Quand l'Alsace s'invite au Mont Aigoual

Mathieu Jaegert

Suite de "Episode cévenol et poésie anisée"...

Yves, inspecteur reconnu au très renommé Guide Universel des Journées Mondiales, arrive au Mont Aigoual pour achever sa mission sur la Journée Internationale des zones humides. Dans un coin de sa tête subsistent les revendications des Alsaciens vexés de ne pas avoir de Journée Mondiale de l’Alsace au contraire de la Corse. L’épisode qui suit offrira peut-être l’opportunité de rassurer les Alsaciens…Ou pas.

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La station météorologique du Mont Aigoual semblait sereine, perchée pourtant sur un pic soumis aux éléments hostiles. Vents tempétueux, trombes d’eau et bourrasques neigeuses venaient la caresser tour à tour mais ne semblaient pas en mesure d’altérer son calme. Les dépressions portaient bien leur nom, elles venaient s’échouer sur ses contreforts, déprimant ainsi un peu plus. Les perturbations se voyaient quant à elles destituer de leur titre en abordant la station et n’avaient soudain plus rien de perturbatrices. Elle aussi avait dû faire de la Journée Mondiale de la lenteur un leitmotiv permanent. Ici, la rigueur climatique s’opposait à la rigueur clinique des enregistrements du site. Tout était mesuré et calculé par des machines, mais également par des hommes. C’était la dernière station habitée du pays.

Martin, en descendant de la voiture, s’était tourné vers Yves :

« J’ai un collègue qui bosse ici

-          Un collègue ? Un ancien collègue ? Tu as travaillé ici ?

-          Mais non, un collègue, un copain quoi…

Yves venait de se rappeler que dans le Sud-Anis, tout ami était collègue, et que les collègues devenus copains étaient donc des « collègues collègues ». Bref, une nouvelle particularité que l’inspecteur s’était empressé d’inscrire dans ses notes en vue d’alimenter une rubrique de la Journée Internationale de l’amitié en juillet.

En plus de José, le collègue de Martin, deux agents de Météo France étaient présents ce jour pour accueillir les deux hommes. Robert, Alsacien installé sur les pentes cévenoles depuis une quinzaine d’années, et Brice, jeune technicien fraîchement débarqué de sa Bretagne natale. Le premier, quinquagénaire jovial au visage joufflu et au ventre marqué d’avoir pratiqué abondamment les spécialités culinaires alsaciennes, ponctuait ses phrases de « Hoplà » savoureusement accentués. Brice se tenait en retrait, comme méfiant.

Yves souriait intérieurement et son sourire prenait de l’ampleur avec l’idée qui germait dans sa tête au fur et à mesure des explications des prévisionnistes. L’Alsacien n’avait pas que « Hoplà » à la bouche. L’injonction ne lui servait d’ailleurs qu’en début de phrase, comme pour intimer l’ordre de le suivre dans la visite. Là où les autochtones reléguaient certaines prépositions aux oubliettes, l’Alsacien les faisait ressurgir en fin de phrase, distribuant ici ou là quelques « du », remplissant à la fois le rôle d’enjoliveur et la fonction de conjonction de coordination vers le « hoplà » suivant. Yves en était déconcentré, lui qui était pourtant bien ici pour parachever son travail sur la Journée Mondiale des Zones Humides. Robert avait transmis le témoin à Brice après l’ultime explication qui avait replongé l’inspecteur dans l’incrédulité la plus totale :

« Voilà Monsieur l’inspecteur, un bon épisode cévenol et y a de quoi être trempe en moins de cinq minutes ! »

-          Trempe ?

-          Trempé, quoi !..Oui, je sais, à moi aussi ça m’a fait bizarre ce jargon, et les libertés qu’ils s’octroient. J’en ai tombé mon stylo plus d’une fois. Je veux dire, j’en ai fait tomber mon stylo. Oui, ici, le verbe « tomber » est plus souvent transitif que partout ailleurs en France !

Le grand Robert distillait sa leçon grammaticale à coups de locutions alsaciennes. Le verbe haut et sûr, il avait pris le temps de s’épancher sur le sujet comme les pluies automnales s’épanchent sur la région.

-          Merci beaucoup ! C’était très instructif !

-          Service !

Yves avait aussitôt marqué un temps d’arrêt vite comblé par Martin cette fois.

-          Leur façon à eux, les Alsaciens, de dire « de rien » !

-          De quoi dévarier, comme vous dîtes ici, le Normand que je suis !

 Un fou rire général avait brusquement rempli la station météo.

Yves était bien décidé, aussitôt la quiétude de sa chambre retrouvée, à soumettre à Huckminz l’idée qui lui était venue. Il fallait à tout prix créer une journée internationale de la langue maternelle. Et pour couronner le tout, dans un geste d’apaisement, proposer au Comité alsacien d’en être le fer de lance. Ca ne payait pas de mine mais ça pouvait lui sauver la face dans ses déboires avec le très exigeant Schlecker !

La réponse du patron avait été cinglante :

« Mais ça va pas ? Les Alsaciens sont français, ils parlent le Français ! Ils ont beau défendre leur dialecte, tu les vexerais ! Très mauvaise idée Yves ! Et je te vois arriver, ne songe même pas à un séjour gastronomique dans le vignoble alsacien !

-          Ca va pas, patron ?

-    Non ça va pas, je convoque en urgence une conférence de presse pour justifier la présence de la Journée du patrimoine canadien dans le Guide. Il paraît que pas un Canadien n’était au courant de son existence ! C’était une idée de Pierrick. Mais quelle bande d’incompétents ! On joue notre réputation, bon sang !

-  Tabernacle, avait conclu Yves dans une envolée qui se voulait moqueuse, mais Huckminz avait déjà raccroché.

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