Improbable collaboration au Guide des Journées Mondiales

Mathieu Jaegert

Rappel : Mark Z., célèbre patron d'un non moins célèbre réseau social, s'est découvert des talents poétiques en réfléchissant à développer sa société. Mais ce 28 février, il s'aperçoit que c'est la journée mondiale sans facebook, un comble ! 

Huckminz, lui, dirige le Guide Universel des Journées Mondiales et ses inspecteurs émérites, dont Yves, encore en mission dans la fameuse région du "Sud-Anis"...

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Suite à sa déconvenue du 28 février, journée mondiale sans facebook, Mark Z. avait décidé de passer à l’action. Dès le premier mars, armé de sa détermination légendaire et débarrassé de la poésie accumulée la veille, il s’était mis à pianoter sur son ordinateur fétiche en quête d’idées. Il reprendrait l’initiation à la poésie plus tard. La rime arrimée à l’écran, ce sera pour un autre moment, sonorités sémantiques et affaires ne faisant pas toujours bon ménage. L’idée lumineuse s’était très vite manifestée sur un site français qui ne payait pourtant pas de mine. Sourire aux lèvres et clics fébriles, son plan se dessinait au fur et à mesure qu’il parcourait les différentes rubriques. Il s’agissait du site Internet d’une institution se présentant comme le « Guide Universel des Journées Mondiales, Internationales et Nationales ». Son amusement s’était amplifié à la vue de la mention concluant la présentation : « …Maison renommée aux inspecteurs émérites au service d’un Guide tout aussi émérite et d’une noble cause » ! Sa bonne humeur retrouvée, il s’était empressé de noter les coordonnées du Directeur Général, un certain Huckminz. Il s’était alors promis de le contacter dans les meilleurs délais, une fois son plan affiné.

Patrick Huckminz faisait le point en ce début de mois de mars. Les échéances allaient se bousculer. Cependant, il avait la mauvaise impression que ses inspecteurs, loin de leurs bases, n’en faisaient qu’à leur tête. Il faudrait serrer vis et boulons. Mais il avait horreur de ça, tout réfractaire au bricolage qu’il était. Il savait toutefois qu’il allait devoir forcer sa nature, il en allait de la réputation de l’entreprise.

Ce lundi matin, il avait les yeux parfaitement dans le vague, c’était sa méthode pour dénicher les meilleurs plans. Une façon de faire trompeuse. Seule Roselyne, sa secrétaire, était dans la confidence. Alors que ses proches le croyaient toujours perdus dans ses pensées, elle savait que son patron consacrait cette apparente rêverie à une période d’intense concentration. Du recadrage de ses troupes au développement de la société, il avait beaucoup de choses en tête. Il était tombé en milieu de matinée sur un entrefilet du journal local indiquant une initiative récente qui pourrait concerner l’institution. Les journées internationales du livre voyageur se profilaient à l’horizon. L’information l’avait d’abord laissé songeur. Il fatiguait et se demandait d’ailleurs s’il ne devait pas quitter ses fonctions, raccrocher son tablier de chef pour goûter à la retraite vers laquelle sa femme le poussait en mêlant force et subtilité. Non sans une pointe d’ironie, il s’était fait la réflexion que ses inspecteurs, eux, étaient voyageurs, beaucoup plus que le Guide lui-même. En moins de cinq minutes, il avait fini par balayer ses doutes. Voilà où il fallait concentrer les efforts. Le Guide deviendrait voyageur et reconnu dans le monde entier par l’entremise de la solidarité qui ne manquerait pas de se développer à l’occasion de cet évènement. Des livres, dont le Guide, abandonné ici ou là, aux quatre coins du globe. Il lui restait trois semaines pour peaufiner le dossier.

Il s’apprêtait à appeler Roselyne quand la sonnerie de son téléphone avait retenti. Numéro inconnu. Il ne se doutait pas à cet instant que sa journée prendrait une tournure inédite. « Mark Zückerberg » avait annoncé le type avec un fort accent que Huckminz ne parvenait pas à reconnaître, comme si cela suffisait à l’identifier. Ce nom lui disait quelque chose pourtant. Après quelques précisions du gars dans un Français correct, il avait cru à une mauvaise blague. On lui en voulait encore d’avoir maintenu dans la cuvée 2013 du Guide, l’impopulaire Journée sans facebook. Cela devait être un détracteur détraqué, un de plus. Il s’était rendu à l’évidence, pourtant, c’était bien le patron de facebook en personne qui semblait vouloir coopérer au développement du Guide. Mark lui avait brièvement raconté sa mésaventure mais ne lui en tenait pas rigueur. Au contraire, en étudiant attentivement la liste des Journées Mondiales, il avait flairé le bon coup. Tout était allé très vite. Un accord oral de coopération avait été conclu en moins d’un quart d’heure. Les deux nouveaux amis que tout séparait, venait de sceller une collaboration encore improbable quelques minutes auparavant. Ils avaient tous les deux raccroché, un sourire illuminant leur visage. Mais pas pour les mêmes raisons…Huckminz avait agité le combiné, ravi, comme s’il serrait la main de Zückerberg. Le premier dossier, pour intégrer le précieux travail de Yves dans le Sud-Anis, concernerait la mise en place d’une Journée Mondiale de la poésie anisée sur les réseaux sociaux.

Finalement, Huckminz avait délaissé le tournevis un moment envisagé pour remonter les bretelles de ses agents, lui préférant le portable, outil qui lui était plus familier, pour annoncer la bonne nouvelle. Yves serait le premier prévenu…

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