Un coût de tabac
oliveir
Le coût du tabac
La tranquille assurance qu’il affichait était à l’image du quintal qu’il promenait comme le trophée glané dans une kermesse de frites. Il suintait la suffisance, la force de sa voix et son attitude hautaine encourageaient les contradicteurs et les personnes sensées à contourner l’obstacle.
Il était assis à ma table, il trônait en face de moi, il avait déjà essayé de lancer la conversation sur la nouvelle motorisation allemande mais comme ma voisine m’entretenait de la dernière pièce qu’elle avait vue, je n’avais pas relevé.
Il sortit une phrase toute faite pour lancer un débat autour duquel tout le monde serait d’accord. Il croyait pouvoir parler plus fort que les autres et se faire entendre. Il avait dû suivre les cours d’un institut de communication américain!
-Pour faire des économies, il n’y a qu’un moyen, interdire aux gens de fumer. Non seulement, ils nous empoisonnent la vie mais il faut leur payer les frais d’hospitalisation !
J’avais entendu cette phrase exprimée par un conseiller d’état dans la presse, elle m’avait fait sourire. Je l’ai relancé pour voir s’il avait retenu les arguments développés par le journaliste. L’attaque n’était pas très charitable mais je ne voulais pas non plus perdre la conversation que je menais avec les genoux de ma voisine
-C’est fou ce que nous sommes influençables, il suffit qu’un grincheux veuille faire sa publicité pour que nous reprenions ses arguments. Il dit n’importe quoi, plus c’est gros mieux cela passe d’ailleurs. Sa dernière trouvaille pour lutter contre le chômage était de distribuer des licences de taxi. Il était sorti du bureau du Président et justement, il n’avait pas trouvé de taxi. C’était vraiment une grande idée ! Et on le prend encore au sérieux ! Il a probablement été incommodé par la fumée d’un chauffeur de taxi, et comme il n’a pas assez d’énergie pour tousser, il veut interdire aux gens de fumer !
-Mais enfin, des gens meurent du cancer du fumeur tous les jours, la collectivité ne peut plus payer les soins engendrés par leur inconscience.
-J’hallucine, parce qu’un polytechnicien réussit à faire une addition, il faudrait changer notre mode de vie. Qui peut savoir combien cela coûte ? Comptabilise-t-on les retraites non payées ? Les salaires versés aux soignants sont aussi des allocations-chomâge non versées. Et, en France, l’argent perçu par un docteur est celui qui tourne le plus. Le médecin est le seul à ne pas avoir peur du lendemain, il ne thésaurise pas, il fait tourner l’économie. Les dépenses sont visibles mais regarde-t-on les taxes qui tombent dans l’escarcelle de l’état ?
Combien de créations artistiques n’auraient vu le jour sans le tabac ? Sans l’art, Paris n’existerait pas. La fumée permet de prendre un peu de recul, de juger différemment, c’est la détente qui permet de mieux redémarrer après. Et cela ne concerne pas que les artistes. D’ailleurs, c’est prouvé, les fumeurs réfléchissent davantage que les autres.
Le genou de ma voisine n’était plus aussi persuasif, je souhaitais cesser de voyager avec cette brute pour aller me promener dans le ciel des yeux de la jolie brune assise à mes côtés.
-Oui mais on ne peut pas nier que le tabac diminue l’espérance de vie.
-Analyse-t-on seulement les chiffres correctement ? Un fumeur a un appétit de vivre plus important qu’un végétarien, il rayonne, il est optimiste, il ne se cache pas en dessous de ses couvertures dès qu’il y a un nuage dans le ciel. On dit qu’il brûle la vie par les deux bouts. Il n’y a pas d’Alzheimer chez les fumeurs, ils sont peut-être partis avant, c’est possible. Il est plus sage de mourir à 80 ans d’un cancer foudroyant que d’endurer le calvaire dix ans de dépendance sénile végétative. Voudriez-vous vivre les dix dernières années de vie d’un malade Alzheimer ? Souhaitez-vous imposer votre épreuve à votre entourage ?
-Mais il serait juste que les fumeurs paient leur hospitalisation.
-C’est vraiment une économie d’épicier qu’on nous propose. Haro sur le fumeur ! Les fractures du bras des skieurs sont à la charge de la collectivité et payées en grande partie par ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des vacances aux sports d’hiver, et on n’y trouve rien à redire.
