Forcément, ça laisse des traces...

C'était la pagaille chez les ZaCaMaSy et Cie. A cause des hommes bien sûr, c'est toujours à cause des hommes. Vexés d'avoir été tenus à l'écart de l'opération Dentelles Fines, ils faisaient n'importe quoi. 

L'Inspecteur Prijgany s'était mis en tête d'entamer des fouilles dans une mine de houille. Personne n'avait pu comprendre ce qu'il y cherchait mais il revenait bredouille de ses expéditions et recouvert de ladite houille qui dessinait un sombre chemin partout où il passait. "Carabistouille !", s'était écrié Sylvie, "qu'est-ce que c'est que ce travail ??". Elle l'avait condamné à rester dehors avec son cheval vert tout noir, et avait entrepris de laver tous les coussins et tapis qu'il avait maculés. Étendre le linge l'avait tellement occupée qu'elle en avait oublié d'aller nourrir son dinosaure. Qui, ne pouvant oublier de manger, avait dévoré sur le champ les grenouilles de Maud. Maud, qui avait passé un temps fou à tenter de teindre ses reinettes  en les nourrissant de macarons multicolores*, était furieuse, et avait failli tuer le dino à coups de talons Louboutin de 16 cm de long. Depuis, les deux femmes se faisaient la tête. 

Zab et le bûcheron boudaient aussi. Zab était épuisée par ses démarches immobilières pour agrandir leur terrain, le bûcheron par tous ces trous qu'il avait dû creuser pour escamoter les propriétaires récalcitrants que la belle avait croisés (et puis mince, il était bûcheron, pas fossoyeur !). Il avait demandé comme récompense et en toute innocence de voir l'effet produit par la dentelle vert émeraude sur les yeux vert émeraude de la demoiselle qui, offusquée, avait enfilé un legging (ce qui avait à son tour offusqué Maud, horrifiée par ce fashion faux pas). 

En temps normal, les choses se seraient apaisées avec une simple tournée de mojitos sous le kiosque. Seulement voilà. L'ours, convaincu par le gang de ne plus se repaître de morceaux de chair humaine, s'était converti à l'herborivorisme. Et avait dévoré toute la récolte de menthe !!! Le gang dans son ensemble en avait fait une jaunisse, tandis que lui, saturé de chlorophylle, était devenu tout vert. Ébahie par le résultat, Maud avait chipé l'appareil photo oursonnesque, ce qui avait provoqué une bagarre entre les deux, l'ours voyant rouge quand on voulait le photographier vert. 

Carouille elle aussi faisait la tête. Le linge mis à sécher par Sylvie lui promettait de longues heures de repassage et le coup du legging avait tellement énervé le bûcheron qu'il avait oublié ses sur-chaussures et laissé des traces pleines de boue partout. 

Au milieu de ce cafouillage général, le portail s'ouvrit tout à coup sur une jeune femme inconnue qui écarquilla de grands yeux en découvrant la compagnie hétéroclite installée dans le jardin. 

- Mais...qu'est-ce que vous foutez là !!??

La compagnie au grand complet fut aussitôt sur le qui-vive, et Maud Mauve s'avança d'un pas, jouant nonchalamment avec une mèche de cheveux. 

- Ben et vous alors ? 

L'inconnue se campa les poings sur les hanches, l'air pas content du tout. 

- Ah, c'est la meilleure ça ! C'est chez moi ici !!

Tout le monde se tourna vers Sylvie qui regarda le ciel en sifflotant doucement. Le bûcheron, déjà passablement énervé, l'interpella : 

- Parce que tu m'as fait construire un kiosque dans un jardin qui n'est même pas à toi !!?? Il se tourna vers la nouvelle (qui je le confirme était une FILLE, pas un garçon, suivez un peu Zab et Maud !). Et puis vous étiez où, vous, d'abord ? ça fait au moins un mois qu'on crèche ici !!

Le visage de l'inconnue s'illumina d'un grand sourire. 

- Oh la la ... Je reviens d'un an en Nouvelle Zélande... le bonheur !!!

Zab écarta l'île et le sourire d'un geste brusque. 

- Bon, tu nous laisses la baraque pour un très bon prix, ou je t'achève et il t'enterre ?

Le sourire s'effaça un peu et un silence de plomb tomba sur le jardin. Ce qui permit d'entendre très clairement les grognements victorieux de l'ours. Laissant les zhumains se bagarrer, il avait suivi son flair hors normes jusqu'aux bagages d'où il extirpa de grosses bottes de menthe. Les regards menaçants se firent aussitôt caressants, et Carouille sortit de son mutisme : 

- C'est quoi votre nom ? Vous aimez les mojitos ? Et notre kiosque ? 

-Euh... Ade. J'adore. Au poil. 

- Bon, alors je fais les boissons et on se pose pour faire connaissance. 

Une fois tout le monde en possession d'un verre et tranquillement assis sous le kiosque, l'atmosphère changea nettement. Ade regardait tranquillement autour d'elle, attentive aux changements survenus sans paraître s'émouvoir plus que cela de l'invasion de son territoire. Zab désigna le livre qu'elle avait posé sur la table. 

- Vous nous faites un peu de lecture ? 

Ade hocha la tête et se gratta la gorge avant de commencer : 

"Fugitive

Ce que la vie me donne, aussitôt le reprend,

la fugace vision, la fugitive trace,

mon lumineux frisson, toi mon ange qui passe,

intermittent plaisir, aux pointillés du temps.

Quand les corps s'arc-boutent, s'imaginent un instant,

effacent tous les doutes, réinventent un présent.

Je rêve de ta bouche, tes lèvres sont le vent,

qui agite mon âme, au bal des amants.

Ce long baiser vibrant, quand je noircis des pages,

écrire je, écrire nous, te le dire à la marge.

Laisser s'enfuir à nous, ces milliers de soupirs,

ces milliers de caresses, à notre beau désir. "**

Le jardin avait retrouvé toute sa quiétude quand une nouvelle inconnue débarqua. Elle marcha droit sur le kiosque, le ruban rouge noué dans ses cheveux voletant furieusement autour de sa tête. Elle se planta devant le groupe, les poings sur les hanches, et attaqua, furibarde : 

- Moi c'est Julia, et là j'en ai vraiment ras la casquette ! Je suis harcelée par un casse-pieds, et chaque fois que je crois m'en être débarrassée, il recommence ! C'est l'hydre aux multiples têtes, hermaphrodite en plus ! Il ne sait même plus s'il est homme ou femme ! Quelle plaie ! Alors si vous pouviez me faire un peu de ménage, ça m'arrangerait bien ! 

Zab sauta sur ses pieds en applaudissant gaiement. 

- Cool, ça va me détendre de buter quelqu'un !

* Voir le texte à venir de Maud Garnier sur le braquage de Ladurée ;-)

** Extrait de "Traces" de Patrick Gonzalez, aux éditions Edilivre. Lecture que les ZaCaMaSy vous recommandent fortement. 

©Truvia. (l'excès de mojito peut endommager les neurones).