Vampire psychique

Edwige Devillebichot

Amélie est jeune et jolie, son appétit pour la vie la fait danser plus que marcher sur le gris du trottoir. Elle est simple et très chaleureuse, elle s'intéresse à tout. Son corps plein de rondeur et son sourire éclairent les poussières tout autour d'elle.
Dans la clarté de l'après-midi, elle croise un petit homme triste, assis sur le trottoir qui lui dit :
- "Amie, toi qui est pleine de vie, donne m'en un peu à boire car je suis bien fatigué, laisse-moi m'abreuver un peu à ton sourire, à ta source, toi le fruit plein de jus, plein de nectar."
Amélie est prise de pitié :
- "C'est vrai que mon coeur regorge de victuailles, c'est vrai que ma chair est pleine et mon regard ouvert, va, je veux bien avec toi partager !"
Elle s'assied à côté de lui et l'écoute raconter ses soucis, sa tristesse. Il boit la liqueur qui s'écoule de l'écoute attentive et chaleureuse d'Amélie. Il est enfin heureux, il se réjouit, Amélie lit avec plaisir dans ses yeux mille mercis.
Mais voilà qu'elle sent en elle une grosse fatigue. Alors qu'elle va pour se lever et  le remercier de l'avoir soulagée, d'avoir un peu bu de ce trop plein d'amour, de ce trop plein de vie qui fait tant déborder sa coupe, elle voit dans ses yeux la peur qu'elle s'en aille.
Le corps du petit homme se crispe, elle comprend qu'il veut la boire jusqu'à l'ivresse, ses mains deviennent crochues, il l'attrape à la gorge, sa vie il boit jusqu'à la lie, la bouche tordue par la haine.
Quand le ventre gonflé il ne peut continuer à boire, il veut encore se mirer au miroir de ses yeux dans un rot victorieux, mais il ne voit qu'un front crispé par la peur, des yeux durcis par la douleur.
Alors il pisse dans le puits et jure que jamais plus il ne boira. Il n'a rien compris.

Amélie fut malade et lui aussi.

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