Episode cévenol et poésie anisée

Mathieu Jaegert

La suite de « De l’art de l’évitement syntaxique ».

Rappel :

Les différents inspecteurs de l’éminent Guide Universel des Journées Mondiales se répartissent le travail. Yves poursuit sa mission dans les Cévennes. Après avoir étudié la lenteur comme art de vivre, il s’attarde à la demande du patron (Huckminz) sur la Journée Internationale des Zones Humides, accompagné de Martin, son guide dans le Sud-Anis. Celui-ci vient de recevoir un appel du comité alsacien qui postule à l’entrée dans le Guide pour des motifs qui contrarient Martin….

Martin continuait à s’agiter. Il parlait vite mais économisait les mots, comme pour donner plus de poids au déferlement de métaphores filées. Ses phrases ne s’encombraient d’aucune fioriture. Elles se garnissaient d’ellipses éclipsant adverbes superflus ou substantifs trop communs, et éclairaient sa colère noire d’images colorées.

Tout en observant son nouvel ami, Yves réfléchissait à la meilleure attitude à adopter pour calmer les esprits des Alsaciens échaudés de ne pas avoir été retenus au même titre que la Corse pour une Journée Mondiale de l’Alsace, et du comité cévenol refroidi par les tentatives de ces mêmes Alsaciens d’entrer par tous les moyens dans le Guide Universel. Il devait garder en tête son nouvel objectif d’étudier de près les épisodes cévenols et autres aléas climatiques locaux. Ici règnent des conflits de masses d’air provoquant pluies torrentielles et colère du ciel mais pour le moment, il y avait un simple conflit dans l’air, et Yves n’était pas formé à cela.

A mesure que Martin s’excitait, il finissait par dessiner le plan d’attaque de la mission. Yves n’avait plus qu’à rebondir. Déjà, le Cévenol se calmait, déterminé cependant à défendre son coin de France :

« On va pas laisser faire la pluie et le beau temps par des Alsaciens. Il fait sec là-bas ? Peut-être. Ici quand il fait soleil, il fait soleil. Et quand ça mouille, c’est pareil. Tu vas voir Yves, on va mettre le paquet, le prochain épisode cévenol, on va pas le louper. Il va faire du vent, et il va faire de l’orage ! »

-          C’est qui ce « il » ?

C’était une question qui n’appelait pas de réponse. Elle permettait de couper Martin dans son élan. Les habitants du Sud-Anis accolaient sans a priori le verbe « faire » à « soleil », « vent » ou « orage », de la même manière qu’ils faisaient de l’essence donnant cette impression de fabriquer temps et carburant.

Après avoir balayé la question d’une pichenette vers le Mont Aigoual, Martin avait pris Yves par la manche :

-          Je te l’avais promis, c’est là-haut qu’on va aller

-          J’y compte bien, l’ami !

-          On ira promener.

-          Se promener…La forme pronominale s’impose, même ici !

-          Pardon ?

-          Tu promènes ton chien, mais toi, tu TE promènes

-          Si tu veux…

Yves n’avait évidemment pas insisté même si ces contre-pieds répétés à l’égard des règles grammaticales contrariaient à la longue son esprit cartésien.

Les deux hommes s’étaient entendus pour entreprendre l’escapade dès le lendemain.

Dans la voiture, Martin avait donné des explications sur les phénomènes météorologiques entourant le massif de l’Aigoual. Il n’avait pas omis d’ajouter quelques notes poétiques à son discours. Il savait désormais comment séduire l’inspecteur du Guide. Yves tentait toutefois d’apprécier la valeur du « Mont pluvieux » comme zone humide au regard de l’ensemble des Journées Internationales potentielles se battant au portillon de la sélection. La concurrence devenait aussi rude que le climat hostile des sommets alentours.

Martin débitait son amour de la montagne comme l’épisode cévenol débitait ses trombes d’eau.

« Tu sais Yves, ce phénomène est fourbe et fait tergiverser même le plus aguerri des prévisionnistes. Avant de précipiter, le ciel se tâte et ne se hâte pas, ne se précipitant d’aucune façon. En attendant de déverser des rideaux d’eau et de larguer son fardeau, le ciel s’encombre lentement de sombres présages soufflés par le vent du Sud turbulent ».

Yves avait vite compris que ces « sombres présages » prenaient le nom d’entrées maritimes. Parfois inoffensives, elles devenaient menaçantes lorsqu’elles étaient gorgées des eaux chaudes de la mer tentant de se mêler des affaires du Mont Aigoual. Lui, peu coopératif, invitait alors l’air froid déboulant du Nord. S’en suivait ce qui s’apparentait au credo du magistral crêt d’eau.  Depuis les cimes cévenoles, l’épisode prenait les nîmois à revers. En effet, ceux-ci voyaient souvent les nuages défiler vers le Nord pendant deux ou trois jours avant de recevoir la première goutte.

Martin avait enchaîné sur un exposé instructif.

« Il ne faut pas confondre entrée maritime et brouillard. Le Mont Aigoual aime se parer de brouillard. Il s’enveloppe de fines gouttelettes fidèles au lieu. La fusion n’en est que plus sincère. Les entrées maritimes, elles, sont considérées comme des étrangères tentant des incursions en terrain ennemi. J’ai rien contre ce melting-pot de molécules d’eau mais on sait plus d’où elles viennent. Le Made in France, j’y tiens ! »

-          Eh ben, vous êtes pas accueillants avec les touristes !

Martin avait éclaté de rire tout en poursuivant son discours coloré.

Yves avait ainsi appris que le Mistral n’était pas qu’un vent de beau temps chargé de disperser les masses nébuleuses. Il existait le Mistral noir, aux conséquences aussi redoutables parfois que son compère « du Sud ».

En s’approchant du sommet, Yves s’était saisi de son portable pour appeler son collègue Pierrick :

« Où t’a envoyé Huckminz ? » lui avait-il demandé d’emblée.

-          Tu vas rire, je suis à Paris, dans une file d’attente de quatre heures environ, et je crois que je tiens un filon !

-          Comment ça ? Des journées à ajouter au calendrier ?

-          Je t’expliquerai. Dis-moi, Yves, tu as des nouvelles d’Ernestin ? Il paraît qu’il peine à mener à bien sa mission, ça m’étonne !

-          Ernestin ? Oui, oui, si tu savais…je ne me fais aucun souci pour lui !

Yves venait d’esquisser un sourire et de voir apparaître le sommet du Mont Aigoual.

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