Et maintenant....

caza

Et dans le monde, c'est partout pareil, pour la femme veuve qui s'éveille….

Voilà, c'est fait, c'est dit, je suis veuve.

 

Je viens de rentrer à la maison, et le silence qui m'accueille est tout simplement étouffant, mat, sans écho, froid et cruel, bien que peuplé des miaulements réprobateurs de mes deux chats qui ne comprennent pas encore qu'il va falloir s'y habituer.

Le pire m'attend dans la salle-à-manger qui sert de chambre à coucher à Baptiste depuis qu'il est, était, revenu du dernier centre de rééducation : le lit médicalisé occupe tout l'espace, son moteur est heureusement à l'arrêt depuis 3 jours, comme à chaque fois qu'il est hospitalisé, ce qui évite d'avoir ce bruit de respiration omniprésent, et son fauteuil roulant trône à côté.

Mécaniquement, je nourris les chats et je me pose, dans son fauteuil roulant, comme d'habitude, pour informer mon entourage, proche, éloigné, amis, contacts, par tous les moyens techniques à ma disposition de la douloureuse nouvelle, Baptiste a cessé de souffrir ce soir.

Les messages de soutien ne vont pas cesser de pleuvoir et de me tenir, à bout de bras, pendant les premiers temps, je suis une battante, je vais m'en remettre, mais à ce moment-là, je suis totalement perdue.

Le lendemain, deux des auxiliaires de vie qui s'occupaient de Baptiste viennent m'aider à débarrasser toute la salle à manger des installations médicales et à descendre de l'étage les meubles qui y étaient montés il y a 13 ans maintenant, de sorte que la salle-à-manger retrouve en très peu de temps sa fonctionnalité première.

Loin de moi l'idée de faire table rase du passé, je ne suis pas une veuve joyeuse, loin de là, mais cette nouvelle donne va me permettre de ne pas souffrir plus que de raison.

Puis il me faut penser à organiser les funérailles, retenir la salle de crémation, prendre rendez-vous avec la laïque qui va officier afin de choisir les textes qui seront lus ; sans entrer dans des détails qui ne regardent que moi, je suis un peu en relâche avec l'Église mais je tiens à un office spirituel, à défaut d'être purement religieux.

Ces détails vont me tenir toute la semaine que j'entrecouperai de visites à Baptiste au salon mortuaire où il a été déposé.

Cet endroit pourrait presque être taxé de chaleureux ; les couleurs et la lumière sont douces, il y a un salon d'accueil individuel avec des canapés spacieux et confortables, une machine à dosettes de café et une bouilloire avec des sachets de thé, afin de pouvoir se retrouver en famille ou entre amis.

Ceux qui le supportent peuvent, après avoir pris une grande inspiration, passer la porte du fond et se retrouver dans la chambre mortuaire à proprement parler, où la température est volontairement basse pour la bonne conservation du corps, et se retrouver ainsi en tête à tête avec Baptiste dont le sourire, bien que plus figé, n'a pas disparu.

 

De cette semaine-là, il me reste des flashes :

- la connivence avec mon frère et ma sœur, revenue en un claquement de doigts devant mes parents assez surpris, (pensez, cela fait plus de 30 ans qu'on ne s'est pas retrouvé tous les cinq comme quand nous étions gosses et insouciants !),

- la main de ma mère sur mon épaule au moment de la dernière chanson choisie pour accompagner le départ du corps de Baptiste lors de l'office,

- mon mouvement de recul à ce contact (qui n'a pas échappé aux personnes situées juste derrière moi), elle qui ne s'est jamais cachée de ne pas le porter dans son cœur, pas de ça avec moi, pas à ce moment-là, cette chanson, c'était la nôtre, celle qui me rappelle notre rencontre, c'est mon moment d'intimité avec lui, dans ma tête et sur mes lèvres car je chantonne sans voix, alors non, pas touche, et je n'ai pas à me justifier d'abord,

- mon absence de pleurs, totale, infinie, douloureuse, c'est moi qui réconforte les personnes présentes, heureusement que toutes me connaissent, elles savent que ce n'est pas de la froideur, mais de l'impossibilité technique dirons-nous, je suis dans le contrôle depuis trop longtemps pour pouvoir lâcher prise.


Une fois les obsèques terminées, je me retrouve avec mes parents qui m'aident à poursuivre un peu des transformations initiées, mais je suis dans l'obligation de les stopper, le grand ménage de printemps qu'ils font à travers leurs yeux ne correspond en rien à mes critères et je sauve in extremis certains souvenirs d'un tri par trop sélectif.

Et puis cette espèce de joie malsaine qui irradie de tous les pores de la peau de ma mère m'est insupportable : « tu pourras venir nous voir cette année, maintenant que plus rien ne te retient » oui, en effet, au lieu que ce soit eux qui descendent, et d'ailleurs, ils ne l'ont plus fait depuis 3 ans puisqu'ils se sont pris la tête avec Baptiste pour une sombre histoire de chien….

 

Petit retour en arrière, de trois ans, voulez-vous ?

 

Premier samedi de septembre, mes parents arrivent après un peu plus de 7 heures de route, ils sont partis vers 4 heures du matin, comme à leur habitude, ils arrivent un peu tendus, comme toujours, ils ne supportent pas Baptiste et ne s'en sont pratiquement jamais cachés.

Dimanche soir, violent orage, leur chien est terrifié et ils décident, sans nous poser la question, de le faire coucher dans leur chambre.

