Vous venez avec moi? Fin

C'est le plus bel endroit de la terre. Et même si ce n'est pas vrai, je suis d'accord avec moi. C'est le plus bel endroit de ma terre. Je veux mourir là, ici. D'autres y sont morts, après avoir vécu difficilement, durement. Mais leur récompense, c'est qu'ils avaient déjà le paradis sous les yeux en permanence. Il faut prendre cette route, vous savez, celle de la corniche. Oui, la corniche des Cévennes, pas celle au dessus de Monaco! C'est celle là, la vraie!  Non mais!

Il faut regarder défiler le paysage. S'éloigner de la ville pour arriver à ses pieds quelques dizaines de minutes plus tard. Le paysage devient beau et majestueux au fur et à mesure que l'urbanisation s'étiole. J'aime cette route. Elle est comme une promesse d'enfant, naturelle, sincère. Elle mène forcement vers un monde meilleur. Là haut la sérénité attend. Elle patiente dans son écrin. Elle a le temps. Tant de beauté ne peut me conduire que vers l'apaisement. Je me laisse bercer tranquillement par les virages qui s'enchaînent. 

Il faut venir en automne. 

Aucun problème en cette saison. Les touristes ne sont plus là. Les habitants se sont re appropriés leur région. Tout est redevenu calme. L'effervescence est partie avec le bruit et les badauds. La tranquillité et la beauté se sont associées en ce début d'automne. Tous ces paysages, changeants, vallonnés au  départ, où le vert des persistants se mélange au jaune et au rouge des feuillus. Les châtaigniers flamboient dans cette lumière d'automne. En plissant les yeux, c'est presque de l'art contemporain. Un artiste fou devait chercher une toile à la taille de sa démesure. On dirait qu'il a jeté des pots de peinture, au hasard, comme des taches. Et le hasard avait rendez vous avec la beauté.
Plus haut, arrivé sur le plateau, c'est le changement total. L'excès de végétation à laissé place à de vastes étendues plus désertiques. On dirait que les arbres, intimidés par tant d'espace, ne veulent pas occuper le terrain. Ils restent plus prés du sol. Ils se regroupent par petits clans. Parfois l' un d'entre eux se retrouve tout seul. Il ressemble à un combattant égaré dans un pays hostile. Il cherche un hypothétique soutien. Mais le vent le maintien à taille humaine. Il le discipline, le façonne, l'incline, comme pour le forcer à plus d'humilité. Même  Dieu n'a pas osé terminer le boulot ici. Et c'est beau comme une douce mélancolie. La rêverie de l'utopiste. Le vague à l'âme du monde et le spleen de l'univers se concentrent dans cette beauté naturelle, où le rêve peut enfin occuper la place qu'il mérite.  En passant devant l'hospitalet, quelques maisons me rappellent que la vie humaine existe encore sur terre. Puis la descente sur Florac, avec les falaises du causse qui se dressent de chaque côté, majestueuses, envoûtantes, et qui  me donne des envies d'envol, de décollage, et d'étourdissement. 

Je suis addict.

Alors je tourne en direction de Bédouès (on prononce le "s" merci, c'est le sud.), et j'arrive aux Bondons.  Et là deux mamelons de marnes noires, que même l'érosion n'a pas vaincu, s'offre à moi. La définition de la beauté par l'image. L'image de la beauté par le paysage. 

L'émotion que peut procurer cette étendue où rien ne pousse est infinie comme la vue que j'en ai. En regardant bien, on doit pouvoir arriver jusqu'au cieux. Et les Bondons. Deux promontoires identiques, jumeaux, comme des seins dressés au milieu d'un paysage désertique, ce rien, ce tout, la Terre-Mère. La quintessence, la substantifique moelle. Tout ça s'enfonce dans mon cœur, mon âme, et mes tripes, et je veux rester là, assise, en attendant mon sort. C'est le seul endroit où je n'ai besoin de rien. C'est le seul endroit où l'apaisement et AU..TO..MA..TI..QUE, naturel et définitif. C'est mon aliénation, mon aveuglement, ma démence, mon égarement, mon délire, et ma raison. 

Je deviens folle d'être aussi sereine. 

Même les routes sont belles ici. Elles s'étirent au milieu du paysage. Elles serpentent comme du bolduc  jeté par terre un soir de Noël. Je n'en reviens pas, je n'en reviendrai jamais. Elles m'emmènent chaque fois au paradis. 

C'est inouï, je connais déjà le chemin.