Un jour comme les autres, une fille comme les autres. [Défi N°12/ club "Jetez l'Encre"]
rafistoleuse
05h57 – La lumière du jour ne filtre pas les rideaux épais de sa chambre. Son lit semble avoir été le lieu d’une terrible bataille nocturne. Le drap ne tient au matelas que par un coin. L’oreiller a migré entre ses jambes. La couette échouée sur le parquet ne couvre que son épaule droite. Les orteils retroussés, le visage appuyé contre le rebord du lit, Maurane n’a pas assez dormi. Dans sa tête, perceuse et marteau piqueur se livrent un combat, de qui grondera le plus fort. Les relents des heures vodkalisées explosent en un feu d’artefacts.
06 h00 – Un bruit d’une agressivité inouïe vient la sortir d’un sommeil trop court. Le corps à corps de son téléphone et de la vitre de sa table de nuit résonne en un concert de vrombissements insoutenables. D’une main elle saisit son portable qu’elle manipule avec la délicatesse d’un éléphant. Il voltige avec fracas sur le sol. Sa couette finit son atterrissage au pied du lit. Les yeux encore clos, elle glisse une phalange sur l’écran de son téléphone. Sans succès.
06h07 – Elle s’y reprend plusieurs fois avant de se résoudre à ouvrir les yeux. Ses paupières soudées rassemblent leurs dernières forces pour laisser éclore le gris de ses iris, mais retombent de tout leur plomb. Maurane grince sans montrer les dents. Dans sa gorge, c’est le Sahara sous une température de 48 °. Elle tente de soulever ses membres mais la seule chose en elle qui semble se soulever est son estomac. Elle doit faire preuve d’une volonté d’acier pour s’asseoir. Mais elle y arrive. Elle s’auto-congratulerait volontiers mais l’écran de son tortionnaire affiche déjà dix minutes de plus. Dix minutes de moins pour se réveiller.
06h12 – Elle déambule avec la grâce d’un hippopotame, des mèches de cheveux engluées à ses tempes par la sueur. Elle se cogne le petit orteil dans le pied de la table et malgré la sécheresse installée dans sa bouche, la table ne manque pas de se faire traiter de salope. Elle l’aura bien cherché.
06h15 – Direction la cuisine. Elle dose le café avec la précision dont elle est capable et appuie sur le bouton de la cafetière. Et bien que dans la tête de Maurane le chantier s’en donne à cœur-joie elle détecte presque subitement le problème. Sa fournisseuse de caféine est entrain de s’étouffer. Par solidarité ? Maurane remplit une bouteille d’eau, une gorgée pour elle, quelques unes de plus pour sa dealeuse. Maurane veut se racheter une conduite. Elle semble avoir éclipsé le temps qui lui était déjà compté.
06h24 – Elle s’assied et allume une cigarette par le filtre. Elle peste contre son allume-gaz capricieux et c’est bien après que l’odeur lui parvient au cerveau. Maurane retournerait bien dans sa grotte de coton déstructurée pour y refaire le puzzle de sa nuit. Sans vraiment s’en rendre compte, elle a déjà refermé les yeux.
06h35 – Une notification de son tyran la sort à nouveau de sa léthargie. Le café a coulé, et il est déjà tiède. C’est inacceptable. Maurane le remet entre les mains de son plus fidèle compagnon, le four à micro-ondes. Une minute et ding plus tard, elle peut enfin prendre sa dose. Mais le compteur tourne alors Maurane décide de passer la seconde.
06h36 – Elle avale quelques gorgées brûlantes tout en déroulant le dentifrice sur son vibro-brosseur. Le contact mentholé avec sa salive lui fait regretter la douce amertume de son café. Elle se résigne à déposer sa tasse dans l’évier. D’une main elle désinfecte son haleine, l’autre s’affaire dans son armoire à la recherche de la tenue la plus rapide à enfiler.
