Sable blanc (4) - Acouphènes et claquements de dents

cerise-david

C’était, comme le disent si bien les ados, « le moment de pécho ». Je sentais son corps contre le mien et j’en aurais oublié la face cachée de la lune… mais voilà, parce qu’il y a toujours un mais (souvent mauvais), un coup de sifflet strident à retentit et le bruit d’un mégaphone crachant le refrain suivant a puni nos oreilles.

-          Il est rappelé aux baigneurs qu’il est interdit de nager en dehors de la zone de surveillance situé entre les deux drapeaux bleus. 

Sans attendre elle s’est dérobé de mon étreinte et s’est redressé… mais parce qu’il a toujours un second mais, le 4x4 des MNS est resté à notre hauteur. L’homme à l’avant du pick-up fixait Léa. Celle-ci reconnaissant notre agresseur s’est rapproché du bord et a rejoint l’homme à sa sortie du poste de conduite. Après de rapides présentations, ce dernier conclut de faire foirer mes 3 jours d’apprentissage et d’apprivoisement.

-          Alors, t’es revenu au pays pour quelques jours ?

-          Oui, envie de surfer un peu…

-          Et sinon, tout va bien ? Ton père toujours un vieil ours exilé dans les Pyrénées ?

-          Oui, il peste contre les espagnols et les français encore plus.

-          Et… ton mari ?

J’écarquille mes yeux, regard rapide sur sa main gauche. Nue, aucune trace de propriétaire… Elle me regarde, hésite. Observe l’autre… attend quelques secondes avant de souffler.

-          Il… il est. MORT.

Silence, pesant. J’ai envie d’attraper cet abruti huilé au Monoï et de lui enfoncer ses lunettes Oakley ainsi que l’intégralité de sa tête d’ahuri dans les profondeurs de la dune. à ce moment, il choisit de s’enfoncer lui-même dans des condoléances fumeuses. Lui promettant l’épaule dont elle n’a pas besoin. C’est évident que ce genre de fille n’a besoin de personne, voilà pourquoi je fais le pitre depuis 3 jours sur une planche de bois… Je sens qu’elle s’écarte doucement, qu’elle n’est déjà plus là. Que la colère est revenu crispée ses fines lèvres… elle met fin à la situation, salue son interlocuteur sans l’épargner d’un coup de poignard entre les yeux et rejoins ses affaires. Je reste quelques instants à la regarder s’éloigner. Comme un foulard qu’on aurait laissé s’échapper… Je n’entends plus rien, qu’un bruit sourd… Mari mort ça veut dire veuve. Veuve à tout juste 30 ans… Je comprends alors son air rageur, sa solitude, ses craintes et sa raideur. Je comprends la sensation de vouloir s’abandonner entre les griffes de l’océan. J’entends la portière du 4x4 claquée. Le moteur s’éloigner et de nouveau le bruit assourdissant des vagues qui s’écrasent au-dessus de nos têtes. Je me sens plancton dans la gorge d’une baleine à bosse.

Me voilà, prisonnière de l’image de la veuve esseulée. Au bord du gouffre. Me voilà faible, à la merci de tous. Cet abruti va s’empresser de colporter la funeste nouvelle. La pauvre Léa, abandonnée, veuve. Seule. Et les appels vont se multiplier, les rdv surgir des profondeurs de relations presque oubliées. Les filles sont rares sur la côte, elles ont rejoints les grandes villes. Saoulées de l’océan et de son usine à surfeurs, en quête de Teahupoo ou Oahu. Vite mariés et engrossés. Alors pour ces « fils de »… il ne reste que peu de choix. Et leurs certitudes les poussent souvent à penser qu’ils sont les seuls mâles attirants… Je m’assois et attend son retour sur la serviette. Il va pour ouvrir la bouche, je l’interromps, un peu trop sèchement sans aucun doute.

-          Je ne veux pas en parler. Y’a rien à en dire.

Il me regarde, et se lève avant de rassembler ses affaires.

-          Alors je vais te laisser.

 Je me mords les lèvres… et décide de lui faire face.

-          Mais tu peux rester…en fait, j’aimerais que tu restes. S’il te plait ?

-          …

-          Eric.

 Il me regarde, je sens qu’il cherche une raison, j’ai plein de raison à lui donner. J’ai peur, peur de passer une journée encore seule à écouter l’océan rugir toute la tristesse que je n’arrive pas à exprimer. J’ai peur de devoir affronter les regards de mes anciens camarades en remontant la dune, seule accrochée à mon panier. J’ai peur de ne plus avoir la force de me lever une énième fois dans ce grand lit vide et froid. Ni même de m’y endormir. Préférant  me noyer dans ma baignoire. J’ai peur de devoir faire face à mon existence vide de sens… parce que ma vie c’était lui. Je suis redevenue l’électron libre, avec pour seul atome une tombe au marbre gris. Et des milliards d’autres raisons qui le pousseraient sans doute à rester… mais pour les mauvaises raisons. Pas de pitié. Il n’y en a pas dans son regard. Juste des questions sans réponse… peut-être que de lui raconter. Il attend.

-          Si je te raconte, tu restes ?

-          Si tu veux raconter, je t’écoute… mais si tu penses qu’il n’y a rien à en dire… je peux te laisser.

-          Alors reste, laisse-moi juste le temps de rouvrir certaines portes soigneusement fermées.

