Dick 5
eaven
C’est le printemps, j’en prends plein les mirettes, l’air est transparent, pas de grillage au dessus de ma tête, les petites feuilles toute molles, vert luisant, s’échappent des nouvelles branches, toute fines et couleur grenat. Je suis sur le trottoir Boulevard Arago, sous les marronniers, il est dix heures du mat. Je viens de prendre trois mois à la Santé de la république. A part Marianne, j’ai pas baisé grand monde depuis décembre.
Un truc con, j’avais claqué pas mal au jeu, enfin, il faut que je sois honnête, un max que j’avais perdu. Alors fallait recharger fissa. J’ai pas été sérieux, une belle meulière près de chez nous, dix jours avant Noël, personne à la nuit tombée. Ils sont partis acheter les cadeaux, je me suis dit. Un petit casse vite fait, les joyaux de Madame, ça s’écoule vite avant les fêtes. La porte de la cave, un peu vermoulue, j’l’enfonce, tranquille, j’ai des épaules solides, je ne plie pas. Un, deux étages, je ne gaspille pas mon temps dans les détails, ni dans le salon, c’est souvent comme ça qu’on s’égare, on se perd dans les bibelots, les minutes passent et ça craint. Donc je grimpe jusque dans la chambre de la rombière, je fonce direct sur le bureau en en bois de rose, cric crac, le bois éclate, la serrure saute. Le tiroir est rempli à raz la gueule d’écrins Van Cleef, Chaumet et d'anciens cailloux de famille, je vide toute la verroterie dans mes poches et je redescends vite fait. Ca m’a pris, quoi ? Dix minutes, un quart d’heure. Je ressors, derrière, par la cave et pendant que je traverse le jardin, je suis pris dans les phares de la berline du proprio qui rentre. Une demi seconde de face, les yeux cramés par les lumières mais je ne fais pas le lapin con qui se paralyse, je détale. Le mur et hop, deux cents mètres plus loin c’est chez moi, reprise du souffle et du contrôle. Je ne suis pas passé loin, mais ça va.
La vie continue, une semaine. Le dimanche suivant, ma panthère voulait de la brioche. Je sors vers midi, je vais à la boulangerie à côté de l’église. Je passe devant les seuls fidèles que je connaisse et voilà t’y pas qu’un rupin en pardessus d’alpaga se met à hurler « C’est lui, c’est lui, mon voleur ! » Un sketch, comme avec Jean Lefèvre et Francis Blanche. Sauf que plusieurs mecs m’attrapent, me tiennent les bras, me fichent par terre, le temps qu’un quidam aille chercher les gendarmes. Voilà, ce qui arrive quand on travaille trop près de chez soi. Ensuite interrogatoire, reconnaissance, perquise et analyses. Il restait du bois de la porte de la cave sur ma veste. Donc proc, taule, le « rombier » a le bras long, procès accéléré, re taule.
Elle était en rage Sandrine, en rage. Je ne sais pas si c’est d’avoir vécu avec un CRS, mais la prison, elle n’a pas supporté. Elle m’en a craché de toutes les couleurs, qu’on n’avait pas idée d’être aussi stupide, que j’allais avoir un casier, que qu’est-ce qu’elle allait dire à sa famille, que si on le fait on est assez malin pour pas se faire gauler. Au total, ma princesse elle m’a dit (et j’en suis encore sur les fesses) :
- Je ne viendrai jamais te voir. Je ne mettrai pas les pieds dans un parloir. Tu dis un mot et je retourne chez François.
Je n’ai rien répondu, pas la peine, hein ! En trois mois, je suis passé par tous les états d’âme : la colère, la frustration, le manque, la tristesse et l’envie d’elle, l’envie crue qui ne te laisse pas une seconde de répit. Qu’est-ce qu’elle m’a manqué cette garce ! Je suis encore plus amoureux, c’est une sacrée femme Sandrine. Je m’inquiète quand même de ce qu’elle a pu faire, seule, ou pire, pas seule, aussi longtemps sans moi. Elle n’est pas au courant de l’heure de mon retour, de toute façon, elle boude, elle ne serait pas venue me chercher, elle a trop d’orgueil. Je vais la cueillir, j’imagine ses yeux et le reste.
A part ça, les trois mois je ne les ai pas vu passer, ce n’est pas très différent de la colo, plus sale, moins de sport, quelques rats, des cafards dans la purée. Rien de grave. Les autres taulards ? Pas vraiment un souci, rester calme, à la première main sur l’épaule tu envoies la tienne bien à plat sur le foie du mec, il ne revient pas. Je me suis pas fait de potes : a priori si t’es là, c’est que t’as pas vraiment de leçon d’habileté ni à donner, ni à recevoir.
