Cartes postales made in USA
Stéphan Mary
Nous sommes partis de Naples en Floride. Cette ville balnéaire très cotée, espace revendiqué comme le must de la côte ouest, peut se comparer à Saint Tropez pour sa réputation savamment entretenue par et pour les millionnaires. Ils viennent le temps d'une saison et repartent ailleurs avant l'arrivée des hurricanes. Flâner à Naples consiste à s'arrêter devant le libéralisme forcené exhibant les magnifiques demeures offertes à la vue de tout un chacun. Pas de murs pour protéger des regards intrusifs, étalage sans vergogne de la riche Amérique. En réalité Naples est un mouroir pour vieux argentés avec service du personnel privé au milieu duquel l'infirmier à domicile figure en pôle position. Il y a bien sûr des restaurants. En cuisine en dehors du chef voire du second, ce ne sont que des mexicains, main d'œuvre à petit prix qui eux sont logés un peu à l'extérieur du centre. La rue de leur logements est nette, sans bavure, les jardins proprets mais l'intérieur peut être repoussant. Au point qu'une maison sur deux exhibe le panneau To sale ! Les riches sont plutôt bien portants pour leur âge. Les pauvres, ceux de l'extérieur de la ville, sont gros comme des big mac. Là-bas les sandwichs font trois fois la taille de nos petits appétits franchouillards. Les big mac ne coûtent quasiment rien. Monsieur Mac Donald's nourrit les bas salaires, les sans salaires. La santé ? Nous sommes en Amérique, chacun fait ce qu'il veut !
J'ai également découvert une autre Amérique à Naples : un français rencontré par hasard, bon salaire c'est-à-dire n'étant pas à l'extérieur du centre ville m'emmène dans un vrai bar où se joue en sourdine barfly et autres piliers de comptoir. Avant d'entrer, sur un écriteau pas très grand mais suffisamment pour ne pas échapper à l'œil, la mauvaise surprise : une phrase, une seule «Les chiens et les noirs sont interdits». Ça fait un choc. Nous nous installons au bar. Mon copain me présente Indiya une vieille femme surnommée « L'indienne » qui perchée sur son tabouret m'explique que c'est pour le fun, qu'ils ont gardé l'écriteau comme ça parce que c'est comme ça. Un petit remember pour nous les strangers. Elle me demande si je suis marié. Je dis non ! Elle me réplique : « Elles sont toujours poilues ? » J'esquisse un sourire. Dans ce bar personne ne sait où se trouve la France sur un Atlas mais ils sont tous convaincus que les françaises ne se rasent pas ! Je dois m'y faire nous n'avons pas les mêmes sources d'information. Ensuite la vieille me propose de concourir à qui boirait une choppe d'un litre de bière. Le perdant paie la tournée suivante. Les regards de connivence avec clins d'œil appuyés ne me laissent pas vraiment le choix. J'accepte.
Je ne sais absolument pas comment j'ai retrouvé ma chambre, si ma moitié était là ou pas ! Je ne sais plus rien mais ce dont je suis sûr, c'est que quelques billets de cent dollars se sont envolés. Naples ! La ville vous regarde ahurie quand vous sortez de chez vous en fermant la porte d'entrée à clef. Idem pour la voiture mais à cela une explication très simple : la dernière agression datait de plus de 12 mois pour un vol à l'arraché. Le voleur dort définitivement six pieds sous terre, une balle en pleine tête. Ah mais les millionnaires et autres milliardaires ont le droit de mourir en paix ! In God we trust ! Le seul petit pincement culturel dans cette city sur-naturelle aura été de parler de Robert Ludlum qui eu dans cette ville un ultime rendez-vous avec la faucheuse.
Je voulais descendre jusqu'à Key West, l'imagination alimentée par Tennessee Williams de préférence suivi de très près par Ernest Hemingway dans mes goûts littéraires. J'avais envie d'aller flirter avec leurs mots. Je me suis contenté d'une balade en aéroglisseur dans les Everglades. Quelques crocodiles pour la forme et au-revoir Naples, Fort Myers, Miami. Trop de tape à l'œil, je n'ai pas aimé, pas du tout. Moi je voulais des immensités, une solitude à deux pour savoir où nous en étions la femme de ma vie et moi. Tant pis pour les Keys. Ce sera une autre fois.
Nous avons opté pour le sud ouest, sans trop savoir où nous poser. Nos billets d'avion en poche, nous avons eu une escale à Huston. Dans l'aéroport une statue de Bush très impressionnante par sa taille, pas très loin du culte de la personnalité.
