Tête-bêche à Dunedin

petisaintleu

les kiwis sont de drôles et attachants oiseaux

De la Nouvelle-Zélande, j'avais d'abord en tête des OVNI. Les groupes de pop antipodiques qui, tels des espèces survivantes du Gondwana, auraient continué, prisonnières de leur isolement, à se construire un style issu du magma originel, les Beatles : The bats, The Verlaines, The Chills.

Les habitants étaient pour moi à l'avenant, en plus rétrogrades. Ils étaient restés tributaires des mœurs victoriennes, du cricket, du thé, du flegmatisme, mâtinés de culture maori. Un élément non négligeable les différenciait toutefois de leurs ancêtres britanniques, la nature. La Suisse en moins coincée, avec un peuple chaleureux, accueillant et fier de faire partager ses traditions.

Ma décision était prise, ce serait Dunedin. Dans mon imaginaire, elle était plus sauvage et authentique que les villes de l'Ile du Nord. J'aurais aimé l'île Pitt, le bout du bout du bout du monde, la deuxième île de l'archipel des Chatham, à huit cents kilomètres à l'est de l'île du Sud. Mais par fainéantise et par  peur de me retrouver en galère pour revenir en temps et en heure de mon périple, j'y avais renoncé.

Je débarquai donc dans la métropole de l'Otago sur les rotules. Sur Airbnb, j'avais jeté mon dévolu sur le logement de Josie. La location était loin d'être à la portée de toutes les bourses. Mais pour une fois, j'avais osé le lâcher prise pécuniaire. Le Barnett Lodge me rassurait. Je retrouvais dans les photos, consultées sur le site, un côté grande bourgeoisie londonienne qui me faisait fantasmer lors de mes séjours linguistiques à Bexleyheath. Il était le parfait miroir d'un manoir cossu anglo-normand avec ses colombages et ses bay-windows.

J'appréhendais un peu notre première rencontre. C'est idiot mais j'ai toujours conservé une sorte de culpabilité depuis le Rainbow Warrior. Et de manière générale, je me fais toujours tout petit pour éviter de montrer que je suis français. J'ai trop honte des Jean-René de compétition beuglards, toujours prêts, ces DSK de caniveau,  à coller une main aux fesses de l'hôtesse de l'air, cette pute forcément corvéable.

Avec Josie, j'étais au moins certain de mettre de côté ma libido. Son acné de pré-ménopausée et ses grandes dents étaient des remparts tout aussi efficaces que le mur d'Hadrien, construit par les Romains pour se protéger des attaques calédoniennes. L'accueil fut des plus chaleureux. Elle comprit rapidement que mon niveau d'anglais risquait d'être un frein à notre entente cordiale et elle adapta son débit à mon degré de compréhension.

Après un thé et des gâteaux sans doute boudés par le boxer, il s'ensuivit la présentation des lieux. Il eut été insultant de s'imaginer plus british. Un surprenant patchwork de couleurs confirmait que la Perfide Albion était toujours le cœur de l'empire du mauvais goût de sa très disgracieuse Majesté. Une épaisse moquette, coordonnée au rose du tapis des toilettes, concurrençait un papier peint victorien aux motifs floraux marron et beiges.

Seul le mobilier apaisait le regard. Un canapé en cuir rembourré, accompagné de son lampadaire à franges, invitait à se poser devant la télé pour découvrir East Enders. Des plaids renforçaient l'invitation à la détente. Toute une bibeloterie finissait de charger en souvenirs l'antre de mon hôtesse. Un chandelier en argent, vestige d'une grand-tante, des photos d'un grand-père disparu à Dunkerque, une pie empaillée et un service en porcelaine posés sur des napperons brodés alourdissaient la cheminée. Quant au coin repas, son étroitesse était renforcée par un buffet et une bibliothèque à pilastres. Je ne m'attarderai pas sur le jardin. Ses nains et son bassin où nageaient des poissons chinois étaient la confirmation du monde qui me séparait de son insularité.

Durant un mois, j'ai tout arpenté de l'île de Jade, me servant du Lodge comme d'une base arrière. J'ai écumé les Alpes néo-zélandaises. Dieu, comme ça caillait. Comme c'est étrange de dévaler des pistes  du Mont Cook en juillet en s'imaginant les amis se faire bronzer sur la Côte-d'Azur. J'avoue qu'en rentrant, j'étais trop fier d'exhiber les traces de mon masque de ski. J'ai approché l'Aspiring, malgré un mal de tête. En Maori, il s'appelle Tititea. Ça sonnerait presque comme le nom d'un satellite de Jupiter.

Le nirvana fut atteint lorsqu'au bout de mon périple, je pris la route 94 pour visiter Milford Sound, les chutes Sutherland et pour me gaver des paysages environnant le Mitre Peak. Into the Wild hantait mon esprit.

Après dix jours, je revins sur Dunedin. Mes escapades se limitèrent à ses environs, aux festivités du Chocolate Carnival et à me faire des amis dans les pubs. Des soirées à se donner des grandes tapes sur l'épaule et à refaire le monde, comme un pont reliant nos deux cultures, si éloignées en distance mais si proches dès la troisième bière.

Quand je n'ai pas le moral, que je suis au fond du trou, je me dis qu'il faudrait que je creuse un peu plus pour tomber sur mes potes kiwis. Et j'ai souvent un œil rivé sur Airbnb, toujours prêt pour de nouvelles aventures.

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