Il faut dire que lorsque mes parents débarquent, pendant mon mois de congés vu la distance, ils apportent leur chat et leur berger allemand, donc je leur laisse l'enfilade de pièces qui comprend ma chambre, le bureau et une chambre d'amis attenante afin que leur chat puisse prendre ses aises, et je me retranche, avec les deux miens, dans une autre chambre indépendante, plus petite, d'où mes chats confinés toute la journée, ne pourront s'évader que le soir venu.

Ok, soit, Baptiste me lance un regard réprobateur, mais je le convaincs, c'est pour cette nuit.

Lundi soir, mon père, toujours sans nous concerter, lance qu'il souhaite que le chien dorme de nouveau dans la chambre, vu que cela s'est bien passé la nuit d'avant, au lieu de dormir, comme à son habitude, dans la voiture spécialement aménagée.

Et là, je n'ai pas le temps d'intervenir, que Baptiste édicte, calmement mais sèchement, qu'il n'en est pas question, vu que le temps est clément, le chien ne dormira pas à l'intérieur, il doit retourner à sa place.

Pire que s'il avait été piqué par une escouade de taons en colère, mon père vomit sur Baptiste toute la rage accumulée depuis toutes ces années, ma mère renchérit et j'assiste, éberluée, au règlement de compte à OK CORAL…

Quand le ton redescend, je m'aperçois qu'ils ont décidé de partir sur le champ, or, il est 23 heures !

Le temps de plier leurs affaires, de récupérer les légumes du jardin qu'ils avaient apportés, et hop, plus personne….

Et là, me revient en mémoire LA phrase dont ma mère nous rebattait les oreilles lorsque nous étions enfants : « quand tu seras chez toi, tu feras comme tu l'entends…. » ah bon, ben, j'ai pas eu l'impression « d'être chez moi » pendant ces deux jours là….


Alors, sa main sur mon épaule, je ne peux la supporter et le rejet est immédiat et sans appel, ce n'est pas LA FEMME DE qu'elle soutient, celle qui en a besoin, mais SA FILLE, excluant tout lien avec le défunt.

D'ailleurs, mon père me l'a dit en arrivant « ta mère est contente, elle retrouve sa fille… » sans commentaires…

Alors, la crémation ayant eu lieu le samedi, je leur demande de prendre congés le mardi matin, prétextant mon retour au travail.

Pourtant, les hasards du calendrier font que j'avais posé le reliquat de congés pour début mai, je me retrouve donc seule à la maison pendant 2 semaines supplémentaires, que je compte mettre à profit pour continuer sereinement le tri et me réapproprier la maison.

Ce que je n'avais pas imaginé, c'est que chaque chose que je fais depuis le lendemain de sa mort est, bien que la même que le jour d'avant, en fait une première.

Je ne peux m'empêcher de trimballer mon portable partout avec moi, de vérifier 100 fois qu'il y a du réseau et que je n'ai pas perdu un appel ou un message, alors que personne n'appelle plus, ne me laisse plus de message, comme ça, du jour au lendemain, ou du moins, passé une semaine….

Quand je sors faire les courses, bêtement je note des choses à lui raconter, je prends des photos pour lui montrer, photos que j efface dans la minute qui suit.

Le pire est de conduire, alors que depuis toujours j'adore cela, c'est le moment pour moi de laisser mon esprit vagabonder au gré de ses errances, d'aller là où il souhaite, pendant que mon attention est fixée sur la route, cette dichotomie n'est pas antinomique, bien au contraire, elle me permet d'être plus attentive à l'asphalte.

Pourtant là, je la redoute, car inévitablement, mon esprit me ramène aux dernières heures passées ensemble, dans la souffrance que rien ne peut soulager, face à mon impuissance, et immanquablement, les larmes refoulées surgissent en torrents que rien ne semble en mesure d'arrêter, tant elles sont salvatrices.

Alors, aveuglée, je suis dans l'obligation de m'arrêter sur la bande d'arrêt d'urgence qui n'a jamais aussi bien porté son nom, et j'attends, le corps secoué de ces sanglots qui n'en font qu'à leur tête, j'attends que ça passe.

Les mois se suivent, s'enchaînent, un pas après l'autre, je m'approprie ma nouvelle vie, tout est en désordre dans la maison car tout a été commencé, mais rien n'est fini, toutes les pièces ont été saccagées pour tenter de faire de la place dans les souvenirs, mais lorsque cela devient trop douloureux, je passe à la suivante, laissant tout en plan, j'aurai le temps plus tard, ou pas d'ailleurs….

Voyant l'hiver approcher, je me lance dans la recherche d'une association où investir le trop plein de temps libre qui m'est tombé dessus et dont, l'été, j'ai profité au jardin, je sais que c'est une question de survie mentale.

Alors je m'investis dans la reprise de la gérance d'une association de consom'acteurs de produits fermiers, histoire d'allier plaisirs et utilité.

En fin d'année, je dois affronter les trois mois les plus durs du calendrier qui vont se succéder : le mois de mon anniversaire, du sien et des fêtes de fin d'année, je dois réussir à passer ce cap pour continuer d'avancer.

Et là, le hasard va une fois de plus se mêler de saupoudrer de grains de sable les rouages de mon existence et me faire prendre des chemins de traverse.

Le dernier mois de l'année va se révéler d'une richesse incommensurable et me poussera jusqu'à abandonner mes certitudes, mes doutes, mes complexes, mon véhicule, mon travail et bientôt ma maison.

Si l'année qui s'est écoulée m'a tout pris, l'année qui s'annonce va tout m'offrir, dès les premiers jours, à commencer par une nouvelle raison d'espérer, ma vie n'est pas finie, elle ne fait que commencer, il me l'a fait comprendre et j'y crois.

Balles neuves….

Signaler ce texte