Une touche d'amour

carouille

Ecrit pour l'Occitane

Sa peau appelle mes mains. A grands cris. Il pleure, rouge de colère, ou de douleur, ou de frustration, ou de peur. Il n'a pas les mots pour le dire. Il ne peut que contester et hurler pour tirer la sonnette d'alarme, appeler au secours. Quelque chose ne va pas, il ne sait pas quoi, il s'en moque. Ce n'est pas son problème, c'est le mien. C'est à moi de trouver et de réparer.

Mes mains, elles, s'impatientent, se crispent, tapotent. Affamées. Elles prennent le relais de l'esprit. Succèdent à la recherche inquiète de solution, aux mots murmurés à voix douce pour apaiser les pleurs. Quand tout devrait aller bien et que tout va mal, les mains prennent le pouvoir. Savent que c'est peut-être alors simplement cette solitude terrible qui l'effraie. Lui qui est né et a grandi au creux de mon corps, bercé dans ma chaleur, mes bruits, mes balancements, se sent parfois terriblement seul dans ce corps individuel qu'il découvre et doit apprivoiser.

Même serré et bercé dans mes bras, il s'agite et se chagrine. Il manque quelque chose de vital, une faim qui ne vient pas du ventre mais qui court sur tout son corps. Chaque cellule de sa peau qui crie famine et réclame d'être touchée, câlinée, aimée.

Les vêtements doucement enlevés, son territoire vierge et innocent s'offre et quémande. Des caresses ronronnantes. Des enveloppements refuges. J'agite mes mains sous ses yeux comme oiseaux prêts à s'envoler. Et son sourire vient illuminer son regard. Dans l'attente du contact, il se fige, immobilité tendue qui réclame son dû.

Mes doigts sont gouttes de pluie qui dansent sur son front, glissent sur ses tempes, dévalent le bout de son nez. Ses joues rebondissent sous mes paumes, gonflées de sourires et d'envies. Ses lèvres s'ourlent de douceur gourmande. Sous la pulpe de mes doigts vibrent les mille et un rêves à venir, les innombrables bêtises, les glorieuses aventures, les collections de découvertes. Tout est là, juste là, au bout de mes doigts, toutes ces années inconnues qui vont écrire sa vie. Le poids de sa tête repose dans ma main, la remplit, la comble. Poids de ce qui est, qui m'appartient encore un instant, qui me possède pour toujours.

Mes caresses descendent pour envelopper tout son corps. Tisser un cocon sécurisant où faire s'épanouir les battements de son cœur. Il se détend, s'apaise. Son agitation se fait abandon. Effleurages en éventail sur sa petite poitrine frémissante. Pour l'ouvrir au monde, lui donner la confiance de s'élancer. Pétrissage des bras. Douce chair dodue au contact moelleux, prête à enlacer la vie à bras-le-corps pour une belle danse. Effleurements soyeux sur les mains qui agrippent, prise de possession de chaque doigt. Tapotements légers sur le ventre gonflé de possibles et de rêves en devenir. Mais aussi des pressions profondes, parce que la vie n'est pas toujours facile à digérer. Tricotage de caresses le long des petites jambes potelées, rondes de tous ces kilomètres à parcourir pour faire le tour de la vie, des hommes, des savoirs, des arbres. Pressions du bout des doigts sur les pieds d'argile qui vont soutenir et mener mon géant tout autour du monde.

Quand je l'ai habillé de douceur soyeuse de la tête aux pieds, l'envelopper de longues caresses glissées qui le baignent, réunifient les parties éparses de son corps, le rendent à lui-même. Durant ces longues minutes d'échange silencieux et bavards, me gorger de la chaleur palpitante de sa peau. Cette peau si douce, encore vierge des marques du temps. Innocente de cicatrice. Vulnérable de perfection. Qui appelle et attire mes mains, mes yeux, m'emplit à son toucher de longues vagues de bien-être. Fait raisonner dans mon ventre le sourd tambour de l'amour primitif.

Pas besoin de mots dont il n'entendra que ce qu'il voudra. Pas besoin de regards dont il me narguera. Pas même de baisers qu'un jour il repoussera. Juste cet échange entre nos peaux, la chaleur et l'énergie qui émanent du toucher. Cette intimité où je le nourris encore un peu, où il fait encore un peu partie de moi. Cette fusion où chacun apporte ce qu'il est, donne ce qu'il aime, où nos respirations se répondent. Sculpter de mes mains sur sa peau un cocon de protection contre toutes les égratignures à venir. Lui dont l'âme est encore vibrante du souffle des anges, l'ancrer dans ce corps qui l'a confié à mes bras.

