Heva.

Elle s'assit sur l'escalier en bois. Le grincement sous ses pieds  brisait le silence de la nuit. Elle n'avait pas de temps à perdre…Pourtant…Elle devait faire crédit à Dieu, pour toutes ses heures gâchées. Toutes les nuits, sur le même escalier, fumant la même marque de cigarette. Elle disait qu'elle savourait l'instant. Qu'elle vivait au jour le jour. Mais les jours se ressemblent, finalement.

Il n'y a que le chant des sirènes qui la maintienne éveillée. Ça, et le picotement du froid sur sa peau dénudée. On pouvait apercevoir son tatouage, sous son bras, dans le passant des bretelles. Ces deux petites lignes gravées sur sa côte. Une prière indélébile, et pourtant si sale:

« As long as there are stars above us »

Personne ne lui a jamais demandé ce que cela signifiait. Peut-être la phrase était-elle trop claire pour éveiller la curiosité. Pourtant, ces huit petits mots la maintenaient en vie chaque jour, comme une décharge de défibrillateur. Comme un miracle, qui se répète, encore et encore, inlassablement. Elle se surprend chaque matin, à lire cette phrase dans le miroir, et à sourire. Et à pleurer. Elle va s'en sortir vivante, se dit- elle. Vivante, et heureuse. Comme chacun de ses jours de pluie, où l'escalier l'attend. Il est le seul à attendre, elle le sait bien.

Elle promène ses doigts le long de son visage et imagine son regard demain. Combien de temps cela peut-il encore durer, avant qu'elle ne sente la pourriture et se décompose ? Déjà elle sent la peau fondre autour de ses phalanges, creusant ses joues, ses tempes… Cadavre vivant d'une jeune fille qui un jour, respirait à plein poumons. Une jeune fille qui s'est faite tatouer main dans la main avec la faucheuse. Elle tente de se souvenir, aujourd'hui, de qui elle avait l'habitude d'être. Cette catin sans cervelle qui riait de bon cœur et buvait au goulot. Cette femme que l'on surnommait : Heva.

Alors, observant les étoiles depuis l'avant dernière marche, elle cracha sa fumée sur le visage de Dieu. Elle n'avait que la mémoire et la douleur. Pas assez pour une chambre d'hôtel luxueuse. Trop pour une corde dans la cave. Elle vivait ici. Dans un motel délabré du Nevada.

Pour ne pas oublier le son de sa propre voix, elle chantait sous l'étuve sombre, quelques minutes. Une belle voix, disait-on à une époque où elle n'était pas éraillée par le tabac. Mais, elle veut juste chanter, peu importe qu'on l'écoute. Elle jappait comme un chiot blessé, rêvant presque qu'on l'adopte.

MlleAsh.