Innocente

Joelle Eymery

Elle s'appelait ... oh, et puis qu'importe son prénom.

Je l'ai aimée dès les premiers instants, quand elle m'a dit :"je ne comprends pas, mon mari m'a quittée".

A l'association, il y avait beaucoup de femmes perdues ainsi, incapables de surmonter les horreurs que la vie leur infligeait, mais celle-ci n'était encore qu'un petit bout, comme une petite fille perdue avec ses longs cheveux dorés collés sur son visage et de gros cernes sous les yeux.

Je lui ai tendu un café au lait, et j'avais grande envie de sortir de mon chapeau tout un bouquet d'étoiles et des morceaux de lune, juste pour ramener un sourire sur cette petite bouche triste.

Mais je n'ai rien dit.Elle non plus.

J'ai attendu longtemps qu'elle parle enfin.

Mais elle s'est endormie soudain, et elle m' a parue encore plus vulnérable.

Je l'ai recouverte d'une couverture bleue toute propre, qui sentait bon la lessive d'antan.

La tête d'un ours en peluche dépassait de la fermeture de son sac.

J'ai éteint la lampe et je suis sortie dans le parc.

J'ai allumé une cigarette et j'ai regardé le ciel.

Je crois que j'ai prié ...

Deux jours plus tard, sans un mot, sans bruit, elle avait disparu.

Partie avec son chagrin, sur quelque route sans fin, à la recherche de ce qu'elle ne trouverait jamais plus à présent : l'innocence.

J'ai trouvé sur mon bureau son ours en peluche avec ce mot : "merci", et un drôle de petit coeur triangulaire dessiné au crayon rouge.

Il ne m'a plus jamais quittée.


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