Il s'est endormi. Abandonné, confiant, repu de caresses. Un léger sourire au coin des lèvres. Je le soulève et l'enlace pour un câlin – ventre. Son corps se soulève au rythme de ma respiration. Son oreille sur ma poitrine emplie ses songes des battements de mon cœur. Là il peut prendre toutes les forces dont il a besoin pour grandir et s'éloigner de moi. Et moi, le nez plongé dans son odeur douce et sucrée, nimbée de sa chaleur qui m'alanguit, mes doigts dessinant encore des arabesques sur sa peau, je forge souffle à souffle la main de fer dans le gant de velours dont il aura besoin pour grandir bien droit. J'inscris au plus profond de mon âme que quelques soient ses âges, ses colères et ses éclats de rire, ses forces et ses faiblesses, ses rébellions et ses indépendances, ses replis et ses abandons, il aura toujours besoin que je sois là. Qu'au-delà de mes inquiétudes, de mes mots d'amour, de mes conseils et de mes gronderies, de mes savoirs et de mes erreurs, je sois toujours capable de revenir au silence pour simplement tenir sa main. Passer mes doigts dans ses cheveux. Le serrer dans mes bras. Pour lui dire sans un mot tout cet amour que j'ai pour lui, pour ce qu'il est et ce qu'il construit.

Le toucher chaque jour, pour aimer tout le temps, au-delà du bruit de la vie.

  • Ce bébé-là a bien de la chance... Félicitations pour ce récit touchant et émouvant.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Ils ne s'en rendent jamais compte ! !! :))) merci de ton passage chez moi :)

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Ananas

      carouille

  • Bravo Carouille, ton texte est doux et hors du temps, c'est très réussi !

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Mai2017 223

    fionavanessa

    • Fiona, tu sais bien que l'amour maternel est hors du temps :) merci de ton passage chez moi :)

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Ananas

      carouille

  • Superbe !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • Merci Vero :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • ça me rappelle des souvenirs :-)) c'est très beau ma douce :-))

    · Il y a presque 8 ans ·
    12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

    Maud Garnier

    • souvenirs de câlins à nos tous petits, c'est universel ;) Merci ma Mauve-qu'un-M ! ;))))

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • hihi qu'un M oui, j'M j'M j'M ton texte :-)))

      · Il y a presque 8 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

    • Hihihi ! ;) excellent ! !! T'es douée finalement toi avec des moufles ! ! ;))))

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • les autres vont rien comprendre à nos commentaires hahaha :-)

      · Il y a presque 8 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

  • Je pense que tu viens d'inventer le terme de ‘’caresse-appeau ‘’pour cette très belle ode à la tactilité. Ben oui, y a pas que le miel qui attire les ours, les beaux textes aussi :)

    · Il y a presque 8 ans ·
    479860267

    erge

    • Je veux bien appeler des tonnes de caresses, c'est aussi essentiel que l'oxygène pour vivre. Je vais aller voir dans mon sac à malices quels autres appeaux je peux inventer :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • très très "touchant" tendre, finement analysé, cette fusion Poids de ce qui est, qui m'appartient encore un instant, qui me possède pour toujours. j'ai adoré la justesse de cette phrase. J'ai encore à l'esprit tous les câlins avec mon deuxième fils qui a fêté ses 27 ans hier, et qui se jette toujours dans mes bras pour respirer mon cou et soupirer de bonheur.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • Les miens ont grandi aussi, mais ils aiment toujours autant les câlins. j'espère que nous garderons ce bonheur encore longtemps, comme toi.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • C'est magnifique ! tu décris si bien l'amour maternel ma Z ! Je me souviens de ces moments de peau à peau dans le silence, de leur odeur sucrée ..ben voilà, nostalgie quand tu nous tiens ;) Bises ma Z

    · Il y a presque 8 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • Oui, c'était bon hein ? Maintenant c'est, comment dire euh...différent ?? ... ;))))) Merci ma Z.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • oui mais l'Amour ne change pas :)) bises

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ade wlw  7x7

      ade

    • ;)))

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • Un grand bravo ! Je n'ai pas essayé sur ce thème ; tu le réussis à la perfection !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Image

    Ana Lisa Sorano

    • Merci Ana ; ) le sujet m'a inspirée, j'adore masser mes bouts de chou et. ..ils adorent l'être ! ! ;)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • L'amour maternel avec un grand A ... c'est beau !

    · Il y a presque 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci Marie ! ;)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

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