Apolline

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Antonìo se prépara avec plaisir  pour accompagner Nati, sa tendre épouse, à l’Algeria prendre le petit déjeuner. Il savait qu’ils y retrouveraient leur couple d’amis Javier et Maria-Jòse. Ils s’y donnaient rendez-vous tous les vendredis. C’était devenu un rituel, presqu’une accoutumance, un besoin simple de parler du vieux-temps qu’il soit bon ou mauvais. Souvent entre deux cafés, ils préféraient n’évoquer que les bons, presque toujours les mêmes.

Ils arrivèrent les premiers au café du centre de San-José. Il y avait déjà foule, plus aucune table n’était disponible à l’intérieur du restaurant, les habitués ayant pris d’assaut les tables à l’abri du soleil andalou déjà brûlant à 10h du matin. Ils s’en moquaient, ils aimaient le soleil, la douceur ignée du vent venu du sud et charriant avec lui quelques effluves de figuier.

Antonìo s’installa à une table en terrasse laissant son épouse passer commande. Il la regarda se diriger vers le bar. Le temps avait fait son ouvrage, fanant et creusant la peau tannée par le soleil, chaulant la longue chevelure brune, élargissant la descente de reins si souvent jalousée, claudiquant la démarche de danseuse indienne qui l’avait fait craquer. Mais, malgré ses 92 ans, il la trouvait toujours aussi belle et la chérissait plus que tout, il bénissait la vierge de lui avoir laissé toutes ses années à ses côtés et priait qu’il y en ait encore quelques unes.

 

Javier et Maria-Jòse arrivés, ils entamèrent le churros, long serpent de pâte à beignet frite, et leur café au lait. Javier commentait sa lecture d’El Paìs, et comme à chaque fois, il se demandait, prenant la tablée à partie, dans quel monde pouvions nous bien vivre et son épouse de rétorquer qu’il y a encore trente ans c’était pire. Mais Antonìo n’écoutait plus, il observait un couple de touristes et leurs deux enfants qui venaient de prendre place sur la table d’à côté. Il s’amusa d’abord de leur trouble, ils ne savaient visiblement pas ce qu’il convenait de faire pour être servis. Puis, prêtant plus attention, il reconnut la langue et comprit qu’il s’agissait de Français. La blondeur de la femme, les cheveux tirés en arrière et regroupés en une queue de cheval dégageant de petites oreilles bien ourlées et une fine nuque le projeta comme propulsé par la machine d’HG Wells, 60 ans plus tôt.

 

Il se voyait à la descente du train dans la gare de Lille après ce long voyage de clandestin, fuyant les affres franquistes et laissant sa Nàti dans sa castille natale. Puis il se souvenait de la filature à Roubaix dans laquelle on le payait pour porter les sacs de laine que les machines avalaient dans un vacarme étourdissant d’engrenages et de pièces métalliques qui s’entrechoquaient. Comment s’appelait-elle déjà ? Il voyait encore la rue pavée qu’il fallait suivre et ces maisons collées les unes aux autres comme pour conserver le peu de chaleur que le soleil du Nord voulait bien offrir. Puis il se souvient d’Apolline, la blancheur de ses seins et la blondeur de ses cheveux, un chignon offrant à sa vue deux lobes magnifiques qu’aucune boucle ne venait cacher. Il était devenu fou de cette peau d’albâtre et elle de ce toréro venu de loin. Il faillit oublier les oliviers, les orangers et le Guadalquivir dans les bras flamands qui le réchauffaient d’un hiver difficile. Il y serait encore si la missive le prévenant de la mort imminente de sa mère ne l’avait obligé à prendre le risque de rentrer au pays.

 

Antonìo ! Antonìo ! Que pasa ?

Il s’aperçut que sa femme et ses amis le regardaient surpris, il avait dû rester longtemps à refouler les pavés de cette rue roubaisienne. Il leur fit un sourire les rassurant sur son état mental, se leva et se dirigea vers la table voisine où le couple attendait toujours une éventuelle serveuse.

"Bonne jour, aller dans le maison pour demander le café."

Le fantôme d’Apolline le remercia et accepta qu’il l’emmène avec lui dans le café pour y commander deux cafés et du jus d’orange.

Il entendit Javier se plaindre de son jeune voisin qui ne respectait pas son grand âge, comme tous les jeunes, de notre temps ... la vie reprenait son cours.

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