Contre toute attente, mon Héros

Apolline

Il existe un matin où l'on succombe dans une couche de supplément, une rayure oblongue, fragile, qui avait su s'échapper de la carrosserie, sous le vent cruel du temps des folies douces.

Alors j'ai composé une nouvelle soupe. Elle a chauffé jusqu'à midi. Pleins d'yeux savonneux se sont posés dessus.

J'ai couru, dévêtue, pour rendre. Et me rendre. Dans un décor de gradins et de dédain. J'ai volé haut, j'ai volé bas, enflammée. Puis revenir, cracher la boîte noire. Un crash immense avait eu lieu. Tout se brisait, s'écaillait, se déchaînait sur des falaises de foutaises. Une vague salée suppliante déferlait sous mes doigts impérieux.


Je revois la belle époque. Et cette soirée de gala où mon Héros, ce bourgeois gentilhomme s'était décidé à me conduire. L'unique fois dans notre vie où je rencontrais ses amis. Où il me présenta de sa manière dandy, à tous ces gredins aux lèvres rentrées, aux épaules relevées. Leurs yeux de bigorneaux qui fuyaient sur mes bas troués et filés, que le Héros avait dévastés juste avant, dans l'ascenseur du XVIème parisien. Et toutes ses gredines affalées, mutines, sur leurs accoudoirs de mobilier d'un Louis de numéro s'esclaffaient de poudre à grain de perlimpinpin. Leurs yeux de moules sur mes bottes noires à lacets, sans talons, sur mon visage à teinte de rose, elles brassaient l'air avec un talent inné de bouches médusées.

-Oh très cher, c'est un miracle ! Présente-nous ton amie, je t'en prie, encore une fois. Nous n'avons pas encore tout compris de cette exceptionnelle soirée.

Et le Héros sur le podium gagnant riait en cachant ses dents,  répétait comme un paon du quartier, en remplissant à ras bord nos verres pour me faire trinquer :

- Je vous présente Marinette Du Pont. Une amie d'enfance au temps où j'habitais son village. Elle travaille aujourd'hui à la Défense. Elle nettoie les carreaux.

Plus loin, une autre perruque safranée, au sourire jaune d'œuf percé cherchait à m'accommoder sur un balcon de prétention. Moi, la pulpe anodine, je tanguais en solo sous le lustre à hélices, j'étais bien. À me revoir ainsi, en  rajoutant mon grain de sel, je dirai, contre toute attente, que j'avais la beauté, la santé, la jeunesse et surtout l'amour aveugle qui pétillait et débordait du regard.

 

Mon innocence, je n'ai jamais pu m'en débarrasser puisque je l'ignorais. Ma rêverie romanesque, j'étais née avec, parce que l'amour, j'avais fait le choix de toujours le prendre avec moi. Je tiens ça de ma mère et j'en suis fière.

Quant à ma niaiserie, je l'avais fabriquée, très tôt, plongée dans une raffinerie de miel, pour me protéger d'un monde grotesque et sec comme du pain jamais pétri dans les mains. En contemplant les autres qui picoraient dans les assiettes, je ramassais les miettes. Moi, petite roturière émancipée, j'avais appris à faire les soupes. En mettant toujours de côté les marinades indigestes.

Devenue adepte d'une nouvelle bouillabaisse, je la sors par les yeux. Elle claque effectivement, oui, sur un tapis de souris et de bulles-packs.   

Le temps de déballer au quotidien les déchets et les effets de la rouille. Mon avion de la vie est rempli de bouffonneries imbibées de chiasme sémantique. Et mes ailes voyagent sur ma mer lapis lazuli. Je tangue encore sous le ciel menaçant. Mais je vais bien.   

  • De sublimes images gorgent ma caboche, à mon tour de devenir un peu rêveuse, et je vous dirais Encore, encore.. Bravo !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Img 3458

    mamzelle-plume

    • très sympa ton com et merci oui c'est bon de réver....

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Fellinienne créature, tes textes m'évoquent souvent il Maestro, ces films étaient d'une poésie étrange qui vous habitait bien après que les lumières aient terni l'obscurité de la salle. Mais dans quelle encre trempe-tu ta plume

    · Il y a plus de 10 ans ·
    10

    gill

    • Mon encre est dans mon bateau ivre ma chère Gill copine de cœur ;)

      · Il y a environ 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Je vois les scènes, je bois tes mots. Merci pour ce texte Apolline! Serais-tu une de mes soeurs lointaines? =]

    · Il y a plus de 10 ans ·
    2

    wildstyle

    • Oui, avec style haut à l'appui :)

      · Il y a environ 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Dans un décor de gradins et de dédain. J'ai volé haut, j'ai volé bas, enflammée. Puis revenir, cracher la boîte
    noire. Un crash immense avait eu lieu. Tout se brisait, s'écaillait, se déchaînait sur des falaises de foutaises. Une vague salée suppliante déferlait sous mes doigts impérieux." J'adore
    Vous maniez les métaphores tel un pilote !
    22 lectures seulements !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    0018e3bca9665b172215ee42ff1aa96e

    nevrosee

    • oui hélas 22 est un mauvais chiffre lol.... mais l'important c'est que dedans il y ait une rose d'un soir qui se couche tard.... ;) merciiiiiii.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Un joli 787, avec plein de choses à bord.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

    • et le tout en vol plané, c'est évident :)

      · Il y a environ 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Bravo pour ce joli texte. :-) Ode à la rêverie romanesque et à la niaiserie et à l'innocence !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    The fisherman 295007 640 (1)

    frederik

    • Bien d'accord Frédéric pour l'ode et là !

      · Il y a environ 10 ans ·
      Ange

      Apolline

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