"victor Dubrownick" ...2
Manou Damaye
Je vais me le bichonner, d’abord parce qu’il s’appelle Girond et puis parce que le temps file, autant l’avoir à la bonne ! Verser le liquide lentement le long de la paroi, sans former de mousse, une fois le verre à moitié rempli, ouvrir le robinet franchement et redresser lentement le verre. Et voila, trois centimètres de mousse, une perfection ! Girond à l’air ravi.
- Joli doigté !
J’esquisse un vague sourire et repars en salle avec mon plateau et ma lavette.
Victor avait des doigts fascinants. C’était le premier mardi des grandes vacances, un de ces jours où je m’amusais à le suivre. Il faisait chaud, très chaud, les terres avaient besoin d’eau, le cours de la rivière était au plus bas. Victor passa le pont en direction de l’abattoir puis s’accroupit à côté de la bouche d’évacuation qui donnait dans le Salat. J’ai senti qu’il allait se passer quelque chose d’inhabituel, je me suis caché comme j’ai pu. J’étais en nage à l’ombre des troènes. Lui, en plein soleil, attendait impassible en se tirant le lobe de l’oreille entre le pouce et l’index. Si ce n’était ma peur qu’il ne me découvrit, j’aurais bien pris la poudre d’escampette. Soudain, le flot du sang des bêtes abattues dans l’abattoir s’est mis à jaillir, éclaboussant la terre aride pour rejoindre le Salat. Je vis Victor se faire craquer les doigts, puis les faire danser dans l’air comme faisait ma mère avant de jouer une sonate au piano et là, il plongea ses mains dans le liquide rouge. Je me rappelle ma frayeur et mon envie de vomir. La voix de mon frère résonnait dans mes oreilles « T’as pas de couilles, tapette !» et le sang coulait encore et encore et Victor jouait avec comme si c’était du sable fin mélangé à l’eau de la mer sur les plages de la côte basque. Quand la source fut tari, Victor regarda ses mains ensanglantés, il eut un étrange sourire et suça son index de la main gauche. Puis il se leva promptement, se rinça à l’eau grenadine du Salat et s’en alla. Le soir, au diner, mon père annonçait la mort de Mme Dubrownick dans d’étranges circonstances.
La voix puissante du patron m’arrêta dans mes souvenirs.
- Alain, tu m’as remonté les futs de bière pour demain.
Ca veut dire que c’est l’heure de la débauche, parce que, pour Mr Louis, préparer le lendemain ça fait pas parti du service ! Aujourd’hui, ça me va ! Entre l’inspecteur Girond et le père Louis, autant filer à la cave !
Et toujours la voix du frangin dans ma tête ; « tu te pisses au froc la tarlouze, c’est à cause de l’inspecteur ! » Ta gueule Laurent Delcroix ! « Vas y clébard, suce le, ton Dubrownick ! » Connard, si tu mouftes pour Darchimbeau, j’appelle mon Ruscof et c’est toi qui va pisser le sang !
C’était trois ans après la mort de la mère de Victor, j’étais maintenant son ami, je faisais parti de sa bande. Il inventait des rites d’initiation, il fallait suivre un protocole pour franchir tous les degrés. Il écrivait des pages et des pages sur la folie des hommes qui tuent les animaux en les laissant souffrir mais aussi sur les couleurs de l’aura au moment de la mort et des belles choses que je faisais semblant de comprendre et que j’apprenais par cœur avec dévotion. Il y avait aussi les épreuves physiques, le sang y était toujours mêlé. Dans St Girons, les gars voulaient tous faire partie de la bande à Victor.
Stéphane Darchimbeau, le fils du vétérinaire a fait changer la donne. Pour faire parti des nôtres, il devait plonger ses mains dans le flot de sang derrière l’abattoir, attendre l’arrêt de l’écoulement, avant de les tremper dans l’eau rougit de la rivière. Il n’a pas tenu le choc et s’est mit à vomir tripes et boyaux en hurlant qu’on était des fous sanguinaires et qu’il allait le dire à son père. Victor le stoppa net, d’une main il lui serra la gorge, de l’autre les parties génitales. J’ai vu de la fièvre dans les yeux de mon ami. D’une voix blanche il a dit « Ouvre la bouche, c’est ton sang que tu boiras ! ». Les moins courageux sont partis avec Darchimbeau.
