Shot down in the flames

A hauteur d'yeux, deux petites mains s'activaient comme celles d'un chef d'orchestre sur du Rimsky-Korsakoff.

La victime suivante s'est trouvé être une carte ancienne représentant la voûte céleste. Je n'ai rien tenté pour empêcher ça, au contraire. La nuit restera toujours mon moment préféré et les étoiles sont bien plus belles vivantes là-haut que punaisées sur un mur...

Le temps de cette pensée personnelle et la cheminée recevait une averse de fringues. Impossible de savoir qui des chaussettes verdâtres ou du pantalon en velours marron a atterri en premier par-dessus ce qu'il restait de feu les constellations. Amy était déchaînée et ça allait un tantinet trop vite pour moi.

Ensuite est venu le tour d'une chemise. Á la moulinette, comme le reste ! Une manche coincée sous le pied, la miss tirait l'autre, des deux mains. Pendant une seconde, j'ai cru qu'elle n'allait pas y arriver. Et puis il y a eu un bruit sec de déchirement et tout est parti d'un coup, la chemise d'un côté, Amy de l'autre, le cul par terre. Elle est alors restée muette, immobile comme stupéfiée par ce qui venait de se passer, le souffle court, une manche pleine de fils dans les mains. J'en avais assez vu, je me suis approché, ma bière à la main, cool et limite provocateur.

— Tenace la chemise, n'est-ce pas ?

Elle a tourné la tête vers moi sans vraiment me regarder, ses yeux brillaient et sa frimousse avait viré à l'écarlate. C'est là que j'ai capté que le carnage ne faisait vraiment que commencer.

— Ah tu crois ça ? elle a fait en se relevant.

— Stop-là !

Ma toute petite interjection l'a à peine ralentie. Je ne voulais pas interrompre le spectacle, des crises comme celle-ci, je n'en avais vu qu'au cinéma et encore, pas des aussi bien. Il n'empêche qu'il manquait un petit quelque chose.

— Attends Amy ! T'oublies juste un petit truc, petit mais essentiel.

Ce que je disais restait du vent pourtant. Elle venait d'attraper un bouquin et déjà, l'échapitrait par-dessus le reste.

Je suis passé discrètement sur le côté, mon briquet à la main, jouant avec la pierre.

— Tu veux le faire ou t'es trop occupée pour ça ?

Elle s'est arrêtée, le regard fixé sur les étincelles. Ce qui restait du livre a glissé par terre.

— Donne !

Un tel ordre ne se refusait pas, au contraire. J'ai lancé le briquet vers elle.

Pendant qu'elle allumait le tas, j'ai attrapé l'ersatz de livre, je voulais savoir qui elle avait sacrifié pour sa santé sentimentale. Juste parce qu'en un sens, ça me faisait un peu mal de voir un bouquin finir dépecé ainsi. Premier coup de chance, il restait un côté de la couverture et deuxième coup de chance, l'auteur n'était autre que Michael Crichton. Finalement, la disparition de ce livre me touchait nettement moins... Et eu égard à ce grand homme, j'en resterais simplement sur ces points de suspension, ils expriment beaucoup mieux que moi le fond de ma pensée sur le bonhomme et son œuvre.

Du coup, j'ai raté l'allumage, seulement senti une vague de douceur m'inonder. Ensuite des ombres ont commencé à danser sans s'occuper du reste.

Amy s'était débrouillée comme une grande, le tas avait pris d'un coup et les flammes se jetaient de tous les côtés sans rechigner. Je ne voyais pas tout, debout devant la lumière ondoyante, elle me cachait une partie du spectacle. Mais ces secondes étaient à elle, pas à moi. D'ailleurs, les miettes me suffisaient amplement...

On s'est figé une ou deux minutes, chacun de notre côté, à observer les affaires de Jacob se consumer pour la postérité. Et puis, aussi vite qu'il avait commencé, le feu s'est replié sur lui-même.

— HÉ !! RÉVEIL ! j'ai braillé.

Elle s'est tournée vers moi, interrogative.

— Allez, allez ! Dépêche-toi... j'ai continué en montrant le bric-à-brac par terre.

J'en rajoutais, j'en redemandais. Je ne savais toujours pas ce qui m'attendait réellement ici mais au moins, je n'avais pas parcouru tous ces kilomètres pour rien. Ce que je vivais ici depuis mon arrivée valait largement le déplacement. Après mon rappel à l'ordre, Amy s'est remise à casser, déchirer, broyer, émietter, laminer et écharper à tour de bras. Le tout avec un sourire frisant le pur sadisme par moment, un sourire que je ne lui connaissais pas et qui en d'autres temps aurait presque pu m'effrayer.

Pour faire les choses vraiment bien, je suis allé remettre de la musique. J'ai déniché le truc idéal pour ce moment magique. C'était rythmé et balançant à souhait, ça débutait par Highway to hell et un peu plus tard, on a même eu droit à Shot down in the flames. Thank you mister Scott, décidément, vous êtes vraiment trop Bon !

J'ai rapproché le vieux fauteuil en osier et me suis retrouvé assis aux premières loges, ma bière à la main : le théâtre tel que je l'avais toujours rêvé.

Il commençait enfin à faire bon dans l'air autour. La pièce s'imprégnait de douceur de tous les côtés et Amy se défoulait sur les affaires de l'autre con.

J'étais bien.