Il et Elle
mlpla
PROLOGUE
Un quart de siècle avait suffit pour transformer la femme amoureuse qu’elle était en un être de solitude mélancolique.
Ce visage nu, dépossédé de son souffle intérieur, qui soudain lui apparaissait dans le miroir, c’était le sien. Il avait quitté la lumière.
A présent il s’était métamorphosé en un masque de Colombine vieillissante et triste.
Elle décida alors de prolonger sa vie au-delà du miroir afin d’accéder à la liberté du loup de la fable : Affamée mais qu’importe !
Cette histoire passionnelle qui avait tant troublée et déboussolée son entourage.
« Ah, ces deux là ! On n’arrive pas à les suivre…C’est ni avec toi, ni sans toi… ».
Il est vrai qu’avec lui, son parcours était criblé de « Partir-Revenir ».
Je me sauve, tu me rattrapes. Je reviens pour mieux repartir.
Un amour vrai, aimanté, empli de pure folie, destructeur.
Pendant des années, ils s’étaient épuisés dans un jeu de cache- cache amoureux où ils n’avaient ménagé personne.
Quelle était la signification de leurs comportements névrotiques?
Quelle en était la clef ? Quels étaient ces fantômes qui les hantaient au point de transformer leurs mots en paroles inaudibles ?
Quels mystères inextinguibles les guidaient?
S’épuiser encore et encore, à toujours convaincre l’autre, inlassablement de son amour.
Ce fut pourtant un amour fusion qui prit sa source à la douceur de leurs peaux, aux épices de leurs bouches, aux abîmes de leurs regards.
Mais cet amour là ne trouva jamais sa bonne place, elle se contenta de se faire et se défaire, sans cesse.
Volupté. Etreinte. Jouissance. Offrande totale. Silence.
Et la certitude au-delà des mots, au-delà du temps, au-delà des distances, d’un amour infini, partagé, libéré, éternel.
Parfois, à la suite de longues heures d’abandon il lui arrivait de les imaginer en Gérard Depardieu et Fanny Ardant dans le film sublime de François Truffaut « La femme d’à côté ».
« C’est comme ça qu’on finira toi et moi… » Disait-il.
Elle, elle acquiesçait avec effroi…
A la sauvette
- « Et ça, tu emmènes ? Un ami lui montre un grand « Psyché » tacheté.
- « Oui, bien sûr, je le prends, je m’en sers pour le théâtre, pour travailler mes personnages !
- Tu ne veux pas plutôt que je t’en offre un ? Cela t’évitera de trimbaler celui-ci, je t’en trouverai un chez mes amis brocanteurs à Fontainebleau…Ce sera mon cadeau pour ton départ.
- Non, merci, je tiens à l’emmener !
- Ok, comme tu veux… »
Voilà le chapitre « déménagement du miroir » clos.
Non, celui-ci n’a pas le pouvoir magique de celui de Blanche-neige et elle ne veut surtout pas qu’il lui envoie une vérité sur elle-même.
Elle ne s’en sert que pour répéter ses interprétations scéniques, ses déplacements, la pertinence de son maquillage… : il ne réfléchit donc que des personnages incarnés.
Autour d’elle, ses trois Némésis, s’affairent et l’aident à clore « une bonne fois pour toute » ce déménagement commencé à la hâte.
Telle une voleuse, dans sa « propre » maison…Mais n’avait-elle jamais été sa maison ?...Elle jette fébrilement dans des cartons les objets accumulés lors de ses années passées Ici.
Lui, est absent, il a quitté les lieux, pour fuir les complices de ce n nième déménagement.
Ces murs, elle les quitte, à la va-vite, comme une pestiférée, honteuse et servile.
Un gâchis ! Une histoire d’amour réduite au silence par deux névroses enfantines. Aucune n’a su trouver le sentier de l’âge adulte.
Les voilà tels deux Peter Pan, ahuris, en souffrance, réduits à composer avec les tics tacs incessants du caïman.
Il reste encore quelques heures à sauver…L’un sans l’autre.
Elle se retrouve à l’aube de la cinquantaine, en fuite, abandonnant l’homme, le seul qui chavira son âme et tatoua son corps de façon brûlante et désespérée.
Elle en gardera les stigmates à jamais.
Dinde de Noël
Un an déjà et aucun évènement heureux n’était venu contrer cet immense désespérance, combler cet énorme vide, réduire ce profond silence.
