T'es là.

thib

Il n'y a aucune raison pour que je t'écrive ce soir. Je n'y ai pas pensé, d'ailleurs je n'y pense pas. Je n'écris pas non plus.  Non, je ne fais rien. Il pleut, et je viens d'ouvrir la fenêtre. J'entends le torrent jaillir de la gouttière, à l'angle de la maison, et tomber dans l'herbe et les graviers avec un bruit tout frais. L'eau sait toujours rire de ses chutes.

 

Tout à l'heure, sur le chaîneau, il y avait une mésange et un rayon de soleil perchés côte à côte. Ils pépiaient devant l'insolence des insectes qui font murmurer le silence, à la campagne. Mais c'est toujours du silence. Un de ceux qui est comme un foyer. Et ça m'a fait sourire, parce que je te jure, j'étais en train de regarder ma bagnole, qui dormait devant la maison. Je me demandais jusqu'où j'allais l'emmener, si elle aurait un jour du sable dans le nez, sur les bras et les roues. Je me disais que c'est con, d'avoir une voiture et personne à faire voyager avec soi à l'intérieur.

 

Que ça méritait un peu plus que l'enfance d'un désir. Oui, je me disais qu'un jour tu serais assise là, sur le fauteuil d'â côté, celui qui semble attendre. Je ne sais pas où on ira. On ira mettre du sable et du sel sur ce vieux bouclier avant. Pendant le trajet ça t'arrivera de poser ton coude sur la portière, et de tendre avec ta main toute la confiance de ton visage. Vers moi, dehors, dedans, sans jamais suivre correctement la route. Tu me disais que tu étais une piètre conductrice. C'est normal. Les mésanges ne conduisent pas.  La grande nouvelle c'est qu'on pourra écouter quelque chose. Soyons honnêtes, un long voyage sans musique, ça n'existe pas. On est obligé de le faire en plusieurs étapes, qu'on a du mal à relier entre elles. Comme un corps disloqué. Nous on aura un seul corps bien à nous. On sera deux dedans, et il y aura du jazz, du rock, la terre et la mer et le vent. Peut être un coup de Beethov, j'en sais trop rien. On verra bien. Tu mettras de temps en temps ta seconde main entre tes cuisses. Ça fait partie des gestes qui font durer le plaisir, quand on est bien assis, bien nourris, et qu'on a de belles choses à voir et à sentir.

 

Tu souriras beaucoup. Tu souries toujours beaucoup, de toute manière, et on s'en fout si ça fait con. Ton sourire c'est de la chair qui se réchauffe. C'est beau, c'est rond, ça vient de loin pour faire ce que ça peut. Faire du feu. Donner. Peindre. Ouvrir les fenêtres de temps en temps. T'auras une envie cruelle de fumer aussi. Tu ne fumes plus. Mais tu verras, sans y penser, tu te diras que t'as jamais vraiment fini la dernière, et que s'il doit y en avoir une, ce sera une comme ça. Moi aussi je la cherche, cette foutue dernière clope.

 

Des fois je me dis qu'il y a le temps, et que ça se reconnaît quand c'est la fin. Connerie de tabac. Du coup je les fume toutes comme des dernières. Au cas où. Y aura du barda, derrière. Pour une fois, je ne vais pas faire de liste. Je fais toujours des listes et ça m'emmerde, de devoir mettre des étiquettes. On en donne assez aux autres. Disons qu'on aura bien rempli la banquette rabattable un tiers/deux tiers avec tout ce que le passé nous a déjà donné pour l'avenir. On arriverait un plein matin. Quand c'est encore l'aurore, et que le monde, il a pas encore mis toutes ses fringues. Seulement le commencement des formes, tu vois ? Et toutes les couleurs du jour au pied du lit, encore. Devant la mer, comme ça. Avec une grande odeur d'oiseau, et de profondeurs toutes proches.

