1984... ça fait que commencer

Hy Numericus ! Comment ça va la vie ? Et ton Réseau, ça boume ? T'as un peu reconfiguré tes potes ? Nettoyé ton disque ? Alors t' as finalement réussi à t'immuniser du monde ? A neutraliser tes incertitudes ? Et pour ton Ad-venir t'as des plans ? Et tes données numériques, métabolisées ? Je dis ça, c'est pour dire ! Je me demande juste si tu ne te sentirais pas un peu profilé toi aussi ? Non parce que ton engouement pour le Big Data mon pote, faut quand même faire gaffe. On est devenus une sacrée somme de données bon sang,  tout est transcrit systématiquement et en temps réel mon vieux ! On sait même pas où. Ni pour qui. On est carrément mis en chiffres, en nombres, tu peux imaginer ça. Notre identité en pixels, ça fiche la trouille. La vie en nombres, tu peux le croire, la vie même !! Notre vie bordel !

Non, parce que la numérisation c'est sympa mais à la longue, ça va mal finir je te jure ! 

Sans compter toutes les informations qu'on se prend dans la figure dès le réveil, en continu, tout au long de la journée, ces nouvelles, qui n'en sont pas toujours, ces provocations constantes, ces tribunes permanentes, ces alertes incessantes, ces stimuli en boucle, chépatoi, mais moi, ça me vrille le cerveau. J'ai l'impression qu'il y a un trou noir au milieu, sous mon crâne, et que mes neurones sont grillés. Je ne parviens plus à retrouver mes anciens rêves dans tout ce fatras ! Je ne sais plus distinguer entre le probable et le possible. Entre le vrai et le faux. Entre la vérité et les fake-news mensongères. Punaise, la vérité est carrément atomisée ! Ca va finir par fausser toutes mes perceptions du monde cette histoire !

T'as pas remarqué ces glissements des choses, des mots, du sens ? On saute du coq à l'âne, comme avant tu vas dire, mais sauf que ce n'est plus un coq et ce n'est plus un âne ! On ne sait même plus ce dont il s'agit. On perd le fil. On passe à autre chose. Ou à rien. Et puis finalement on s'en fiche !

Le pire c'est ça, c'est quand on s'en fiche.

Ah, vraiment,  il a gagné, le Big Data, j'allais dire Big Brother mais tu vas m'accuser de tout noircir ! de me la jouer Kafka ! ou Orwell ! Non mais je le sais bien que tu l'aimes ce nouveau gouvernement spectral, ça t'arrange d'un côté. T'as même plus à penser, vieux ! Plus besoin de discuter. De faire des choix. C'est plus simple tu as raison ! Finalement, tu adores  être con...figuré.

Pendant ce temps le temps file. Alors quoi de tes  rêves à toi aussi ?

Et si tu te levais ? si tu posais ton e-phone, ton smart, ta vie par procuration, ton e-vie ....Si tu cherchais à débusquer les signes d'un quelconque excès , les mensonges, les croyances, les dogmes en tous genres ? Si tu cessais de tout prendre argent comptant ? Si tu tentais de relativiser ? Si tu t'autorisais des digressions, des chemins de traverse ? Si tu laissais un peu place à ton imagination, à ton inventivité. Au hasard. A la chance. A une rencontre. Une vraie.

Bon je sais je fais un peu vieux schnok mais j'adore te réveiller petit !! Te secouer le cocotier ! Te remettre en selle !! Te pousser à redevenir le magnifique et fougueux conquérant que tu n'aurais jamais du cesser d'être !!! Cet Homme jeune et joyeux épris de liberté !

En attendant, fiston, c'est l'heure, on passe à table, on t'attend !!

« Que se passe-t-il ? De quoi sommes-nous les témoins mi-fascinés, midévastés ? Continuation vaille que vaille d'un monde fatigué ? Crise bénéfique du même monde, en proie à son victorieux élargissement ? Fin de ce monde ? Avènement d'un autre monde ? Que nous arrive-t-il donc, à l'orée du siècle, qui ne semble avoir aucun nom clair dans aucune langue tolérée ? »

Jean-Luc Godard, Adieu au langage, 2014