Leur couple en souffrance fut anéanti et sidéré par la disparition brutale d’une mère et s’échinait à quitter l’enfance. Seulement voilà, ils butaient désormais sans cesse sur une incompréhension totale l’un de l’autre.
Tentées par l’âge adulte leurs deux âmes ne parlaient plus le même langage.
Elles devenaient étrangères l’une à l’autre et leurs corps à corps, longtemps en accord, ressemblaient dès lors à une pantomime, jusqu’à se taire.
Mutisme par vanité sans doute, puis par défiance, par provocation et enfin par revanche.
Pour narguer, braver, semer le doute, rendre fou.
« Je resterai ici à Noël, inutile de jouer une parodie de couple qui ne sert qu’à préserver une image à laquelle on ne croit plus.
- Ah non, pas question, tu ne te rends pas compte ou quoi ? Tu me vois te laisser seul ici, alors que cela fait juste un an…Et à Noël en plus!
- Qu’est-ce qui te dérange ? Une image de toi qui s’imposerait à ma famille autre que la douce et tendre compagne ? Ou bien le fait d’abandonner pour Noël un homme que tu rendrais doublement orphelin?
- Ne dis pas n’importe quoi s’il te plaît, il n’est pas question de moi mais de toi…Si tu ne viens pas chez mes parents, je n’irai pas non plus.
- Ce sont tes parents, pas les miens, et puis, ça ne les inquiétera pas beaucoup d’ailleurs, ils ne m’aiment pas !
- Arrête, là, tu m’agaces, on dirait un gosse !...Mais quel âge tu as ?... »
Le cadeau
« Pour ton anniversaire j’ai réservé un week-end au Manoir de Gressy. Je leur ai donné 2 dates afin que tu puisses choisir. Tu es pris toutes les fins de semaine ces derniers temps. »
Tout cela est prononcé sur un ton joyeux et badin qu’elle ne se reconnait pas. Tandis que son visage rayonne de contentement, le sourire qui l’illumine s’éteint peu à peu, à la lueur du regard qui vient de lui être lancé.
Déconcerté, interrogatif, consterné. Et finalement comme empli d’une haine sourde.
Le vert de ces yeux là, s’assombrit alors avec une intensité si funeste, que seules les pupilles gardent un pourtour clair, proche de la rousseur automnale.
Elle perçoit comme dans un cauchemar une voix rauque, étranglée qui susurre :
« C’est tout ce que tu as trouvé ? Un hôtel ! Alors qu’on ne se touche plus depuis des mois !
- Mais, oui, justement ! Je voulais retrouver le jeu érotique.
- Ah ah ah, laisse-moi rire. Fiche moi la paix, tu ne comprends rien, tu es dans une autre sphère, dans ta folie, tu joues. »
Elle est au bord des larmes
- « C’est toi qui ne comprend rien, tu es injuste…
- Que connais-tu à l’érotisme toi ?
- Tu n’as pas toujours dis ça !
- Oui, j’ai dû rêver, me laisser charmer par un mirage !
- Je vais partir.
- Pars, je ne te retiens pas, de toutes façons tu ne sais faire que ça, partir … »
Elle suffoque.
Il suffoque.
Silence.
Le combat est terminé. Ils sont tous les deux liquides et anéantis. Comme toujours.
Retrouvailles
Lundi 4 juillet.
Ils reviennent du cinéma enchantés d’avoir passé une heure et quarante huit minutes blottis l’un contre l’autre. Pour la troisième fois, elle tentait de reprendre ses marques.
« Tu m’aimes ?
- Tu me rends dingue !
- Je t’aime ! »
Pourtant, sur le film, leurs avis divergent.
Cependant, tout à la joie de leurs retrouvailles et lovés dans une douce sensualité, ils prennent avec philosophie leurs différents sur le sujet.
« Ce cher Steven Spielberg traumatisé par le 11 septembre, nous a donné une guerre des mondes qui ne vaut que pour la belle gueule de « Tommy Crusy ». Tu ne crois pas ? Et de toutes les façons, rien n’égalera Rencontre du troisième type et E.T. !
- Ma douce, je suis tellement heureux que tu reviennes vivre Ici!
Revenir vivre Ici !
Quand il lui avait présenté la maison elle avait 33 ans.
Une superbe maison bourgeoise en bord de l’Yerres avec en son devant un jardin étendu, boisé d’immenses hêtres à feuilles de chênes.