Loin de Miami je suis inquiet, tu ne parles pas beaucoup. Je suis très près d'une envie de désert dans la sécheresse d'un lendemain sans succès. Tu me fais peur. Ton mutisme me fait peur. Coule une petite larme insignifiante dans le silence empli de sons. Je tiens à toi, je t'aime.
Nous optons pour l'Arizona. Phoenix sera notre prochaine escale. Nous tenterons d'abord la ville puis nous prendrons le large. Loin de l'univers citadin nous irons évidement nous perdre dans les déserts sachant que je ne transigerais pas pour aller dans le grand canyon. Passe pour les keys en Floride mais rien ne viendra supplanter ce que j'attends depuis longtemps, découvrir l'une des sept merveilles du monde. Je veux bouffer l'espace et inversement proportionnel me sentir avalé par le gigantisme inaltérable d'une nature increvable. Je veux frissonner le soir à regarder le couché du soleil qui donne au Canyon ce rougeoiement si spécifique à cet endroit là sur terre, pas ailleurs. Ailleurs c'est autrement, beau aussi mais ce n'est pas le même.
Nous sommes restés à Phoenix trois jours. Cette ville est incroyable. Quartiers populaires côtoient quartiers de luxe. A Scottsdale c'est riche mais les murs grimpent et le passant ne fait que passer. Nous avons découvert ce quartier dans lequel les croisements des rues nous ont laissé une belle impression. Prendre une rue et s'engager dans un autre dépaysement, celui des galeries d'art. Elles se suivent méthodiques mais chacune avec leur personnalité, la mise en avant des peintres qu'elles exposent. Nous n'avons pas hésité à entrer, discuter, regarder, comprendre. De l'autre côté de Phoenix qui ne fait "que" 70 kilomètres d'un bout à l'autre nous allons à Cave creek. C'est un western sur lequel le temps n'a pas eu de prise. Concentration architecturale de commerces en bois, ancienne poste d'où l'on s'attend à voir quelqu'un sortir en hurlant que les Dalton viennent de braquer le télégraphe, bar devant lequel il y a une rampe pour attacher les chevaux, un abreuvoir et dans ce bar, un type tout vieux avec son chapeau sur la tête, un cigare qui pendouille au coin de la bouche, assis devant un bastringue qui n'a jamais pu porter le nom de piano. Ne manquent que les rires des filles qui descendent l'escalier avant de le remonter au bras du client suivant.
Un peu derrière un autre magasin en bois vend tout ce qui s'approche de près ou de loin mais surtout de près de la mythique Harley Davidson. Nous les avons vu le lendemain matin, pas loin d'une cinquantaine de bikers aux bras surdimensionnés, le bandana bien ficelé sur le crâne, les barbes bref des bikers des vrais, pires que dans les films mais puissants. Par contre un éclat de rire nous a un peu rapprochés quand dans cet endroit aux portes du désert, ces types incroyables revenants d'une autre époque sont pour un bon quart pendus à leurs portables. Il y a les cow-boys, des indiens, des bikers et nous ! Me vient alors une idée. Je sais qu'elle va te séduire.
Je te propose une petite promenade au fil de ce voyage dans le temps. Oh rien de bien prétentieux, juste le temps d'un espace temps que nous occuperions chacun de notre côté le temps de s'envoyer une carte postale, peut-être même plusieurs avec une contrainte, ce sera une ou des cartes mais sans verbe. Je vois ton sourire pétiller dans tes yeux, je sens ton plaisir et j'aime ça, si tu savais combien j'aime ça. Mais je sais aussi que peut-être je me mets en danger. Pas de verbe, pas de love U A nous d'inventer autre chose, autrement. Quoi ? Je ne sais pas.
Nous louons une voiture en décidant d'un commun accord de prendre la route pour le Canyon mais uniquement comme destination finale. Nous allons nous évader ensemble pour s'arrêter quand on en aura envie, où l'on voudra. Nous avons encore une semaine devant nous. Prenons le temps d'en faire quelque chose de bien. Je ne t'épouserais pas à Végas parce que tu ne veux pas entendre parler de mariage mais je te promets une semaine de voyage de noces. Je t'aime.
De l'est à l'ouest quasiment un continent, Je savais que j'en prendrai plein les yeux mais j'ignorai que ce serait avec une telle intensité. The Grand Canyon State c'est ici, magistral dans l'ouest sans « enfin ! » sans limite les regards se perdant aux confins de l'espace sans horizon. Le Grand Canyon gigantesque, majestueux. Éblouissement de se sentir si petit, si rien face à ce bloc incroyable, taillé pendant des milliers d'années par le Colorado qui poursuit sa course sans relâche. Le passé et le présent étroitement unis pour le meilleur et pas le pire. Le pire ce sera l'Homme mais dompter cette splendeur est inenvisageable. Dans le coucher du soleil sur le Canyon, sensation vertigineuse de l'engloutissement. Impression de nouvelles palettes de couleurs. Des biches posées là, juste à côté, le cou bien tendu vers les branches des arbres.