 

Mais là il pleut. C'est chaud, un hiver qui fond, j'avais oublié. Tu sais, avec son odeur lourde, c'est cette eau là qui donne l'envie de danser. Juste là où tu es. C'est comme de la sueur, ça fait tout de suite partie du corps. Le ciel nous tombe sur la gueule et ça fait partie du corps. Alors forcément, dans les moments comme ça, y a encore de quoi sourire. Je suis sûr que tu souries aussi, en devinant l'été, tu t'arrêtes jamais. Je sais pas comment ça a commencé. Depuis que je suis gamin, je ne sais pas grand-chose de toute façon. C'est très ponctuel. On sait quand on a besoin de savoir, et puis c'est tout. J'étais rentré, j'avais encore un peu cette image de toi dans la voiture. Je l'ai caressée un petit moment, cette image. Juste pour me dire que. Et puis il s'est mis à pleuvoir, voilà tout. Question de pression atmosphérique, sanguine, et surtout question de toi, j'imagine. Y a des fois, quand je fais demi-tour dans ma mémoire pour te regarder marcher, c'est si léger que je me dis c'est certain, ce coup ci elle nous a fait une danse de la pluie sans le vouloir. C'est pour ça que j'emmène souvent un maillot de bain dans mes souvenirs. Oui je n'y peux rien, tu n'y marches pas vraiment, tu ondoies.

 

Tout ça, je ne l'écris pas. Ce n'est pas une manière de te dire que tu me manques, même si  je ne peux pas te perdre, même si tu es partout. Même si tu ne seras jamais à moi. Ce n'est pas la meilleure façon d'avancer, non plus. Mais c'est normal, j'ai pas encore mis le contact. Tout ça je ne l'ai pas écrit. Je ne l'ai pas pensé. Tout ça, et je ne comprends déjà plus pourquoi je dis : tout. Parce que tout, ce n'est pas ça, c'est , c'est tout. A vrai dire, ce n'est qu'une façon de te prendre la main, quoique tu fasses. Et j'en trouverai d'autres, tu sais. Même si ce sera toujours un peu la même.

 

 

  • Putain, jsais même pas quoi dire, tes mots sont plus qu'au top (et pourtant être au top chez moi c'est déjà vraiment vraiment bien).

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Tu fais sourire, a défaut de dire. C'est un truc qui m'arrive souvent, de pas savoir quoi dire.
      Pour le top, j'ai un copain qui classait en chapiteaux. Bon lui c'était les femmes, et du coup, ses chapiteaux étaient un peu à la mauvaise place. Mais c'est plutôt chouette comme échelle. On pouvait mettre les petits chapiteaux dans les grands. Je ne sais même pas pourquoi je dis ça. Tu vois ? Moi non plus, je sais pas quoi dire. Ah si : merci. Beaucoup beaucoup.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

    • Y'a pas que moi qui fait sourire.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Cat

      dreamcatcher

  • "L'eau sait toujours rire de ses chutes..." ??? La fibre humaine qui est en toi également apparemment.
    il est superbe celui-là. bravo.

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    wic

    • Merci Wic. Ton passage fait plaisir. Vraiment.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

  • Superbe...

    · Il y a plus de 9 ans ·
    1238767 10202128683765095 1763279997 n

    clouds6

    • Merci.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

  • Merci pour cette introspection poético- nostalgique!

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Oeil

    anne-onyme

    • Merci pour cette lecture attentive.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

  • Belle voiture...

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

    • Ouais. Juste un peu trop propre pour le moment. Mais ça viendra.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

  • Juste magnifique, merci et bravo !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Img 3458

    mamzelle-plume

    • Merci beaucoup à toi mamzelle. Très heureux que ça t'ait plu.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

  • et j'avais pas vu, la chanson...

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    ellis

    • Parce que ça ne se voit pas une chanson. Merci d'être passée. Merci beaucoup.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Vie1

      thib

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