Roulette finlandaise [Club Jetez l'Encre]

octobell

Tremblant de tous ses membres, Joe avançait dans cette neige épaisse avec difficulté, les bras serrés autour de son torse. Il n’était pas habitué aux températures rudes de la Finlande. Le bout de son nez était tout rouge, et il ne sentait plus ses doigts, ni ses pieds. Néanmoins, il continuait à avancer, s’éloignant de la ville à pas pressés, jetant frénétiquement des coups d’œil derrière lui.

Il le suivait, il en était certain. La neige qui tombait formait un épais rideau qui obstruait sa vision, et les gens qui passaient autour de lui n’était rien de mieux que de vagues ombres floues, mais il savait qu’Il le suivait. Il le sentait.

Le bruit de la ville s’éloignait de plus en plus. Les silhouettes étaient de plus en plus distantes, jusqu’à disparaître complètement. Il traversa un pont, et il eut l’impression de passer dans un univers totalement différent. Le paysage qui s’offrait devant lui était blanc, monocorde, et à quelques mètres, légèrement plus bas, il pouvait voir le sommet d’une forêt de pins, qui délimitait probablement l’un des quartiers externes de l’étrange ville d’Helsinki.

Joe sortit de la route et se mit à courir en direction de la forêt, ses bottes s’enfonçant dans la neige avec un bruit sec qui ne se répercutait pas dans l’air immaculé de toute nuisance sonore. Sa respiration saccadée parvenait néanmoins sourdement à ses oreilles, l’enfermant plus encore dans cette bulle intemporelle que le paysage finlandais conférait. Il vacilla sur les derniers mètres, finissant l’ultime descente jusqu’à la forêt sur les genoux, glissant jusqu’au pied d’un arbre sur lequel il s’accrocha pour se relever.

Il tourna une dernière fois la tête vers l’étendue blanchâtre qui séparait la ville de la forêt, mais il ne voyait nulle trace de Lui. Probablement l’avait-il perdu. Joe eut un imperceptible éclat de rire qui ne se trahit que par la buée qui jaillit de ses lèvres entrouvertes. Et alors qu’il faisait volte-face pour s’enfoncer dans la forêt, un poing s’écrasa sur son visage, le freinant dans le concept même d’avancée.

Il s’effondra par terre, assommé, et son assaillant se jeta sur lui. Mais il ne lui laissa pas l’opportunité de profiter de sa faiblesse passagère. Il s’agrippa à son manteau et ils roulèrent sur le sol enneigé, laissant de profondes traces de leur passage. Joe cogna à son tour sur son visage, profitant de l’amorti de ses gants pour frapper avec plus de force encore, se défouler, exprimer sa rage à travers ses poings qui n’en finissaient plus de frapper.

« Arr…. STOP !! S’écria l’homme à terre en se couvrant le visage avec ses bras. Joe s’arrêta alors dans son mouvement, écarquilla les yeux un bref instant, avant que la rage ne le prenne à nouveau. Il s’empara à deux mains du col de son ennemi et le souleva jusqu’à lui.

- Pourquoi ? Demanda-t-il en italien, grimaçant à l’idée d’employer cette langue qu’il exécrait à présent.

- Lâche-moi d’abord… » Souffla Benicio Lorca, son ancien ami et complice au sein d’I Sette Dragghi.

Joe plongea son regard polaire dans les yeux sombre de celui qu’il avait considéré comme son meilleur ami. Son acolyte, celui qui l’avait suivi depuis le tout début dans la montée des échelons de la mafia italienne. Celui qui le conseillait, qui le tempérait. Celui qui avait été témoin de son passage à l’âge adulte, de sa première torture, de son premier meurtre, de son premier amour. Celui qui devait l’accompagner jusqu’à la mort.

Celui qui avait été envoyé pour le tuer aujourd’hui.   

Ses doigts s’écartèrent et il relâcha Benicio, qui s’écrasa lourdement sur le sol dans un vague grognement. Joe se redressa et s’enfonça de quelques pas dans la forêt, sans craindre une seconde de lui tourner le dos.

« J’ai pas le choix… Expliqua l’espagnol, qui s’était redressé à son tour. Tu sais très bien qu’on n’a jamais le choix, Gio ! C’est toi… ou c’est moi ! »

Joe se retourna lentement, jaugeant le jeune homme d’un air encore plus glacial que le froid qui les environnait.

