Il faut qu'on parle

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Lundi matin 10h00. Quatrième expresso à la machine à café du boulot. Vibration dans la poche intérieure de ma veste. Message.  Une gorgée de café. Trop chaud. Une excuse bafouillée à mon interlocuteur, compagnon de caféine du jour. Sourire. Main dans la poche mal réveillée, tâtonne indéfiniment et finit par pêcher l’objet. Ouverture du message.

« Je n’en peux plus. Il faut qu’on parle. Emilie. »

 

Emilie, ma femme.  Chute du couperet. Main moite dans les cheveux, interlocuteur bavard, hochement de tête poli, sourire emmerdé, piétinements impatients, poignée de main molle, prise de congé rapide. Retour au bureau. Porte fermée. Relecture du message. Déglutition difficile, bouche sèche, soupire, corps lourd s’écroulant sur la chaise.

« Je n’en peux plus. Il faut qu’on parle. »

 

Que veut-elle dire ? A quoi fait-elle allusion ? Si elle n’en peut plus, c’est qu’une situation bien précise l’excède. Si elle souhaite qu’on discute, c’est que cette situation bien précise qui l’excède, me concerne. Oh putain merde, de quoi s’agit-il ? Ok, ok, ok. Calme-toi. Réfléchis mon vieux.  Que s’est-il passé dernièrement ? Pas grand-chose Alex. Tu travailles beaucoup trop et tu es trop crevé le soir pour faire quoi que ce soit. Tu poses ton cul dans le canapé et elle se fade tout à la maison. Tu l’emmènes même plus au resto, au ciné, au pub.  Mais bon elle sort avec ses copines. Ca compense. Ou alors, j’ai oublié un anniversaire. Le sien, non c’est sûr. Le nôtre non. La saint-Valentin, c’est pas tout de suite.  Celui de sa mère ? Non, non, non. Ou bien c’est à cause de cette montre que je me suis payée. Une dépense importante alors qu’on voulait mettre de côté pour les vacances.  C’est pas comme si j’avais déjà trois montres, c’est sûr… Mais sur le coup elle a rien dit et elle avait l’air de la trouver jolie cette montre… Ou bien… Ou bien elle en a marre que je ne veuille pas d’enfant. C’est vrai après tout, ça fait cinq ans qu’on est marié et avec ça elle ne me fait pas trop chier. De temps en temps elle met ça sur le tapis. Elle voit bien que je prends pas dessus et elle insiste pas. Si ça se trouve, elle a plus la patience. Il fallait bien que ça arrive. Je vais plus pouvoir y échapper. Je la vois d’ici. Elle va me tanner nuit et jour, jusqu’à ce que je cède et qu’elle me ponde son chiard. Et là finies la belle vie, la liberté ! A nous les nuits blanches, les couches qui débordent, la compote sur les murs et les parties de jambes en l’air une fois par mois ! Alors c’est ça Emilie ? Tu veux qu’on parle ? Tu veux que je te fasse enfin un gamin et qu’on fasse une croix sur notre vie à deux ? C’est vraiment ce que tu veux ? Tiens voilà ce que je m’en vais lui dire, si elle me saoule trop. Allez, je lui réponds.

 

Téléphone dans la main droite. Pianotement du pouce sur l’écran tactile.

« Que se passe t-il mon amour ? Ca va pas ? Bien sûr qu’on va parler si tu en as besoin. Je suis là pour toi. Alexandre.»

 

Une heure, deux heures. Pas de réponse. Sixième café. Travail pas fait. Deux clopes taxées. J’avais arrêté de fumer. Et si… Non, ça m’étonnerait. Impossible qu’elle sache. Parce que j’ai été hyper prudent et puis c’est arrivé qu’une fois, y a vraiment longtemps. Comment elle saurait ? A moins que quelqu’un m’ait vu et lui ait raconté. Oh putain, elle va me tuer ! Et elle va me quitter. C’est sûr maintenant ! C’est pour ça qu’elle me répond pas. Elle veut rompre en fait ! Qu’est-ce que je fais ? Je l’appelle ? Oh non, j’ai pas envie de savoir… Emilie, si tu savais comme je t’aime. Me laisse pas, je pourrais pas vivre sans toi ! Je voulais pas je t’assure ! C’est cette fille, elle m’a sauté dessus, j’ai pas pu lui échapper ! Je me demande même si elle m’a pas drogué ! Reste s’il te plaît ! Elle était rien pour moi ! C’était juste comme ça, un soir, sans sentiments, sans rien ! Alors que nous, nous on tellement tout ! On vit un truc unique, un truc qui nous est réservé. Alors on pourrait continuer à faire ce qu’on sait faire de mieux. S’aimer. Et je t‘emmènerai au ciné, au resto, en vacances et même je te ferai un bébé…

 

Sonnerie de téléphone. Photo d’Emilie sur l’écran. Doigt fébrile prenant l’appel.

- Allô ?

- Allô mon cœur ? C’est moi ! Ca va ?

- Oui  mais c’est quoi ce message ?

- Alex ? Non mais t’as vu ce temps ? J’en peux plus moi, j’veux du soleil. Va vraiment falloir qu’on se décide à se les payer ces vacances, parce que je te le dis, octobre en juin, j’en veux plus. Je suis au bout du rouleau, tu comprends ? Il faut qu’on en discute…

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