La fumée a toujours crispé les non-fumeurs. Et avouez que cela sent le lobbying ? Aujourd’hui le tabac ? Demain le bio pour sauver l’agriculture française. Puis viendra le tour du poulet aux hormones… vous ne serez plus assurés si vous mangez de la viande… Tout y passera, adieu la liberté.
Je craignais que nos conversations de café du commerce ne lassent la féline beauté assise à ma droite, qu’elle ne se lève et que je voie sa silhouette onduler vers des rivages plus policés. Déjà qu’elle se tournait parfois sur sa gauche et me privait ainsi de mes rêves sur son décolleté.
-Il est plus agréable de vivre à pleins poumons.
-Ce n’est pas parce que les mots sonnent bien que le message est juste. Les fumeurs sont des gens tellement agréables à vivre qu’une marque de cigarettes est sur le point de sortir des cigarettes sans tabac pour permettre aux non-fumeurs de rejoindre les espaces-fumeurs. Ce sont des lieux réputés pour leur convivialité, les fumeurs ont besoin de fumer mais aussi de communiquer. D’ailleurs, les espaces-fumeurs sont les meilleures agences matrimoniales. Les non-fumeurs envient ceux qui fument. C’est cela qui dérange, en fait. On n’aime pas voir des gens heureux autour de soi quand on ne l’est pas soi-même.
Seuls les fascistes veulent faire le bien des gens contre leur gré ? Les gens sont assez intelligents pour faire ce que bon leur semble. Il ne faut rien leur cacher mais il ne faut pas vouloir être intelligents pour eux ? Sous cet altruisme de façade se cache une condescendance vraiment hautaine. Auriez-vous refusé du tabac à Churchill, De Gaulle, Malraux, Pompidou… ?
Ma voisine se leva et prétexta l’envie de fumer pour s’éloigner. Je me suis levé, j’ai toisé mon contradicteur et j’ai suivi mon raisonnement.
C'est très bien écrit. Par contre étant médecin je ne peux soutenir vos arguments, les hôpitaux sont remplis de fumeurs, qui meurent lentement malheureusement, et regrettent souvent.
· Il y a plus de 13 ans ·thoooooomas
Quel vent de fraicheur! Personnellement je n'y vois qu'un argumentaire bien ficelé loin de la mauvaise foi , j'adhère +++ . Je me sentais seule fumeuse bravache dans la riposte mais souvent mal assurée alors merci. Merci pour l'humour, l'écriture sans chichi et les jolies trouvailles.
· Il y a plus de 13 ans ·mangui
Bravo Oliveir! C'est mérité. :)
· Il y a plus de 13 ans ·jeff-balek
très bien écrit et des arguments très bien ficelés. Bravo
· Il y a presque 14 ans ·merielle
Très bon texte, beaucoup d'arguments qui donneraient presque envie de s'y mettre ! Exercice parfaitement maitrisé.
· Il y a presque 14 ans ·sushi
Super Oliveir, je suis vraiment content pour toi :)
· Il y a presque 14 ans ·leo
Ca déculpabiliserait de fumer tiens ! Et ça ressemble tellement à ces conversations interminables à ces bravades de comptoir. Ca n'en reste pas moins des généralités, mais elles seraient peut être plus agréables si on s'emballait un peu moins mornement sur le sujet qui sait ? La prochaine fois on testera les théories: il faut relativiser, et les gens ne sont plus comme avant .... rire
· Il y a presque 14 ans ·jone-kenzo
Oui, bravo !
· Il y a presque 14 ans ·sophie-dulac
Bravo !
· Il y a presque 14 ans ·yl5
Vous réussissez parfaitement l'exercice ! Bravo ! Vous y incorporez une narration intéressante et nourrie. Peut-être auriez-vous pu introduire plus de contradictions dans le dialogue ? Mais dans l'ensemble votre texte est fin et très bien écrit.
· Il y a presque 14 ans ·abeline
J'adcore la mauvaise foi de ces arguments. Et la chute aussi.
· Il y a presque 14 ans ·victoria28
De très bons arguments qui basculent à l'excès peu à peu. Très bien écrit, j'aime Oliveir !
· Il y a presque 14 ans ·leo
Très belle argumentation ! Je suis conquise :-)
· Il y a presque 14 ans ·nouontiine