Colère anisée

Mes cuvées ont entamé leur existence sur les chapeaux de roues. J’ai tenté de garder le rythme mais la prose anisée est à boire avec modération et la fin de l’été par l'évaporation de la chaleur ne pouvait que provoquer une pause ou un ralentissement de la consommation. L’autochtone écorné lorgne sur d’autres boissons mais ne perd pas le Sud. Mes collègues savent bien qu’ils sont à la merci de ma plume vagabonde. Pour le moment, ils trébuchent sur les embûches lexicales que j’ai semées ici ou là et tentent de rester debout au milieu des travaux interminables à Nîmes.

D’ailleurs ils en font trop j’estime

Tous ces piétons qui triment,

Pour rester sur la cime

Des pavés qu’on abîme…

Les premiers épisodes ont affiché la couleur et donné le ton. Les uns et les autres aimeraient me chahuter et riposter mais je suis partiellement à l’abri. Ils ne pourront pas m’en faire voir de toutes les couleurs, protégé que je suis par mon daltonisme.

Alors ils râlent et continuent à éviter les formes pronominales, car dans le fond, ils sont joueurs et aiment défier les règles grammaticales ou imposer leurs propres réformes de l’orthographe. Ils jonglent avec habilité et surtout avec les articles, définis ou indéfinis, ce qui donne lieu à des moqueries infinies mais néanmoins gentilles que mon stylo s’applique à traduire sur le papier. Ils échangent les auxiliaires, transformant par la même occasion le sens des expressions.

Non, je ne me lasserai jamais de la liberté de langage et d’accent dont ils font preuve, à l’aise par conséquent dans la description orale de n’importe quelle situation. Ils savent se faire comprendre. Ou plutôt ils savent se comprendre, entre eux. Moi j’ai encore besoin du dictionnaire du « parler parfaitement anisé et généreusement illustré à destination de toute personne habitant au Nord de Montélimar ». Bien sûr je fais des efforts même s’ils pensent que je me moque. Alors que non, pas du tout ! Si vous, lecteurs, pouviez les rassurer !

Ils sont persuadés que je les raille en permanence, une cuvée sur le feu et sur les rails. Du coup, ils rouspètent.

Ils sont colère. Et quand ils râlent, ils laissent tomber invariablement le « en », imposant de revêtir au substantif initial et légitime la cape de l’adjectif.

Et quand ils sont colère, en bons réboussiers nîmois ou assimilés, ils roumèguent, ils sont grognons.

Et surtout ils râlent avec l’accent, et ça ranconne à tous les étages. Ils en oublient même le plus commun des noms : ils ne sont pas de bonne (comprenez de bonne humeur), ils sont donc de mauvaise. En gros, ils l’ont mauvaise mais préfèrent user de l’auxiliaire « être » pour le signifier.

Cependant, je ne les sous-estime pas. Ils ont beau avoir pris mes cuvées au pied de la lettre, le contre-pied n’est jamais loin. Minimiser leur potentiel serait une belle bêtise, une brave cagade !