Sable blanc (2) - Equilibre et grains de sable

cerise-david

J’ai pas l’intention d’en rester là. C’est pas de boire la tasse qui va m’arrêter, c’est vrai quoi ! On passe sa vie à bouffer de la merde, alors un peu d’eau salé. Le lendemain, de bonne heure, autant que mes cervicales en vrac me le permettent… je redescends la dune pour un second cours. Elle est là, sa planche prête à ses côtés. Est-ce qu’elle m’attend ? Elle regarde le large. Elle a l’air perdue. Je pose ma serviette juste à côté de la sienne. Quelques grains de sable roulent sur son paréo et elle lève enfin les yeux vers moi.

-          C’est pas très gentil de laisser se noyer les gens…

-          Je crois vous avoir sorti de l’eau… mon père m’a appris à ne pas embrasser des inconnus…

-          Eric.

-          Pardon ?

-          C’est mon prénom, comme çà pour notre prochaine leçon, vous pourrez pratiquer le bouche à bouche.

-          Sans doute…

Elle est froide, distante. Méfiante. J’opte pour reprendre le rituel de la crème solaire. Elle accepte, se détend sous la pression de mes doigts, penche sa nuque vers l’avant et relève ses cheveux en un chignon… d’une main. J’ai toujours été fasciné par les femmes aux cheveux longs… l’agilité qu’elles ont à se coiffer d’une simple tige de bois ou d’un petit élastique qui laisse toujours une fine marque sur le poignet. Je descends doucement sur ses reins. Elle attend. Je reprends mes mains et propose :

-          Cette fois-ci on boira après votre leçon… çà vaut mieux pour mon équilibre.

-          Ne vous cherchez pas d’excuse. Vous avez eu peur…

-          Non…

-          C’est normal. Cette vague était immense. Faut pas avoir honte.

-          Y’a que mes cervicales qui s’en plaignent…

-          La souplesse…

Sur ces mots, elle se lève d’un bond, tel un ressort et s’étire vers le ciel. Seules ses pointes de pieds pour accroche avec la terre ferme et ses mains tendues vers l’azur… Je me délecte de sa finesse. Ses jambes galbées juste sous mon nez et son genou dans ma ligne de mire. Je me lève comme un grand-père et attrape sa planche avant sa main pour l’entrainer vers le bord.

Je ne pensais pas le revoir. Il est raide d’hier mais déterminé. J’ai souri en entendant ses pas qui faisaient crisser le sable. J’ai senti la chaleur de son souffle dans ma nuque et de nouveau ses mains qui m’apaisent. Il tient la mienne fermement, il a peut-être peur que je m’échappe comme hier. Je ne pouvais pas rester, ça me rend vulnérable de m’attacher aux gens. Et lui, il a l’air d’avoir le chic pour se fourrer dans des situations dangereuses pour nos myocardes. On rentre dans l’eau rafraichissante. Le soleil est au Zénith et quelque chose me dit qu’on va se fatiguer une bonne partie de l’après-midi… Et au fond de moi çà me plait. Certaines choses sont simples, dénués de complications. Le surf en fait partie, vous la planche, l’océan et ses vagues quand il veut nous en faire cadeau… cette semaine nous sommes gâtés. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer.

On avance pour passer la barre, elle dit qu’affronter ses peurs est le meilleur moyen de les vaincre. Je vois les séries de vagues se dressaient en un mur d’eau, et l’écume de leurs lèvres se fracasser sur la surface lisse de l’océan. Le véritable maître ici c’est lui. Lui qui décide si je pourrais un jour ressortir la tête de l’eau… et au fond de moi, je sais qu’entre ses mains nous ne sommes que de vulgaires pantins. Je rame. Et passe la barre. Elle nage autour de moi. Me montre et m’explique les vagues, leurs ouvertures, leurs formes, leurs forces. Elle me dit de me préparer…

-          Ça arrive…

Je n’ai pas le temps de lui demander ce qui arrive que je l’entends hurler…

-          Rame ! Rame ! Maintenant ! Debout !

Je me laisse guider par sa voie aigue qui couvre le bruit de l’eau. Je tente de m’appuyer sur le bord de la planche comme répété sur le sable, ma main glisse, et je suis projeté vers l’avant. Heureusement, je remonte vite hors de l’eau et retrouve le sens de l’orientation sans trop de mal. Mes cervicales me tirent mais j’ai bien l’intention de dompter cette cochonnerie de planche.

Il est sonné, mais vaillant. Il revient vers moi. Je réexplique encore. Je touche ses jambes pour l’aider à se placer sur la planche. Je prends ses mains pour les poser là où il doit le faire l’instant venu. Le guider m’apaise. Le bruit de l’eau, le sentiment d’être à la fois porté et utile… je retrouve le sourire. Comme avant… il croise mon regard et pose ses yeux sur mes lèvres. Nos visages sont à peine à quelques centimètres… je m’enfonce sous la surface de l’eau et ressort de l’autre côté de la planche, lui faisant dos. Les vagues reviennent, sans le prévenir, je mets la planche dans la bonne direction et le pousse vers le rivage. La vague est parfaite…

Je suis resté accroché à ses lèvres et l’instant d’après j’étais propulsé au sommet d’une vague qui menace de me broyer les os. Je pose mes mains, relève mon genou. Il faut être rapide. Mes pieds sont en contact avec la planche qui bascule vers l’avant à fleur d’écume… et je glisse. Mes bras s’agitent un peu, cherchant l’appui qui me manque, je redescends un peu… et continue de glisser. La sensation est ébouriffante. Comme un baiser… Je tiens plusieurs mètres avant de me laisser chuter sur le côté. Je ressors de l’eau…regarde l’horizon pour l’apercevoir… elle n’est déjà plus là. Plus haut sur la plage, je la vois rassembler ses affaires et prendre la route de la dune. Elle me laisse sa planche… sans doute la verrais-je demain… quand je rejoins ma serviette plus tard dans l’après-midi, je lis ceci inscris du bout des doigts dans les grains de sable : « LEA ». Je souris… 

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