Nous n’étions plus que cinq comme les cinq doigts de la main, c’est là que nous avons décidé de devenir un clan plus fermé, pour garder nos rituels secrets. C’était la grande époque ! Les mercredis de pluie, Victor venait se refugier à la maison avec sa sœur. Depuis que leur mère avait disparu, il s’en occupait merveilleusement. J’avais treize ans, elle en avait neuf. Je la trouvais belle avec ses grands yeux noirs, si étrangers à ceux de son frère. Pour rire je lui disais
- Jasmine, plus tard tu seras ma femme et je t’offrirai un palais de princesse.
Ca la mettait en colère,
- C’est pas moi ta princesse, moi je suis Violette!
-Mais si, tu es Jasmine et moi je suis Ali Baba !
-Non, si tu m’appelles encore Jasmine, je te transforme en crapaud jusqu’à ce que ta princesse te délivre !
Ces yeux devenaient encore plus noirs, on rigolait tous les trois. On avait une paix royale. Mon frère était pensionnaire à Toulouse, la ville des violettes, c’est peut être pour ça que je préférais le jasmin, quant à mes parents, toujours très occupés, ils n’étaient jamais là.
Le soir, après les cours, le clan se retrouvait, nous testions nos sens, notre courage. Les épreuves de passages sont devenues de plus en plus dures. La dernière se passait à l’intérieur de l’abattoir. Il fallait apprendre plusieurs pages, par cœur, trouver comment entrer dans l’abattoir, subtiliser une blouse de « bourreau » et son attirail, choisir une bête suspendue par les pattes, réussir à la calmer en lui récitant avec une infinie douceur, les pages du rituel. Quand la bête arrêtait d’hurler, couper net les carotides pour que la mort soit instantanée, puis rester avec elle le temps que le sang s’écoule et de dire le rituel à l’envers pour la paix de l’âme.
Toujours est-il que ça ne s’est pas arrêté là. Un jour Dubrownick est sorti de l’abattoir avec une valise, il nous a réuni et a décrété que le clan allait s’appeler la SSSH, Société Secrète des Sacrifices Humanitaires. Là, j’ai eu peur, ça devait se sentir par tous les pores de ma peau, je disais oui il a entendu NON.
Ca jacte là haut ! C'est passe muraille qui fait le fouille merde avec l'patron
- Vous le connaissez vous, Victor Dubrownick, il parait qu’il fait du miel, j’ai appris ça par la concierge de l’immeuble de votre barman !
- Vous voulez dire l’ami de mon barman ? Vous savez, mes employés, ils me connaissent. Vous laissez venir le copain, après c’est la copine et alors quand la famille débarque c’est fini. Comment voulez vous qu’ils travaillent. Les amis c’est avant et après le boulot ! Ici, c’est moi qui paye si vous voyez ce que je veux dire. Votre Dubrownick, il vend son miel sur le marché, le dimanche matin, c’est tout ce que j’en sais. Quant à mon rouquin, je le malmène un peu mais c’est un brave p’tit gars. …
J'adhère toujours. Je ne vois pas Steinbeck, pourtant je suis aussi Léo, mais je vois "20th century boys", par contre, de Naoki Urasawa (un fou dingue de l'ambiance et du scénario). Je suis d'accord pour les transitions, on loupe souvent le sens de la première phrase à chaque changement, le temps de remettre tout en ordre.
· Il y a presque 13 ans ·Léo Noël
merci Stef ....entendu :)
· Il y a presque 14 ans ·Manou Damaye
Un vrai plaisir, ce descriptif... J'y étais. Merci Manou
· Il y a presque 14 ans ·interlude
!!! Oui, encore!
· Il y a presque 14 ans ·meo
Il est terrifiant ce Victor !!! le goût du sang, la fascination, bon suspens !!
· Il y a presque 14 ans ·theoreme
J'aime! A quand la suite Manou?
· Il y a presque 14 ans ·lapoisse
Foi de Léo, je tape sur ma main, je crache, je bave, il faut que tu nous donnes la suite... et que ça saute. Belle écriture, ça oui.
· Il y a presque 14 ans ·Gisèle Prevoteau
Je le préfère un peu plus au précèdent tout simplement parce qu'il éveille en moi le souvenir "Des souris et des hommes" de Steinbeck, mon dieu écrivain ! C'est dire le compliment ! Très très belle écriture Manou ! C'est publiable, ça c'est sûr, foi de Léo ! La suite avec impatience, mon coup de coeur, sans réserve !
· Il y a presque 14 ans ·leo