Elle me suppliait du regard, sans imploré ma pitié, juste ma présence. Et ma curiosité envers elle me poussa à me rasseoir. Son passé ne me laisserait pas indifférent, mais son avenir m’intéresser bien d’avantage. Enfin, le sien s’il se mêler au mien… C’est compliqué de passer après quelqu’un qui a déjà tout eu, tout fait. Compliqué de soigner les blessures, recoller les morceaux cassés. J’ai jamais connu cette situation, disons que j’ai toujours opté pour la simplicité. Des filles simples, chacun sa vie qu’on mélange à coup d’envie. Pas d’aventurière au cœur découpé à impressionner. J’ai attendu que ses lèvres bougent… un murmure puis des mots. Et sa langue qui se délie… elle me raconte. Simplement comme une rubrique nécrologique, comme si elle avait tourné la page sur ses sentiments, mais ses yeux le cherchent encore. Loin derrière l’horizon. Elle récite leur rencontre, l’appartement, sa jeunesse qu’elle lui a offerte. Avocat trentenaire au bras d’une lycéenne. Elle fière, lui assuré. Elle raconte son envie d’être père et elle qui sort plus tard, ne rentre parfois plus. Elle se justifie comme une enfant qui aurait fait une bêtise… cherche à se rassurer en prenant ma main. Elle continue leur parcours devenu chaotique. Deux vies en parallèle, la Fac pour elle et le boulot qui les éloigne. Elle se perd dans ses souvenirs et renifle une énième larme sur l’aile de son nez. Elle raconte les visites chez le docteur qui leur annonce sa dépression, qui explique la fatigue et propose des médicaments. Elle se fâche en disant que bourré la tête des gens de pilules roses ne leur fait pas voir la vie différemment. Elle décrit les épisodes paranoïaques qui ont suivis et les crises de violences. Elle se masse les bras et les jambes comme pour effacer le souvenir des bleus.

-          Un soir, je suis rentrée encore une fois trop tard. C’était la fois de trop, je m’en veux encore. Si j’étais rentrée plus tôt… j’aurais peut-être pu le sauver. C’est les pompiers qui ont décroché son corps. J’ai cette image dans la tête dès que la nuit tombe. J’ai eu beau partir, m’enfuir. Elle revient me hanter. Y’a que là, face à l’immensité bleue et toute cette lumière que çà disparait.

J’ai soufflé un grand coup, elle est restée suspendue. Je l’ai regardé…

-          Je crois que j’ai bien mérité ce verre… et si on allait manger quelque part ce soir ?

-          … Tu ne t’enfuis pas ?

-          Je dois avoir peur de toi ? Où du fantôme que tu caches chez toi ?

-          Je ne sais pas. En générale, les veuves noires finissent leur vie seules…

-          Disons que j’ai jamais eu peur des araignées dans ma baignoire.

J’ai souri. Vraiment sourit. Je me suis sentie soulagée, de ne pas être jugée. De ne pas avoir à me sentir coupable du choix d’un autre. Qui n’avait pas supporté que je sois moi, ni d’être avec moi. J’ai souri et pris sa main. On a rassemblé nos affaires et remonter la dune. Je me suis retournée vers l’océan et j’ai inspiré profondément l’air marin. Les embruns se cognaient sur mes joues et pourtant, au fond de moi, je me suis rappelé qu’il y avait parfois une vie après la mort. Je ne sais pas s’il restera contre ma main, je n’en sais rien. Mais d’avoir trouvé une épaule pour me reposer me permet de me sentir plus légère… je n’oublierais pas… je tourne juste une page. L’orage gronde encore au fond de moi…

  • Tu as donné un peu de profondeur à ta belle inconnue. Parfait. La suite ?
    (et ta conjugaison, encore et toujours !! scrogneugneu !)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • C'est toujours aussi beau et je pense que tu peux continuer. Par contre je partage l'avis de Bryan, si tu veux rallonger l'histoire il faudra changer de ton mais tu peux continuer sur le même pour un dernier chapitre, celui du rapprochement ultime. A toi de voir.

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Marie Cornaline

  • A nouveau, un bel épisode qui pourrait bien être une conclusion en effet. Si tu te sens de continuer pourquoi pas, mais je pense, mais ce n'est que mon avis, qu'il te faudra changer de ton, ne plus te centrer sur le jeu de la séduction. Histoire d'éviter de tourner en rond. Un cdc dans tous les cas.

    · Il y a presque 11 ans ·
    220px lautr%c3%a9amont by vallotton

    Bryan V

  • tu as bien rebondi

    pour moi cette histoire si bien racontée peut rester telle qu'elle est aujourd'hui, elle a un sens, un début et une fin ... mais libre à toi de continuer si tu sens le vent du large ébouriffer ton imagination !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Img 5684

    woody

  • Titre énigmatique mais belle histoire : deux cœurs qui, une fois les faux semblants tombés, se découvrent. Quelle légèreté de narration, quelle douceur dans l'évocation ! J'adore et j'en redemande ! (traduction : la suiiiite !) CDC

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Tu hésites à poursuivre ? Je ne sais si c'est une fin. Pour elle, il semble au moins qu'elle s'apaise. Lui paraît mieux la comprendre mais semble hésiter aussi. CDC pour que tu suives ton impulsion mais c'est une histoire riche et bien tournée. Tu es douée pour faire jouer 2 personnages... Une superbe jeune femme surgit et s'efforce de la séduire. L'autre enrage. Je plaisante.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Image

    Archange Flippé

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