Que je vive

iciailleurs

Je suis perdue. La tête me tourne. Mon coeur bat. Mes mains se brouillent. Mon regard vacille. Je quitte ma peau, en retrouve une autre, plus ferme, plus dure, plus dense, plus tendre aussi. Je me fonds dans une alcôve calfeutrée, enivrée des parfums capiteux de tous ces corps qui me rudoient de leurs mains, de leurs doigts, de leurs ongles. Du plat de la main, aux doigts qui font prises, sur ma gorge ou mes seins, ces lèvres qui sucent ou qui mordent, qui traînent, qui caressent ou tiraillent, ces pinces et ces griffes, mécaniques froides ou animales. Leur sang que je crois froid, mes veines que je sens chaudes, brûlantes, tuméfiées et brûlées. Le feu couve et ma raison faiblit. Sous le coup des caresses, calmes ou cuisantes. Je change de peaux, me transforme et mue en une autre femme. Je me lave en une douche sucrée salée d'humiliations, ensevelie des mots que ces bouches énoncent à mon encontre. Je rebondis dans une salle close, sans fenêtre, ni porte. J'asphyxie celle qui fait mon siège jour et nuit, je me tue par a-coup en me mettant à nue, je m'expose et me livre. Lancez-moi ! Bousculez-moi ! Faites-moi heurter vos bras que je tombe à vos pieds, faites-moi plonger dans vos yeux que ke me noie pour nager, brisez-moi de vos tempêtes démentes. Châtiée par les mots de ces femmes qui m'attaquent de toute part, une meute de louve certaine de l'issue de l'assaut, jouant de moi comme une chatte le fait de ses proies. Un coup de patte, un coup de griffe superficiel, plus tard une morsure presque mortelle, jusqu'à m'éventrer pour sentir le sang, jusqu'à me décapiter pour faire jaillir une autre vie.

Mon corps résiste et retient encore ce qui peut être retenu. En apnée, le plus longtemps possible. Garder pour moi mon dernier souffle. Longuement. Je sens mon corps qui sue eau et sel. Je sens mes jambes qui ne portent plus. Je cours au plus haut des sommets pour longtemps marcher dangereusement sur le fil, plus que l'issue, plus que le sommet à vaincre, c'est le chemin qui me porte, après..., après il sera temps de redescendre, de sauter dans le vide, jusqu'à revenir démembrée contre le sol d'où je suis partie, après je chercherai à me rassembler. Mais pour l'instant, jetez-moi ! que je m'éparpille, que je me dissolve, que je me tue, que je vive. L'autre, c'est une autre moi, le temps d'une valse entre moi et cette autre moi, ces moi et tous vos bras, sous vos chuchotements, noyée entre vos cris et les miens, vos délires, vos insultes, vos sarcasmes, votre amour, vos désirs malsains, sous la mainmise de vos imaginations débridées, poussez-moi à bout, que mon corps ne soit plus mon entrave, que mon corps et ma tête ne fassent qu'un. Une masse, une nasse, un tas de terminaisons sensibles et nerveuses où la pensée n'est plus là que pour conduire à l'extase sans objet.

Je me sens emportée, sonnée, bientôt K.O., il m'en faut encore, encore un peu, et je sens que je suis proche, toute proche. Me voilà brouillonne, désorientée, la tête tourne et mes pensées sont mikado, piquez, plantez, tirez fort que mon château s'écroule, prenez-moi dans vos bras, ça y est, tout vient, tout part, tout se répand. Je ne suis plus moi.

Mon corps.

Volcan.

Ma tête.

Lave.

Mes lèvres chantent mon bonheur cuisant de ne plus être.

Et de renaître.

Enfin.

  • Une renaissance peu banale ! pouvoir des mots

    · Il y a presque 13 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • j'aime ton écriture qui explore les côtés les plus sombres de soi... une écriture virtuose, acérée. Bravo....

    · Il y a presque 13 ans ·
    120x140 image01 droides 92

    bleuterre

  • C'est exactement ça, ça bouillonne, ça rentre en éruption, ça déborde, ça s'éparpille... C'est terriblement dérangeant, crispant, et même dangereux. Il arrive un moment où ce n'est plus un jeu, cela prend une dimension terriblement hasardeuse. Ébouriffant. CdC, évidemment.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • oui, ça fait bouillir le sang! bravo!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Img 0052 orig

    Karine Géhin

  • Oui, ça déborde, ça me déborde. Ca me fait peur cette dissolution, heureusement à la fin, il y a renaissance. Surtout ça foisonne de mots, d'images, de sensations, le style qui tourne la tête. C'est de l'art, voilà.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • "Mes pensées sont mikado"
    Toute la valeur de ce texte pour moi est là

    · Il y a presque 13 ans ·
    Jardin des plantes 037 195

    lilaa

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