Purple

jeff-balek

Voici un reportage "subjectif" que j'ai écrit il y a quelques années. ce papier m'est particulièrement cher.


Latitude, 10° 46' nord. Longitude, 106° 43' est.
Tout ça commence sur un tarmac que le climat porte à près de 40° C.
Tout ça commence avec 200 orphelins de quelques mois, quelques années tout au plus.
Tout ça commence sous les roquettes qui s’abattent sur un aéroport.
Ce jour là, Purple va quitter le Vietnam.

Mais tout cela a peut-être bien  commencé quelques semaines auparavant.
Le 3 avril 1975 par exemple quand le Président Ford a ordonné l’opération Babylift, qui vise à évacuer un maximum d’orphelins du Vietnam.
Ou bien plus tôt encore, dix ans plus tôt, lorsque les Etats-Unis sont entrés formellement dans un conflit armé avec le Nord Vietnam, lorsque le napalm a enflammé les villages et que l’agent orange s’est répandu en pluie sur des dizaines de milliers d’hectares de forêt.
Nous sommes le 26 avril 1975.
Purple a trois mois. 
Purple, c’est ce qui est écrit sur sa fiche de transit, car cette petite fille porte un petit pyjama violet. Purple est orpheline.
Les sœurs de la Providence l’ont recueillie à Soc Trang, une bourgade du centre du Mékong le 16 février 1975. Une enfant parmi tant d’autres jetée à l’affection de ces femmes. 
Une enfant née dans feu et la  démence. 
Le 24 avril, Purple est évacuée sur l’orphelinat de New Heaven à Saigon.
Depuis quatre jours les forces du Nord Vietnam encerclent la ville.
Précédés par la vague de terreur qu’ils inspirent, les communistes vont envahir Saigon dans quelques jours.

Le 26, très tôt le matin, enfants et bénévoles montent dans des bus en direction de l’aéroport de Saigon. Les bus n’arriveront à destination qu’à huit heures, de nombreux parents entravant leur route. Ils ont leur enfant dans les bras. Ils veulent qu’il parte loin de l’enfer. Ils supplient les bénévoles de prendre leur fils ou leur fille avec elles.
Puis c’est l’attente.
Dix heures sur le tarmac chauffé à blanc pour attendre un avion qui ne viendra peut-être jamais.
Les roquettes s’abattent régulièrement sur la piste. 
Il fait trop chaud. 
Les conditions sanitaires sont précaires. 
Des bébés meurent dans les bras  des femmes qui les accompagnent.

C’est un C141 qui se pose finalement.
Un avion de transport non climatisé. Un simple ventre d’acier.
On s’engouffre dans l’appareil. 
Sur les quelques sièges de l’avion, on ceinture les enfants tant bien que mal. On pose les autres à même le sol du C141 dans des boites qui pourraient être de simples boites à chaussures.
L’appareil décolle et ce sont les portes d’un autre enfer qui s’ouvrent.
Pas de médicament, pas de lait et dix heures de vol jusqu’à Guam.
Des enfants meurent. Encore.
Dix heures de vol, c’est beaucoup trop.
Le pilote refuse de se dérouter vers l’aéroport  militaire de Clark dans les Philippines, bien plus proche que celui de Guam.
Une bénévole hurle et agite le cadavre ballotant d'un nourrisson sous le nez du pilote qui accepte finalement de se poser.
« Dans dix heures ils seront tous comme lui ! »
Purple est malade.
Moins que certains autres, ce qui lui permettra de partir pour Seattle le 29 avril.
Elle est sauvée de l’enfer par l’affection, la volonté et le courage de certains.
Elle a pris le dernier avion du Babylift.
Une vie s’ouvre à elle.

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