Une plongée singulière

Ghyslaine Bobillier

Elle s’apprêtait à remonter. C’était une plongée comme elle en avait déjà connu des centaines d’autres ! Soudain, comme surgit de nulle part, elle vit pointer le grand museau pointu  d’un requin blanc.

Elle se redressa, agrippant un peu plus la crosse de son harpon. Le long nez effilé fendit l’espace qui les séparait ; Elle restait immobile, fascinée par la scène qui se jouait devant elle. Quelques mètres encore et tout pouvait se terminer dans un bain en technicolor. Elle redressa lentement sa main libre et appuya sur le museau du monstre. Surpris par ce qui ne semblait qu’une caresse, le fauve des mers se détourna d’elle, laissant voir ses flancs puissants. Seul le regard de la plongeuse suivit le mouvement de l’animal. Les deux prédateurs se jaugeaient maintenant. Le requin contournait sa proie  humaine dans de grandes circonvolutions, comme un chien de berger face à la brebis qui s’éloigne de son troupeau. Elle, elle ne le lâchait plus des yeux.  Il plongea un peu plus profondément, semblant abandonner la partie. Lentement, presque imperceptiblement, la jeune femme balayait l’eau de légers mouvements de ses palmes. A nouveau, surgissant de l’opacité de l’océan, le museau revint à la charge, plus provocateur cette fois. Elle n’en tint cependant pas compte et appuya à nouveau, d’une tape légère, sur la truffe sauvage, comme un basketteur faisant rebondir son ballon. L’animal se cabra, et ressortit sa gueule de l’eau montrant ses dents aiguisées. Des flots d’eau s’écoulèrent de la gueule rouge et largement béante, barbacane vivante au milieu du Pacifique. On eut dit un lion rugissant face au dompteur. Elle avait accompagné l’animal hors de l’eau et lorsque la bête replongea massivement elle  la suivit. Les longues jambes fuselées de la jeune sportive disparurent à nouveau dans les profondeurs.

C’est alors que commença un véritable flamenco entre les deux créatures.  La bête ne cessait de tournoyer autour de la femme, imprimant de sa queue des mouvements  puissants mais empreints d’une force tranquille. Elle suivit son tempo et délivra à son tour un concerto de mouvements graciles ne lâchant pas son partenaire du regard. Elle passa sous son ventre blanc, petit poisson pilote à échelle humaine.  Il glissa sa masse volumineuse à nouveau vers elle et sans même qu’elle eut le temps d’exprimer une feinte, il la contourna ; le sillage  exprimait autour de la nageuse  un mouvement similaire à celui d’un ruban s’accrochant autour du corps gracieux d’une gymnaste. Elle profita du frôlement de leur deux corps pour s’agripper à sa nageoire caudale. Elle s’abandonnait maintenant totalement suivant les ondulations lascives de son partenaire. Autour d’eux, des bancs de petits poissons assistaient au singulier spectacle.

Soudain, comme il s’en était venu, le requin blanc plongea plus profondément dans les eaux de l’océan abandonnant sa jolie cavalière. Elle attendit quelques instants encore, prit conscience de la réalité qu’elle venait de vivre en écoutant les battements appuyés de son cœur puis  se décida alors à remonter à la surface ; non, tout compte fait, cette plongée-là,  n’était pas une plongée comme les autres !

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