« Qu’est-ce que tu aurais fait, le cas inverse, hein ? Continua Benicio. T’aurais envoyé Ferro se faire foutre ? Tu lui aurais ri au nez ?

- Tais-toi, tu me fatigues. » Intima sombrement Joe, et Benicio ne se déroba pas à cet ordre.

Dans le silence virginal de la forêt enneigée, ils restèrent plusieurs secondes immobiles à s’affronter du regard. Benicio fut le premier à bouger, mais à peine avait-il eut le temps de cligner des yeux que Joe le menaçait déjà de son revolver.

« Tu as raison, dit-il. C’est toi ou moi. 

Benicio leva lentement les mains en l’air, secouant la tête en ricanant amèrement.

- Gio… »

Mais Joe, au lieu de presser sur la détente, fit basculer le barillet, duquel il laissa s’échapper toutes les balles, sauf une. Il le réarma et le fit tournoyer d’un simple geste, le tout sous le regard interloqué de Benicio.

« On laisse ça au hasard, Ben. Si tu me tues, tu pars gagnant. Si je te tue… Tant pis pour toi. Si on se rate tous les deux… »

Il laissa s’installer le silence à nouveau, avant de hausser les épaules.

« La course reprendra. »

Sans s’assurer que son ancien comparse ne valide les termes de cette roulette russe, il lança le révolver dans sa direction. Benicio n’hésita pas une seconde et tendit immédiatement l’arme en direction de Joe.

Clic.

Leurs regards se croisèrent.

Et avant que Benicio n’ait pu tirer à nouveau, Joe s’était jeté sur lui pour s’emparer de l’arme, le renversant au sol. Il se plaça à califourchon sur lui et pointa férocement le canon sur son front, les traits déformés par la fureur.

« Non ! Non ! Non ! » S’exclama l’espagnol en fermant les yeux, trop faible pour affronter la mort en face. Les traits de Joe se fermèrent et il n’hésita pas une seconde.

Il pressa sur la détente.

Le coup de feu résonna dans toute la plaine et le silence qui s’en suivit fut probablement le plus macabre que Joe eut jamais ressenti. Ses yeux bleus restèrent quelques secondes accrochés aux restes de Benicio Lorca, avant qu’il n’essuie de son avant-bras son visage éclaboussé de sang. Son meilleur ami. Benicio avait été son meilleur ami. Joe ne savait pas à ce moment-là que le vide qui l’habita soudainement ne le quitterait plus. Jusqu’à sa propre mort.  

  • Ambiance polaire (je parle des sentiments autant que du climat !) très bien rendue. Tu maîtrises parfaitement le policier. Bravo. Du coup, tu nous laisses frustrés de revoir le finlandais voleur... de vie !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Très sympa la tension est palpable! Très bien rendu.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Fb black

    laera

  • j'adore l'atmosphere qui regne dans ton texte c'est glacial...

    · Il y a presque 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • @Rafi : J'ai beaucoup écrit sur ce personnage, et cette histoire-là est un point de départ (même si c'est un des derniers trucs que j'ai écrit sur lui), j'ai surtout écrit sur l'après. Alors p'tet que comme pour Ira et Gale, je posterai d'autres trucs à l'occas' ^^. Mais bon... c'est des trucs bien trop longs pour entrer dans le cadre du défi lol

    @Reverrance : Pauvre tué ! Merci en tout cas :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • bien vu cette roulette russo-finlandaise... L'on arrive à trouver plus humain le tueur que le tué :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Tyt

    reverrance

  • Un texte sombre, mais brillant ! (oui bon elle est pas terrible ^^')
    Plus sérieusement, j'ai beaucoup aimé, l'atmosphère du lieu, du temps, ajoute beaucoup au coté presque solennel de ce dernier duel. En fait, ton écriture à pleins de facettes, que je découvre et j'aime ça, je suis assez admirative.

    Sinon, dans le cadre du défi, en fait j'aurai bien aimé connaître le Joe d'après, sans Benicio, ou plutôt avec le vide laissé par le meurtre de Benicio. Mais ça c'est mon penchant pour la psychologie des personnages ^^'

    · Il y a presque 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Ah ben zut, j'espérais ne pas être lue par des gens qui connaissaient assez le pays pour se rendre compte que je ne l'ai visité qu'à travers Google ! Bon, ça veut pas dire que tu le connais plus, mais tu as probablement dû te renseigner (au moins)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • J'écris un roman dont une partie de l'action se déroule en Finlande...c'est marrant !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Image

    Philippe Larue

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