Que faire de moi ?

Je ne pense pas avoir été très utile à mes contemporains de mon vivant, je le serai de mon mourant. Ma décision était prise. Je ferai don de mes organes pour sauver des vies qui le méritent ou ne le méritent pas d'ailleurs, mais peu importe. Un chirurgien se pose-t-il la question : « dois-je sauver cet homme qui bat sa femme ? Non, il le sauve ! » Tant pis pour la femme quand l'homme aura repris toutes ses forces. Pas grave ! Le chirurgien la sauvera à son tour, elle aussi, comme ça, ça recommencera il faut bien entretenir le business. Si les hommes étaient toujours en bonne santé, où en serait la médecine ?

Je me dirigeais donc vers l'hosto le plus proche pour leur faire part de ma générosité altruiste qui mérite le plus grand des respects, quelle ne fut pas ma déconvenue, en apprenant que le don d'organes se faisait d'office, à présent et que c'était l'inverse qui devait être consigné si, par radinerie, on préférait être bouffé en son entier par les vers ou être crémé, selon le TLF, cramer, selon moi, dans son intégralité organique. (Organistique, c'est pour le cul bénit qui joue derrière ses tuyaux à la messe.)

De toute façon l'interne, que je vis, me fit comprendre que, vu mon âge, il n'était guère intéressé par la vétusté de mes organes. Le foie, je ne dis pas, mais mon sexe est tout neuf, jamais servi ! Je mets un point d'honneur à arriver devant Saint Pierre dans un respect total de l'abstinence sexuelle. Même mon fils fut conçu par insémination accidentelle.

M'en fous, je donnerai mon corps à la Science, pour que des carabins s'amusent au tactac avec mes testicules. Il faut bien qu'ils apprennent à sauver des vies, non ?

Je me dirigeais donc vers la Fac de Médecine la plus proche. Je fus reçu par une fonctionnaire préposée à cette réception.

-         Bonjour, monsieur, votre décision est-elle irrévocable ?

-         Oui ! Je vous promets de ne pas changer d'avis à titre posthume.

-         Très bien. Nous allons remplir les formulaires.

-         A la bonne heure ! Répondis-je, fier d'être utile à quelque chose pour mes semblables, mes autres moi-même.

-         Comment réglez-vous, par carte bancaire ou chèque ?

-         Pardon ?

-         Les frais !

-         Quels frais, je fais un don !

-         J'entends bien, mais croyez-vous que ce soit gratuit un corps. Il faut le conserver en chambre froide, vérifier qu'il soit conforme à l'enseignement de l'anatomie clinique, constater qu'il ne soit pas porteur de virus ou de bactéries pathogènes pour nos étudiants ?

-         Je peux être recalé, alors ?

-         Bien sûr ! Et toutes ses opérations ont un coût.

-          C'est combien ?

-         3563€ TTC, c'est-à-dire, Tête, Tronc et Couilles, tout compris.

-         Ah, quand même !

-         Ceci n'est rien comparé à ce que devraient payer vos héritiers pour des obsèques classiques.

-         Ecoutez, madame, je crois que je vais réfléchir encore un peu.

-         Vous croyez… vous croyez… vous croyez que je n'ai que cela à faire que de perdre mon temps avec des girouettes ? Adieu, monsieur et ne revenez plus nous voir !

Je partis dépité en morceaux, mais qu'allais-je donc faire de mon cadavre, alors, puisque la Société ne semblait pas décider à me recycler.

Par chance, je connaissais un pote anthropophage, il m'avait parlé, une nuit bien arrosée, de son engouement pour cette pratique alimentaire singulière. Ouf ! J'étais sauvé !

Je lui téléphonais sur-le-champ, mais il me répondit de passer le voir, car il ne parlait pas de cela au bigophone, Quel gros parano, celui-là, quand même ! Je me rendis donc chez lui.

-         Salut Vé ! c'est quoi cette dernière lubie ?

-         Ce n'est pas une dernière lubie, c'est une lubie ultime je ne sais pas quoi faire de mon cadavre.

-         Eh, attends ! Tu me prends pour un charognard ou quoi, je ne mange que les corps que je tue. Je suis un chasseur, moi ! Et je choisi mes proies en bonne santé, alors que toi, sans vouloir te vexer… tu me comprends ?

Je partis fâché contre mon ami, qui était fâché contre moi, car le ton avait monté, bref, nous étions fâchés tous les deux, l'un contre l'autre, en somme et je n'étais pas prêt de le réinviter à bouffer à la maison, le gourmet, non mais !

Je n'avais pas résolu mon problème, quand une Camarde zélée et affutée sur les quotas à respecter pour avoir de l'avancement, me faucha par surprise et par derrière, la lâche. De face, je lui aurais dit, en face, qu'elle avait une sale gueule à l'haleine fétide de vieille hyène pelée et qu'elle aurait pu soigner sa présentation pour venir me demander de sortir avec elle. Que croit-elle, celle-là ? Que je sois un garçon facile ! Enfin, je lui aurais dit tout le mal que je pensais de ses méthodes.

Bref, j'arrivais devant le geôlier du paradis, serein et l'esprit tranquille. Saint Pierre me reçut par ces mots.

-         Tiens, voilà l'autre grand couillon de puceau ! J'espère que tu vas arrêter de faire ton pygmalion de vertu ici, car nous on n'aime pas excessivement l'esprit de dévotion extrême, de martyre à quatre clous, on n'aime pas les fayots, compris !

-         Vous ne voulez pas de moi.

-         Bien évidemment que non ! On ne veut pas d'un gus qui va nous faire des leçons de morale à tous les vents et nous saper le morale à longueur de temps, déjà que l'éternité, c'est long !

-         Je suis recalé, alors ? Vous ne voulez pas de mon corps ?

-         Ni corps, ni esprit, ni âme, ni sœur, ni rien, retourne faire ton mariole sur Terre !

On peut dire que je n'ai vraiment pas de chance avec la mort, moi ! Je suis damné à vie ! Je suis condamné à Vivre ! Consigné pour l'infini de l'éternité sur Terre ! 4.5 Milliards d'années à encore attendre encore, merde à la fin !

FIN