06h39 – Elle se précipite dans la douche en manquant de glisser sur les carreaux humides. Le jet de l’eau chaude réveille chacune des parcelles de sa peau mais ne parvient pas à défroisser sa joue marquée par le bois du lit. Elle démêle ses cheveux avec une rapidité qui la rend fière d’elle-même.
06h45 – Les cheveux encore trempés, Maurane enfile une robe et chausse ses escarpins en tentant d’ignorer la douleur irradiante de son petit orteil. Avale machinalement le reste de son café. Froid. Elle aurait bien injurié sa tasse – Maurane est du genre très vulgaire, avec les objets uniquement –mais elle grimaça à peine, faute de temps.
06h51 – Dans l’empressement, elle claque la porte de son appartement. Dans sa tête, c’est toujours un bordel de sons irritants au possible. C’est comme si chaque bruit qu’elle entendait depuis ce matin, finissait par tourner en boucle avec les premiers. Perceuse – marteau piqueur - vibreur du téléphone – four micro-onde – ding – brosse à dent électrique – chauffe-eau – porte. Et ça recommençait, dans une irrégularité détestable. Ses talons claquent sur le sol. Elle aurait du y penser avant. Mais sa course contre la montre commence réellement maintenant. Elle court aussi vite qu’elle peut, des perles d’eau froide dégoulinent dans son dos.
07h02 – Elle attrape un bus de justesse. Ca tangue, ça vacille, son estomac joue au trampoline. Le chauffeur pile à chaque feu, mais Maurane essaie de ne pas se laisser assaillir par les convulsions du bus. Elle fixe le déroulement jaune fluo des arrêts en suppliant le temps de bien vouloir s’arrêter.
07h13 – Les portes du bus s’ouvrent et se referment si vite qu’elles retiennent prisonnière les pans de sa robe. Pas le temps de s’apitoyer sur le ridicule de la situation. Elle dévale sur les pavés, se tordant une cheville au passage. Le métro est à deux rues, il faudrait qu’elle vole. Mais l’oiseau doit respecter les feux rouges si elle tient à sa vie. La ville siffle à ses oreilles. Les bruits d’ailleurs, les bruits des autres, encombrent toujours plus sa petite tête. Elle avance frénétiquement, faisant fi de ses turbulences mentales.
07h29 – Elle s’engouffre dans la bouche du métro qui lui impose une nouvelle symphonie rythmique. Et lui accorde une pause dans son marathon, dont elle se serait bien passée. Maurane scrute le décompte des minutes avant la délivrance. La foule se presse à l’apparition des wagons. La guerre est déclarée, mais elle sa bataille à elle a commencé depuis tôt ce matin.
07h34 – Son instinct de guerrière est affuté. Elle saisit sa chance de monter, se tient partout où elle peut, pour ne pas s’effondrer. Elle sent des corps contre le sien. Elle se rappelle de sa soirée de la veille avec cynisme. Elle se dit que finalement, la vie n’est qu’une série de danses. Les effluves qui s’échappent des aisselles de ses compagnons de routine lui donnent la nausée. Mais elle ne doit pas faiblir, elle a déjà fait trop de chemin. Les regards sur elles, la découpent si intensément qu’elle pourrait y laisser du sang.
7h42 – C’est son arrêt, c’est le sien. Pourquoi ne la laisse-t-on pas sortir ? Elle enjambe non sans peine, les masses de corps affalées et compressées. Elle sort, un peu moins coiffée qu’à l’origine, mais nettement plus réveillée. Elle a presque atteint sa destination finale. Elle voit enfin le bout du tunnel.
7h56 – Elle arrive à l’entrée de l’immeuble. Tapote sur le digicode. Emprunte l’ascenseur. Les pulsations de son cœur reprennent doucement leur rythme habituel.