Elle a dit « oui elle me plait ». En fait, le lieu lui importait peu, elle voulait tout partager avec lui c’est tout. S’endormir à ses côtés, se lever à ses côtés, l’aimer!
L’année suivante, elle le fuyait.
Le monde célébrait le XXIème siècle lorsqu’elle retrouvait Ici.
Ce 4 juillet là, c’est une renaissance qu’elle célébrait dans ses bras. Uniquement dans ses bras, elle se sentait chez elle.
Coup de foudre
Orphée et Eurydice…Amour passion, obsession, amour impossible, amour fatal…
Au commencement était le regard …
Elle montait l’escalier de la société de presse locale où elle prenait son poste.
Animatrice des ventes.
C’était son premier jour. Elle avait 25 ans. Elle se savait belle, désirable.
Dans le bocal, grande pièce vitrée et lumineuse, les journalistes s’enregistraient. D’autres tapaient leurs papiers sur des machines à écrire IBM.
Soudain à sa vue, l’un d’eux se lève et vient à sa rencontre.
Leurs yeux se rencontrèrent.
Verts, ses yeux, à lui, projetaient un vert sinople, feuillages d’automne, sombres, tirant sur le roux…Magnifiquement terriens !
« Bonjour, tu es attendue pour le pot…
- Heu… oui, j’arrive…Merci »...
Un verre de l’amitié était offert pour fêter son entrée dans la grande famille de la Presse écrite décentralisée. Plutôt sympa comme accueil !
La voix des yeux était voluptueuse, si voluptueuse !
Merci beaucoup je suis profondément touchée...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Les vacances passées et surtout dédiées à l'écriture de la pièce de théâtre, que tu as si gentiment commentée, j'ai des lectures en retard. Je suis émerveillé par cette "petite perle" où se dégage une intelligence de l'amour que l'on ne rencontre pas souvent.
· Il y a plus de 13 ans ·Michel Chansiaux
Merci Eric...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Je n'ai pas ouvert ma boîte mél depuis une semaine. J'aime beaucoup ce texte.
· Il y a plus de 13 ans ·Eric Varon
Merci beaucoup, l'écrit de ce texte est la conséquence pour moi d'un parcours singulier et vos commentaires à tous m'émeuvent profondément...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Un compte-à-rebours de plus en plus léger, c'est très agréable... ça m'a fait l'effet de m'emporter dans le ciel !! Le fait de remonter le temps rend la chute (pas celle de ton texte, mais celle de l'histoire) moins lourde, mon tragique. Très bien vu.
· Il y a plus de 13 ans ·mls
Merci à toi aussi pour ta lecture...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Merci de défoncer cette porte qui chez la plupart d'entre nous n'arrive pas à s'ouvrir
· Il y a plus de 13 ans ·Chris Toffans
Ravie que ce texte te parle toutefois je te souhaite une issue amoureuse plus paisible... merci pour ton commentaire et ta poésie...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Oh! Merci Charlotte car j'ai lu à quel point tu pouvais savamment savourer, tortiller, et régaler de tes mots...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
J'ai mangé ton texte! J'apprécie ceux qui arrivent à écrire la vie, si simplement, méthodiquement,avec simplicité entre deux grandes respirations. J'ai beaucoup aimé!
· Il y a plus de 13 ans ·charlotte-laquiche
Merci à toi...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Un grand grand merci à vous trois...
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Très très bien, Mipla! ...La vie de couple aux extrêmes; c'est superbe avec ton style... attachant ... et le flashback comme au cinoche...bravo! Coups de coeur sans hésiter !!!
· Il y a plus de 13 ans ·Pascal Germanaud
Très très fort, comme Mathieu je remarque ce compte à rebours, mais aussi la danse frénétique des mots qui marquent bien le "je t'aime, moi non plus", ils se touchent et se repoussent, s'accélèrent, marquent des temps d'arrêt. C'est joliment ciselé, un travail d'orfèvre. Merci et coup de coeur qui ne vaut pas d'ailleurs, les cinq sont déjà rouges
· Il y a plus de 13 ans ·Jacques Lagrois
Merci Mathieu pour le temps pris pour la lecture et je suis touchée par ce commentaire.
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla
Le bonheur en compte à rebours? Ça commence par une rupture et ça se termine par un commencement... C'est très bien écrit... Bravo Mary-Luce.
· Il y a plus de 13 ans ·mathieuzeugma