Désert à nouveau mais désert de Sonora. Au milieu sur les bords, poussant haut le ciel et la lune dans leurs retranchements, les cactus de dix à quinze mètres de haut. Dans leurs troncs troués, les nids de chouettes. Plus loin un lac très grand. Grand Canyon, Colorado et Navajos.
Rentré à Paris je découvre ta carte :
Plastique de nos corps en mouvement. Déambulation amoureuse aveuglée dans la lumière éblouissante d'une immensité sans horizon. Nos mains enlacées dans la continuité de cette route sans fin. Vertige désertique encore et toujours. Pas de motel en vue. Tout est loin, très très loin. Sensation absolue de notre amour éperdu. Plus de question.
Mains enlacées dans la continuité de cette route sans fin...
Et voici la mienne :
Désert brûlant
Terre volcanique
Corps sans panique
Soleil de feu
Lac reposant
Corps haletants
Lune pleine
Musique soûl
Loin de la foule
Pétards corsés
Cerveaux embrumés
Ivres de sensualité
Rires joyeux
Nuits magiques
Amants amour unique
Cri de coyote isolé
Désert froid
Amour sans effroi
Je musique soul
Je ricain
Rien de mesquin
Coups de feu nocturnes
Thé au cactus
Loin dans le temps papyrus
La fille belle
Le Canyon brûlant
Ni trop vite ni trop lent
Lune rougeoyante
Terre brûlée
Corps et âmes enlacés
Musique assourdissante
Amérique désabusée
Anonymat dans le voyage. Cartes postales disséminées ici et là. Trajets intérieurs. Télégramme de l'humain.
Veux-tu m'épouser ?
Retour au verbe. Revenir avec un mot : LOVE U
Alors ?? L'as-tu épousée ? Un texte pour traverser les USA d'est en ouest. Merci pour le voyage. cdc
· Il y a plus de 10 ans ·Platon Chipie
Un joli voyage au coeur d'une Amérique sensualisée, fantasmée. J'aime beaucoup.
· Il y a plus de 10 ans ·joubert
Merci de ce commentaire ! Amérique sensualité oui elle peut l'être autant qu'une Amérique dure, aux traits marqués par le pouvoir et l'argent. Mais voir ailleurs et faire des centaines de commentaires sur l'immensité, la solitude, un désert désertique et enfin le Grand Canyon. Émotion absolue devant ce que la nature nous offre de plus beau, de plus intègre.
· Il y a plus de 10 ans ·Amérique fantasmée ? Non Pascal, dans ce récit tout est vrai. Peut-être que Naples que j'ai située à l'ouest mais il faut lire à l'ouest de la Floride, ne se soit vidée de ses millionnaires et j'en doute,
L'Arizona est magnifique, multi raciale, multi culturelle et les Indiens sont là au même titre que les bikers, Bien sûr les riches sont riches et les pauvres pauvres. Ce n'est pas un Eden, mais ça n'en est pas loin...
Stéphan Mary
Pas mal.
· Il y a plus de 10 ans ·J'avoue avoir eu du mal à accrocher (parce que les Etats-Unis et la mythologie qui va avec ne m'a jamais attiré) mais un "je-ne-sais-quoi" m'a retenu jusqu'à la fin.
Ce que tu dis sur le Grand Canyon me fait penser à un voyage en mer et à ce moment où, encerclés par l'horizon, les rêves existentiels nous assaillent.
wen
Merci
· Il y a plus de 10 ans ·Tu as raison les USA ont une sacré réputation avec "ce je ne sais quoi" qui relève du mythe. Le Floride en est un exemple en espèces sonnantes et trébuchantes et Naples est une ville où prendre un café en terrasse consiste à regarder passer une limousine de 3 kms de long. Et encore j'ai passé la délation qui est un sport municipal, les places de parkings pour garer les voitures grosses comme des camions et j'en passe.
Mais de l'autre côté il y a un espace immense, le désertique à perte de vue, le Canyon à couper le souffle.
Les indiens ont ce besoin urgent de communiquer sur leurs racines.
C'est ça aussi les states, tu ne peux pas faire de généralités parce qu'il y a toujours un quelque part pour servir de contre exemple.
Il y a le mythes qu'ils entretiennent avec le plus grand soin et soi, à tailler la route.
Sympa que tu sois resté jusqu'au bout du texte, sympa d'avoir noté et commenté.
Bonne journée et à plus avec d'autres cartes postales, d'autres ailleurs...
Stéphan Mary