Un sourire bleu marine

Elle s'accroche, elle pleure, elle efface tout et elle recommence. Elle ne sait pas trop comment elle en est arrivée là. Un mélange de choix et d'erreurs imbriqués tellement serrés qu'elle ne peut plus les distinguer. Une suite de coups de cœur et de coups de tête qui ont tour à tour heurté des murs de plein fouet et fait rayonner des soleils d'été au milieu de l'hiver. Jamais rien de répréhensible. Un jour, donner son cœur tout entier. S'abandonner passionnément, offrir tout, sa peau, son corps, ses rêves et son avenir. Tendus mains grandes ouvertes. Ignorant les démangeaisons qui la parcouraient.

Il est parti.

Elle n'a pas de regrets. Deux cœurs qui battent sous ses yeux. Des battements qui ont remplacé son souffle quand il venait à manquer. Des cœurs tuteurs quand elle s'effondrait. Elle s'est enroulée autour d'eux comme une liane. Pour les protéger. Les nourrir. Les aimer. Les faire pousser bien droit vers le soleil. Cœurs-tournesols.

La rage au fond des tripes, elle s'est redressée pas après pas. Les yeux rougis fixés sur le miroir, elle s'est tirée et poussée jusqu'à tenir debout, même vacillante. Pour toujours regarder le miroir sans avoir à rougir d'elle-même.

Elle en a affronté des torrents de boue. Des pluies glaciales. Des tornades destructrices. Affrontement sans fin. Poussant ses deux battements de cœur devant elle pour qu'ils ne voient pas le désastre. Les tirant derrière elle pour faire dévier les flèches.

Avec des intermèdes une fois les draps bien bordés. Des espaces vides remplis de passages tenus à distance. D'essais sans plus pouvoir y croire. Le bouclier haut levé pour masquer les failles et les poings bien serrés. Et ne plus jamais laisser un coup de cœur lui briser le cœur, quitte à être seule dans cette bulle. Seule mais solide, en équilibre sur deux cœurs.

Elle est forte, même et surtout quand ça fait mal. Elle est droite pour ne pas brouiller le reflet du miroir. Elle est drôle, parce que le rire est la seule chose qui guérisse un peu.  Elle a un sens aigu de la justice et du devoir, parce qu'il n'existe pas d'autre choix honnête. Elle est courageuse, oh mon Dieu, si courageuse. Elle est douce, parce qu'elle connaît le tranchant de la souffrance. Elle est compréhensive, parce qu'elle sait quelles défenses l'instinct peut faire brandir. Elle est attentionnée, parce qu'elle a appris la valeur de chaque sourire, de chaque main tendue. C'est une femme, une très belle femme. En vrai, elle est épatante.

Et elle est épuisée. Usée. Exsangue. A bout de souffle. Et elle a honte, cette si belle femme. D'être une femme. Une mère. A qui on peut tout prendre. Même ses deux battements de cœur.

Alors elle s'accroche, elle pleure, elle efface tout et elle recommence. Jusqu'à se relever. A la force du poignet. Ou de la colère. Ou du désespoir. Mais se relever quand même. Qu'importe comment. Et même si c'est la fois de trop, ce n'est pas la fois de la fin. Parce qu'elle sera toujours liane. Pour deux cœurs tournesols dont elle est le soleil.