Credo
petisaintleu
Quand Jean ouvrit les yeux, une forme qu'il distingua immédiatement comme celle de l'homme crucifié se dessina. Il avait le sentiment que l'image n'était pas le jeu d'une incrustation rétinienne. Le calme absolu qui l'environnait vint confirmer l'étrangeté de sa vision.
Le 22 mars 1832, les gazettes s'intéressaient à la loi Soult qui imposait un service militaire de sept années. Une singulière affaire vint cependant frapper les esprits de manière intestine. Jean habitait rue Barbette, une voie tranquille et parallèle à celle des Francs-Bourgeois. L'artère qui abrita naguère Diane de Poitiers, le Maréchal d'Estrées ou Turgot ne profitait plus de son prestige depuis des lustres. La noblesse fut remplacée par des magistrats. Les commerçants transformèrent les boudoirs et les salons en appartements dont la décoration douteuse s'encrassait au rythme des miasmes répandus par la promiscuité de leur progéniture. Il ne fallait pas compter sur la domesticité, plus encline à entretenir les potins qu'à astiquer les parquets qui progressivement prenaient une teinte atone. Il était inutile d'ouvrir les fenêtres pour aérer. Paris, l'industrieuse, n'était pas avare de disséminer sa pollution, mélange de déjections, de rejets des tanneries sur la Bièvre et de poussières de charbon.
Il avait à peine fait cinquante mètres qu'il fut pris de crampes abdominales. Elles s'ensuivirent de vomissements et d'une diarrhée maculant son pantalon. Le plus extraordinaire est qu'en se relevant, un acolyte avait pareillement les lèvres tachées de dégueulis.
Il fut hospitalisé à l'Hôtel-Dieu. L'établissement était au bord de l'asphyxie et accueillait une multitude de patients merdeux. C'était cela Paris d'avant la prophylaxie, pendant le choléra. On lui raconta plus tard comment il délira. Ce n'était pas exactement ce dont il se remémorait. Il se rappela d'une énigmatique angélophanie. Un voile noir, d'un sombre uniforme, le cernait. Il n'eut pas de perception visuelle ; elle était kinesthésique. Les ténèbres se matérialisaient. Il pouvait en discerner les contours, la texture et la vitalité. Délesté de cinq litres de liquide, aucun filet de sueur ne perla le long de sa colonne vertébrale et il sentit une étreinte plasmatique.
Il fréquentait le Louvre assidument et avait pu étudier à loisir des œuvres de la Crucifixion. Les tableaux où le Christ se donnait dans ce qu'il avait de plus humain l'attiraient, l'affliction inéluctablement létale et éternellement rédemptrice. Jean se dit que tous les maux qui le tenaillaient, les haut-le-cœur, les migraines qui enchâssaient ses tempes ou la goutte qui attisait son gros orteil dans un feu d'enfer, n'étaient que broutille au vu de ce sacrifice incompréhensible des mortels qui ne croyaient qu'aux plaisirs séculiers du pécuniaire.
Ce qui le surprit, ce fut la désincarnation, un halo cruciforme lui évitant la nécessité d'une présentation. Il se serait attendu à un spectre plus conventionnel. Il n'y avait aucun stigmate, aucune barbe, ces marqueurs iconographiques du Fils de l'Homme ; juste un semblant de carcasse auréolée d'une gaze diaphane qui s'épanchait en cascade d'un crâne microcéphale. Allégé de son enveloppe charnelle, il s'étonna de conserver l'intégralité de ses capacités cognitives. En effet, il analysa le silence assourdissant. À quoi bon, face à l'immortalité, s'appesantir de mots qui n'avaient plus de sens ?
Il émergea en nage, preuve que la réhydratation avait été salvatrice. Aux mêmes causes les mêmes effets. C'était la troisième fois qu'il se manifestait dans cet état. Il se revit à sept ans, dans ce même lit. On dépista une brucellose qui le maintint fébrile durant une quinzaine et il fut confronté pour la première fois à l'ectoplasme divin.
Trois gros gaillards durent le retenir. Il se débattit comme un dément en hurlant : « Que veux-tu ? Il ne te suffit pas d'avoir fait de moi un paria sentimental ? ».
Belle écriture....
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Merci pour vos encouragements.
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
j'ai pris plaisir à me promener sur vos textes, et vos "peintures" ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Je lis tout, à l'envers
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
J'aime ! Pas besoin de dico avec celui-ci, il touche quelque part près du cœur ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
Merci. La suite devrait arriver d'ici demain.
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
tant mieux! c'est truffé de plein de choses que j'aime, et l'écriture interpelle sans en mettre plein les yeux. C'est excellent de voir ton écriture évoluer ici, j'en suis baba ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
Je pense que c'est lié à mon rythme d'écriture que j'ai très largement ralenti.
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
yess!!! je n'étais pas aussi emballée depuis Ivy Pyahu, c'était de la même trempe
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
Très beau texte !
· Il y a plus de 8 ans ·Yeza Ahem
Superbes, le texte et la plume, vraiment bravo !
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
Toujours autant de talent. Tu es bluffant !
· Il y a plus de 8 ans ·veroniquethery
J'aime ce parallèle que tu fais entre la présence christique et l'état de maladie. Et puis, la vidéo et sa belle musique accompagnent bien ton beau travail. Les arbres en contrejour, comme un Christ qui tend les bras.
· Il y a plus de 8 ans ·fionavanessa