Graine de Courge

blonde-thinking-on-sundays

Fille / Montagne / Nain / Lampe à huile Photo ©Marie Joubert

Petit, vois-tu cette vallée là-bas ? Prisonnière entre ces deux sommets ... Tu vois maintenant ? Et bien là se tient un village. Quelques rues, un clocher, une place pour faire son marché, un ancien lavoir, une école...

Ce village, c'est le dernier avant la montagne. Quand on le traverse, on ne reste pas indifférent tu comprends. La route se déroule vers les sommets, grimpe en épingle. Un virage... Deux virages... Trois ... Et puis par-delà le quatrième virage, au milieu des pâturages, on trouve un chalet. Un petit chalet en bois vernis, sans grande prétention. Dans ce chalet comme dans toutes les maisons d'ailleurs, il y a une cuisine qui souvent sent le chocolat chaud, le pain grillé et parfois malheureusement les choux de Bruxelles et la soupe. Dans la cuisine, assise derrière la table couverte d'une toile cirée à pois bleus, se trouve une petite fille qu'on surnomme au village... Graine de Courge. Elle serre ses joues roses entre ses deux poings, le nez baissé, les coudes appuyés sur la table. Sous son coude gauche, une miette rescapée du goûter. La miette sur sa peau lui fait mal mais la petite fille ne dit rien : elle est trop préoccupée. 

" Maman ? demande t-elle à la femme debout devant son évier, 

- Oui ma chérie ?

- Les enfants a l'école disent tous que je suis la plus petite...

- Oui ma chérie... répond sa maman

- Et les gens en bas m'appellent Graine de Courge , ajoute la fillette les yeux humides. Ils se moquent tous de moi."

Elle pleure.

Sa mère se précipite, lâche son torchon et encercle de ses bras son enfant en disant "chut, chut, la, la..." mais Graine de Courge continue à pleurer amèrement. Le "chut, chut, la, la", ça ne marche pas...

"Ma chérie, lui dit sa mère. Tu es petite oui, très petite. Mais tu as deux bras, deux jambes, une bouche, des yeux et des oreilles et c'est vraiment le plus important, crois-moi."

Mais la fillette ne veut pas entendre ce discours réchauffé. Elle repousse sa mère, quitte la cuisine, le chalet en courant, file vers les montagnes à travers champs. Elle court jusqu'à ce que la nuit tombe, et jusqu'à ce que frigorifiée, elle trouve refuge dans une petite grotte. Elle s'endort. Au petit matin, elle s'éveille persuadée d'avoir fait un drôle de rêve et d'être dans son lit. Quelle ne fut pas sa surprise de se découvrir au cœur de la montagne et en compagnie d'un drôle de petit bonhomme ! 

"Tu es si petit... lui lança Graine de Courge, loin d'être effrayée.

- Normal, siffla l'homme dans un sourire amusé. Je suis un nain !

- Un nain ?

- Oui un nain. Un homme qui n'a pas grandit.

- Moi non plus je ne grandis pas, lança Graine de Courge. Tout le monde me traite de naine... Alors je me suis enfuie. Pour vivre dans la montagne, ne plus les écouter...

L'homme fronça les sourcils.

- Mais un enfant ne peut pas vivre tout seul ici, sans ses parents ... Ta maman doit être très inquiète...

- Je ne veux pas y retourner ! cria Graine de Courge affolée.

- Je comprends que tu ais peur, concéda le nain. Cependant si tu rentres sagement chez toi, je te le promets tu grandiras. 

- Comment ça ? Demanda Graine de Courge.

- Prends cette lampe à huile et chaque soir lorsque ta maman te lit une histoire, allume-là près de ton lit. "

La fillette rentra chez elle au grand soulagement de ses parents. Elle suivit les instructions du nain, écouta les histoires à la lueur de la lampe à huile. La flamme dansante renvoyait sur le mur de la chambre, son ombre déformée. L'ombre était chaque soir un peu plus grande que la veille. Nuit après nuit, la seule préoccupation de Graine de Courge était de contempler son ombre portée. Elle oublia les moqueries et le temps fit le reste. Elle grandit. Et au village maintenant il se dit qu'une délicieuse fleur vivrait dans le chalet du quatrième virage vers la montagne... 


A ma fille Norah


Signaler ce texte