballet improvisé, s'effleurait, caressant au passage ses formes harmonieuses. Ses désirs pouvaient à tout instant la faire dériver vers des caresses solitaires, mais tel n'était pas son envie …Plus tard peut être !

Son portable vibrait …la sonnerie insistante de son four l'interpellait …Il était temps de passer à table ! Les sonorités d'une vie ordinaire l'arrachaient à son scénario.

Elle ouvrait machinalement la fenêtre, respirait à plein poumon, l'air vivifiant de la nuit …

« Tiens c'est étrange, il y a de la lumière dans l'appart d'en face ! Un soupçon de vie ? »

Avant que de s'installer à table avec son reflet, elle lui proposait quelques toasts.

« Délicieux, délicieuse …ce regard me parle !

-Le vôtre aussi »

Autant dire que le repas n'allait pas s'éterniser. Le jeu commençait à tourner au pathétique ! Mais pour autant aucune tristesse ne s'emparait d'Isabella. Elle détestait la Saint Valentin. Enfin, elle la détestait hors célibat …Trop commercial, trop …mais esseulée, cette fête venait à lui manquer. Une réaction surdimensionnée à la solitude !

On venait de sonner à la porte. Encore le voisin d'à côté surement. Un vieux grincheux qui ne supportait que le volume assourdissant de son poste télé.

« Oui, Monsieur Garnier grommelait-elle, en ouvrant la porte, je vais baisser le son, mais par pitié, baissez aussi votre télé

-Bonsoir ! »

Un bouquet de rose, entravait l'embrasure de la porte !

« Mademoiselle Isabella ?

-Oui elle-même. Je suis vraiment désolée, je pensais que c'était mon voisin grincheux !

-Une livraison pour vous !

-Pour moi ?

-Oui ! Une carte ?

-Oui, voilà !

-Axel ? Mais je ne connais pas d'Axel !

-Vous ne le voulez pas !

-Si bien sûr, mais entrez ! »

Elle se saisissait du bouquet et découvrait enfin le livreur largement camouflé par les fleurs odorantes.

« Ah oui, quand même !

-Pardon ?

-C'est le destin qui vous envoie ? Laissez-moi me frotter les yeux, pincez-moi, je ne sais pas, faites quelque chose … Comment vous dire, je suis en train de dîner avec moi-même, alors je serais très heureuse de partager mon repas avec vous ! Une petite coupe ? Je ne sais pas qui est cet Axel, mais je l'aime déjà ce garçon. Alors c'est oui ? Mais peut-être avez-vous d'autres livraisons »

Elle prenait soudain conscience de son monologue.

« Oh je suis vraiment désolée, je parle, je parle …Mais je ne vous retiens pas ! On vous attend peut-être. Cette putain de Saint Valentin …Pardon !

-C'est ma dernière livraison …et personne ne m'attend »

Elle virait avec force le miroir solitaire et invitait son hôte à s'installer à sa place !

« Une petite coupe ?

-Avec plaisir ! Pourquoi avez-vous dit « Ah quand même » ?

-Quoi ? Un petit toast ?

-Quand vous m'avez découvert, vous avez dit « Ah quand même » ? Pourquoi ?

-Aimez-vous le poisson ?

-Vous êtes toujours comme ça !

-Quand je ne veux pas répondre toujours …

-Ca commence bien…Je crois que je vais vous laisser !

-Non s'il vous plait, en définitive dîner avec mon reflet ne me plait guère. Je me connais si bien. Vous, je peux vous découvrir…

-Moi aussi je vous découvrirais bien …répondez moi !

-Bien, je te trouve tout à fait à mon goût et les rencontres insolites me font le plus bel effet !

-Je traduis …Je te plais !

-Oui plutôt …le tu c'est une approche ?

-Tout au plus un tutoiement amical ! 

-Bien tu connais mon prénom, mais comment t'appelles-tu ?

-C'est important ? Appelle moi Providence !

-Bien Providence, trinquons »

 

Les verres s'entrechoquaient dans un joli son cristallin …L'entame du repas se déroulait dans la simplicité d'une amitié naissante. Isabella se surprenait à beaucoup rire. Providence, avec beaucoup d'humour et de détails anecdotiques lui racontait les truculentes livraisons dont il avait été victime. Elle était belle dans ses fous rires, elle était belle dans ses silences, dans ses allées et venues entre la cuisine et la table. Pas une faute ne venait rompre son élégance naturelle. Oubliant Valentin, Cupidon et ses jeux de séductions, elle n'en était que plus ravageuse. Providence la regardait évoluer avec beaucoup d'admiration…Elle était très légèrement en état d'ivresse, juste le nécessaire à la désinhibition pour une parenthèse dans l'ordinaire d'une vie sans mystère.

Sous l'emprise de la douceur de la soirée providentielle, Isabella rattrapée par ses émotions sensuelles, rougissait sous le regard insistant du livreur. Elle s'échappait de cette bulle affective, détournait la discussion, en ouvrant à nouveau la fenêtre. Une bouffée d'air frais apaisait sa fièvre.

« C'est étrange, j'aurais parié avoir vu de la lumière dans l'appart d'en face.

-Et ? C'est important ?

- Oui j'aimerais bien savoir qui va emménager. » 

Le jeune homme rejoignait Isabella à la fenêtre, se positionnant au plus proche de son hôtesse. Un parfum d'érotisme leur retournait les sens. Le temps n'était pas au romantisme. Les chairs torturées par l'appel de l'autre grondaient sous les tissus, les lèvres se retenaient d'exhaler la moindre fièvre délatrice de leur attirance.

Ni l'un, ni l'autre ne se laissaient aller à leur désir à cru, ce magnétisme charnel qui fait que deux corps dans l'émotion de l'instant, se laissent emporter par leur instinct. Mais pour autant leurs désirs respectifs transpiraient de leurs pores. Combien de temps durerait la retenue. Ni l'un, ni l'autre n'en avait plus ni la capacité, ni la volonté.

Baiser sur des ruines est aisé, quand l'Amour n'est pas au rendez-vous. L'amour sans flambeau enflamme les peaux à la place du cœur. Deux corps- aimants luttaient sans conviction pour ne pas succomber.

 

 

 

 

      

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

    

 

 

 

 

 

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