Tout feu, tout flamme

La flamme vacille sur le briquet. Petite, fragile, elle ne sait pas encore où aller. Son bleu incandescent appelle l'orange de la pointe, lui demande ce qu'il voit, s'il n'y a pas quelque chose à se mettre sous la dent. Mais l'orange ne voit rien. Juste de l'inox et du carrelage ; pas vraiment des matières intéressantes. Par contre, il y a un robinet, alerte-t-il. Attention à l'eau, elle pourrait nous consumer.

La petite flamme est affamée. Pourtant, elle évite de faire des siennes ; sinon la roulette tournera et hop ! retour dans le briquet. Elle ne veut pas y être à nouveau enfermée, elle. Il n'y a pas d'oxygène dans le briquet. Et sans oxygène, comment briller ? Petite flamme aime rejeter du CO2. Hors de question de se remettre à étouffer.

Papier en vue ! crie soudainement l'orange. Le bleu se redresse, les yeux brillants. Le jaune, tiraillé entre les deux extrémités, aperçoit quant à lui une main approchant la feuille tant désirée.

Alors, la petite flamme affamée se jette sur le papier. Bleu, jaune, orange, tous progressent sur la surface épurée, ne laissant comme trace de leur passage qu'un résidu noirâtre mouchetant peu à peu le sol en faïence beige. La feuille diminue, bouffée, dévorée par ce feu, cet ogre insatiable à l'estomac sans fin. La flamme grandit, prend de la hauteur mais continue son avancée dévastatrice ; et tandis qu'elle se rapproche du bord, les doigts tressaillent à cause de la chaleur, mais tiennent bon.

Le peu de blanc restant s'échappe dans les airs. La feuille est consumée. La petite fille desserre les doigts, la fenêtre est ouverte, et l'aura des mots tombés se distille dans le vent en même temps que les odeurs de brûlé.

La petite flamme disparaît. Il n'y a plus de CO2, mais elle n'est plus affamée.