7h59 – Elle presse la poignée de la porte de son bureau. Lorsqu’elle l’ouvre, une lumière intense jaillit de la pièce. Une foule s’est amassée devant elle, une foule de sourires. Ils crient à sa gloire, la félicite. Un collègue se précipite pour lui offrir à boire. Un autre lui tamponne le visage avec une serviette douce. Maurane affiche un sourire victorieux. Elle a les yeux qui pétillent. Il y a de la musique, de la musique si belle. De la musique dans sa tête.
« Bonjour, Maurane, vous avez la liste des documents à imprimer sur votre bureau »
8h00 - Maurane est fière, il lui semble qu’il serait légitime qu’on la décore d’une médaille. Elle revenait de si loin. Le vacarme qui avait lieu dans sa tête depuis don réveil résonnait maintenant comme un hymne à sa gloire. Elle avait réussi. Elle n’était pas en retard.
Perceuse – marteau piqueur - vibreur du téléphone – four micro-onde – ding – brosse à dent électrique – chauffe-eau – porte – talons – klaxons – portes du métro- ascenseur- imprimante – photocopieuse – perceuse - …
Maurane danse. Personne ne le verra mais Maurane danse.
Top, t'as réussi à rendre une matinée "normale" intéressante.
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
Oh merci Fairyclo :)
· Il y a environ 11 ans ·Effect, je savais que tu allais réagir ^^'
rafistoleuse
Arteffact !!!!
· Il y a environ 11 ans ·arteffact
Oh j'ai un gros faible pour les textes imagés et là, je suis bien servie. Le personnage est drôle et la situation tellement... familière -_-'. Il y a un super rythme aussi. Well done :)
· Il y a environ 11 ans ·fairyclo
Merci Hector !! :)
· Il y a environ 11 ans ·C'est vrai qu'on la gagne souvent, mais on est rarement récompensé à notre juste valeur :D
rafistoleuse
C'est la guerre tous les matins et en plus on la gagne toujours. Tu as le don de croquer le quotidien avec ironie et espiéglerie. Avec des expressions made in raf'. J'adore.
· Il y a environ 11 ans ·hectorvugo
Les filles, merci beaucoup !
· Il y a environ 11 ans ·Tu as raison, Octobell, rien que pour ça ce n'est pas Zylan, mais le coté mal réveillée, maladroite et tout, on l'y retrouve un peu ...
Pour Maurane, c'était un clin d'oeil caché, enfin pas trop finalement ^^
rafistoleuse
D'ailleurs, Maurane, ça sonne presque comme Morgane hein ^^
· Il y a environ 11 ans ·octobell
Ah oui, il est original ton traitement ! Le combat contre le quotidien ahahah xD. Cela dit, elle est pas si Zylan que ça ! Déjà je vois pas Zylan porter de robe. Par contre, j'ai presque l'impression de me voir tous les matins xD. Et c'est limite une victoire d'arriver à l'heure aussi ! ^^
· Il y a environ 11 ans ·octobell
quel texte decidement ce defi donne des textes geniaux et tellement differents c'est super. entre nous je ne voudrais pas me reveiller dans cet etat ca doit etre trop douloureux a la cabeza
· Il y a environ 11 ans ·christinej
Oh ben dis donc Zylan est partout, faut vraiment que je fasse gaffe ;)
· Il y a environ 11 ans ·Le rhum de la Réunion est pas mal aussi tu sais ? :D
Merci Matt :)
rafistoleuse
Touchant, drôle et fantastiquement réaliste ! Une histoire simple et tellement "zylanesque" (tu viens d'inventer une héroïne légendaire ! Fais gaffe !) que le réel nous prend à la gorge !
· Il y a environ 11 ans ·Note pour plus tard : ne pas faire la teuf à la vodka ! Préférer le rhum agricole de Martinique ! (lol, represeeeeent comme dirait Octobell !)
matt-anasazi
Exactement ! :))
· Il y a environ 11 ans ·rafistoleuse
Cernée, harcelée par les objets auxquels elle a indirectement donné tous pouvoirs.
· Il y a environ 11 ans ·Archange Flippé