Aujourd'hui, Papa est mort
fran
Je le regarde, allongé, sans vie, avec mes chaussettes aux pieds. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Je viens de perdre celui qui a souhaité ma présence dans ce monde, Papa.
Il est là, un peu blanc, un peu gris, silencieux. Je ne peux pas croire que ce soit fini. Je ne peux pas croire que les choses s’arrêtent comme cela, un matin. Pas lui. Pas cet homme là.
Je sens les larmes qui montent. Je ne veux pas, je refuse. Mais cela vient tout seul. Je vois mon père vivant. Il a son filet de pêche dans une main, son panier en osier dans l’autre. Il est en bermudas bleu. Il a sa marinière rayée, devenue trop étroite, au fil des années. Je suis en retard. La marée n’attend pas. Les crevettes vont s’enfuir et Papa consulte sa montre. Il prend un air excédé, il me fusille du regard. Je proteste, le ton monte. Mais juste un peu. Mais ce n’est pas sérieux. Je sais que c’est pour rire. Et ce soir, nous trinquerons au cidre.
Mais aujourd’hui, c’est fini. Aujourd’hui, Papa est mort. Aujourd’hui, on l’enterre et je suis orpheline pour toujours.
Je monte dans ma chambre. Je m’allonge. Un lit, c’est horizontal. C’est un peu comme un cercueil. On va mettre Papa en bière demain. Mon pauvre petit Papa. J’ai peur qu’il ait froid. J’ai la hantise qu’il manque d’air. C’est ridicule, je sais. Mais, j’ai peur et je ne contrôle rien. Et s’il avait faim, lui qui avait toujours un petit creux ? A la maison, on l’appelait l’intestin. Il se réveillait la nuit. J’entendais des bruits dans la cuisine. Je savais qu’il mangeait du chocolat. Au crissement du papier, au bruit de ses mâchoires. Alors, je me levais en silence, je remontais le couloir et je surgissais, face à lui, les yeux à demi-fermés. Il était pris en flagrant délit. Il me disait « juste un carré ». Et je soupirais.
Mais maintenant, c’est fini. Et, comme tu me manques Papa. J’aimerais que ce soit un cauchemar. Que tu te réveilles. Que tu me dises, ma chérie. Et surtout que tu m’emmerdes avec tes histoires de crevettes, tes carrés de chocolat. Tes futilités synonymes de vie.
Quel beau texte ! dans ces détails beaucoup d'amour... l'esquisse d'un bel hommage, et d'une certaine façon une pudeur des sentiments ? c'est comme cela que je le ressens ? merci pour ce partage !
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot
Une évocation tendre et juste. Un joli texte.
· Il y a plus de 13 ans ·saint-james
Merci beaucoup, tes mots me touchent et m'encouragent aussi ... bonne nuit :)
· Il y a plus de 13 ans ·fran
Tu tiens là les rennes qui retiennent où laissent une écriture vivre sa propre vie, il y a un appel d'air dans ce chagrin et ces questions d'enfant, tu as les mots, l'intention, l'envie. Lâche tout, laisse les vivre, ne laisse pas leur pesanteur étouffer ton propos, les mots portent en eux mêmes leur propre message ne les charge pas du tien, non laisses les s'assembler. Ce que tu dis est ton ressenti,il faut qu'il devienne le nôtre, et tu n'es pas loin d'y arriver.
· Il y a plus de 13 ans ·Je ne te dis que ce que je pense, je n'ai aucun bagage ou diplôme à te discerner , simplement ce que tes phrases m'inspirent. Merci et continue, nous sommes beaucoup à croire que tu es douée
Jacques Lagrois
Papa chocolat au coeur des étoiles ! Tant d'amour souffrant ! Merci Fran !
· Il y a plus de 13 ans ·theoreme
Un jour, un mois, un an ...
· Il y a plus de 13 ans ·Rien ne remplace un être cher, et les mots, avec le temps, finissent par être posés sereinement.
minou-stex
Ceux que nous aimons sont toujours avec nous.
· Il y a plus de 13 ans ·Marcel Alalof
Un carré de chocolat couleur gris de cendres, ça a le goût du chagrin et de l'amour. Bravo.
· Il y a plus de 13 ans ·Juliet
Ces petits gestes et grands souvenirs qui remontent à la surface, qui entretiennent le souvenir, la peine aussi. Très touchant.
· Il y a plus de 13 ans ·leo