En revanche -ouais, on ne doit pas dire par contre- j’ai lu des bouquins de ma liste et puis d’autres, enfin ce qu’il y avait : François Villon, Rabelais, Maurice Druon, Alexandre Dumas. J’ai bien aimé Le comte de Monte-Cristo, je me vois bien dans le personnage, un peu coincé, peut-être, le mec. Les Misérables aussi, il était temps que je le lise celui-là. Jean Valjean dégouline de bons sentiments, celui qui me fait marrer c’est le Thénardier et sa matrone. Sérieusement j’aime ça la littérature, c’est pas parce que ma vie ressemble à celle d’un truand que je ne peux lire que du San A. Même si je n’ai rien branlé à l’école, j’ai toujours apprécié les phrases qui se tiennent. Surtout les courtes qui claquent comme des coups de pétards, tu te les prends pleine bille et tu y repenses après.
Au fond je tiens ma revanche, le moins que rien qui s’améliore, pas besoin d’être bardé de diplômes pour être malin, je le sais et je le suis.
J’ai commencé à écrire aussi. Des lettres à mon amazone. Des belles, pas pour parler du temps ou de la cantine. J’ai rien envoyé, si elle n’avait pas répondu, ça m’aurait déchiqueté. Je les lui lirai chez nous, au lit, sous les draps, dans notre tente du désert. Et puis j’ai une autre surprise pour elle, un tatouage, sur l’épaule gauche : une gueule de loup et une citation latine : « De profundis morphonibus ». J’ai bien retenu la traduction que m’en a faite Momo, le tatoueur : « Des profondeurs de Morphée ». Il a bien taffé Momo, parce que j’ai potassé et maintenant que je sais que Morphée c’est une sorte de dieu qui représente les rêves dans la mythologie, que c’est le fils d’Hypnos et de Nyx. Ca sert aussi à ça les bouquins. C’est tout moi : je mets ma vie en phase avec mes rêves et je suis un loup pour les autres hommes.
Alors je suis là sous les frondaisons, le nez en l’air, dans la main gauche un sac plastique avec deux chemises sales et un pantalon. J’m’en grille une. Comme j’ai pas plus d’un radis, je vais rentrer à Montfort-L’amaury en métro, train et car, ça va pas me faire fondre.
Je suis bien, je respire, je reviens à la vie. Le retour de l’amant prodigue, je me dis en rigolant.
Que dire après tant d'éloges ?
· Il y a plus de 12 ans ·J'ai tout lu, j'ai été percuté par tous les personnages, j'ai tous eu envie de les baffer au moins une fois. Ils m'énervent plus qu'ils ne m'enchantent et ce qui m'énerve le plus, c'est que je vais lire la suite. Pardon pas lire, dévorer !
hermanoide
Je ne m'attendais pas à ça, là... et c'est d'autant bon !!
· Il y a plus de 12 ans ·La suite Eaven, la suite.... :-))
junon
Eaven, on ne lâche rien, on continue. Je suis en état de lévitation. C'est comme si tu nous mettais une page de pub au milieu d'un film à suspens...
· Il y a plus de 12 ans ·wen
Mais Wic tu l'as lu ou pô ?
· Il y a plus de 12 ans ·eaven
Bravo pour les deux épisodes du jour, Eaven ! La suite, la suite, la suite ....
· Il y a plus de 12 ans ·sophie-dulac
incroyable, cette histoire.... rocambolesque. La scène dans l'église est trop drôle....
· Il y a plus de 12 ans ·bleuterre
Bah j'ai lu la suite et sans interruption :-) L'intrigue est vraiment géniale, le personnage pas si pervers, il avait besoin de quelqu'un qui lui ressemble en fait :-)
· Il y a plus de 12 ans ·apophis
bah oui le retour de l'amant prodigue!!!
· Il y a plus de 12 ans ·Sweety
Pour la fin, je vous prie de m'excuser, mais il m'énerve alors je me suis un peu lâchée. Je mettrai la vraie phrase latine plus tard.
· Il y a plus de 12 ans ·Oui, Reve c'est effectivement ce que je pourrais redouter.Mais faut pas.
eaven
T'arrête pas ? Là tu nous laisses pas 3 mois sans suite hein ? :)
· Il y a plus de 12 ans ·reverrance