Derrière la porte

Alice Gauguin

J'entends frapper derrière la porte. Groggy, lendemain de fête ayant tourné à la catastrophe, j'hésite à aller ouvrir. Ca continue, c'est p'tet Pierrot qui vient s'excuser. Je me lève, la gueule de bois, enfile un peignoir et vais ouvrir  "c'est bon, c'est bon". Ces tambourinnements me donnent un mal de crâne.

C'est pas Pierrot, c'est une tête moche, sûrement autant que celle que j'tire aujourd'hui, d'une femme ridée. C'est pas l'moment, j'commence à refermer la porte -suis malpolie et je m'en f***- mais la vieille dame a mis son pied dans l'entrebaillement, mais quelle sans gêne.

"Vous voulez-quoi ?" dis-je menaçante.

"Je suis le miroir de tous vos malheurs, le miroir de votre déchéance, je suis la femme que vous serez dans quelques années, si la détresse ne vous quitte pas".

Pt*** mais quelle c**** celle là. C'pas l'heure de m'envoyer une folle. Elle veut m'taxer mon fric pour un d'ses cours de magnétisme ?

"Regardez votre gueule, encore une cuite" continue la mégère. "Pourquoi vous foutre toujours minable ?"

De quoi j'me mêle, j'maugrais tout bas. 

"Qu'on m'foute la paix, j'demande que ça.

- Laissez moi entrer, je vais vous prouver...

- J'fais un cauchemar ? ça y ressemble.

- Où rangez-vous votre café ? J'ai bien soif et vous, à la vue de vos cernes, ça peut pas être un mal.

- Non mais c'est dingue, vous entrez souvent comme ça chez les gens ?"

Haussant l'épaule, la vieille dame s'asseoit sur mon canapé, encore tracé de mon empreinte. Bin oui, pas réussi à trouver mon lit hier soir.

"Bon, qu'est-ce' vous voulez ?

- Juste que vous me regardiez.

- Oui bin c'est bon, j'ai assez vu.

- Comprenez alors bien, que je suis venue de votre future vous mettre en garde. Je suis bien vous, vieillie par les âges et cela m'étonnerait que vous ayiez enfin de finir avec une tronche comme la mienne ?

- (Bin ça c'est sûr, marmonnai-je).

- C'est simplement ce qui vous attend si vous continuez à vous bourrer la gueule, à vous shooter, à ne pas dormir, à déperir, à combler le vide par la bouffe, à ne pas sortir, à ne pas prendre soin de vous...

- Palalala.... La liste est encore longue ? D'où vous m'parlez comme ça, d'où vous m'connaissez comme ça ? Si vous êtes si maligne, vous sauriez que j'suis comme ça d'pis qu'mon amour s'est envolé.

- Sacré Pierrot hein ?

- Mais comment vous savez tout ça ? vous m'espionnez ?

- Non, il suffit que je regarde dans mon passé. Et j'aimerai le changer, c'est pour ça qu'il me faut votre concours. Je repasserai, d'abord décuvez. Ne vous dérangez pas, j'connais l'appart et sa sortie."

Et voilà, j'me retrouve seule et interdite. J'fais des hallu ? j'suis dans un cauchemar ? J'ai jamais cru au voyage dans le temps mais là, vu tous les détails, j'comprends plus rien...Allez j'm'en vais, m'boire une bouteille, j'y pige rien, j'ai l'droit de pas chercher plus loin....J'verrai demain, après tout, j'suis encore légèrement bourrée, plus rien ne m'étonne, c'est p'tet vraiment moi plus tard. Oh merde alors, faut surtout pas qu'j'finisse comme ça. Promis c'est la dernière. Vais pas m'faire crever à cause ce salaud d'Pierrot.


La dame ridée atteint la rue. Et nez-à-nez avec Pierrot : "Voilà, j'ai commencé le travail, j'ai fait ce que j'ai pu, j'espère qu'elle réfléchira à tout ça, mais tu fais chier, c'est toi qui l'a quittée, c'est pas à moi de lui sauver la vie.

- Merci maman, j'ai juste pas envie qu'elle ne se laisse trop allée... T'iras la surveiller régulièrement hein. Ce dont elle a le plus peur, c'est de vieillir, et vu comme t'es, si elle croit que t'es vraiment son futur, elle va grave flipper... se ressaisir, et refaire sa vie."

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