Jardin ou pas?

Pour le moment je n'ai pas beaucoup le temps d'écrire et ma plume trépigne un peu… Cependant, en plantant mes tomates et en nettoyant mes plates-bandes, je me suis posée, sans inquiétude et sans suffisance, je vous assure, plusieurs questions qui touchent à l'avenir…

Je me demande, quelle est la nature de ma force, de mon énergie, des moyens dont je dispose encore, pour établir et confirmer mon petit éden personnel.

Ce qui reste de ma vie.

Comment je vais la gouverner?

Certains vont se demander ce qui se passe dans mon petit neurone.

Je m'explique.

Je prends, par exemple, mon jardin, il me ressemble.

Il n'est ni trop grand, ni trop petit. Il réclame toute l'année, mon travail. Il me donne le spectacle d'un  agencement sans rigueur. Il est assez propre, légèrement sauvage par endroit pour les papillons et les abeilles et un peu… rustique.

J'y cultive des légumes, des fleurs et des arbres fruitiers. Que deviendrait mon jardin si mon esprit, et mes mains l'abandonnaient subitement? Les enfants ou les adolescents répondraient naturellement par un hymne à la liberté parfaite. Les écolos, diraient que le jardin, délivré de mon travail, s'épanouirait selon les lois de la nature, et donnerait bientôt le spectacle magnifique de la variété, de la fantaisie, de la profusion et de la franchise… Le paradis!

C'est très charmant tout cela et ces pensées me touchent le cœur, mais je connais bien mon jardin. Et mes raisonnements sont moins amusants. Si mon jardin se trouvait livré, subitement à lui-même, par exemple au printemps, il vivrait deux ou trois jours dans la dépendance.

Seulement!

Car, les petits semis, les plantes fraîchement repiquées, les végétaux qui demandent un arrosage quotidien, se dépêcheraient de sécher… et de dépérir.

C'est le commencement des "soucis".

Après une semaine, les fleurs délicates et fragiles qui demandent des soins, commenceraient à souffrir.

Les fruits qui ne seraient pas cueillis, tomberaient et pourriraient.

Les légumes monteraient en graines. L'herbe folle pousserait dans les allées, et les plates-bandes. La pelouse deviendrait un champ de graminées et d'orties.

Il ne faut pas croire que toutes les fleurs se développeraient avec tolérance.

Non!

Une lutte sauvage mettrait tous ces êtres en danger…

Quelques espèces robustes et obstinées vont prendre le pouvoir. Les sauvages aux racines vigoureuses, ont une vitalité redoutable. Elles vont vouloir la maîtrise du terrain. Le chardon et le liseron prendront le commandement de la mutinerie. Parmi les plantes précieuses et chères, les plantes opulentes, il y aura des conspiratrices, des intrigantes qui profiteront de la confusion pour s'élancer et se répandre. Certaines viendront à bout des fleurs les plus humbles et même des herbes plus folles…

Les premières gelées tueront les fleurs annuelles et les bulbes des tulipes. Après l'hiver on ne  verra plus arriver, le triomphe de la vie et la beauté du jardin laissé à la vie sauvage. En deux ou trois ans le jardin serait livré aux passions et aux combats de végétaux égoïstes qui s'empareront de l'air, de l'espace de la nourriture.

Il n'y aura pas de rébellion.

Les fleurs ne se révoltent pas…

Derrière le jardin, il y a la forêt. Lentement mais sûrement elle le fera disparaitre sous l'ombre des grands arbres…

Et il mourra!

Ne trouvez-vous pas que mon jardin, c'est comme la vie? Il faut savoir la gouverner, afin d'éviter que des énergumènes s'emparent égoïstement de nos biens et de nos sentiments.

Qu'ils nous remplacent par leurs alliés et peut-être qu'ils nous réduisent en esclavage!

Donc, je dois veiller, comme pour mon jardin, je dois me dominer, comme doit être ordonnée la nature. Je dois dominer les espèces brutales  afin d'éviter la servitude, résister aux puissances, protéger mes idées les plus belles comme mes fleurs les plus délicates. Donner une place à chacun, mais aussi limiter la place de qui que ce soit.

Aider les faibles et refouler les audacieux.

Remplacer des lois qui sont parfois, il me semble, des puissances absolues et cruelles.

En fait, j'aimerais, pour ma vie et aussi pour mon jardin, arriver à trouver un savant assortiment de règles, susceptibles d'établir et d'affirmer un équilibre, une stabilité.

Pour prendre des décisions, il faut certes de l'autorité, mais ce principe ne peut diriger entièrement ma vie, ni celle des autres. Je ne pourrais pas obtenir quoique ce soit en employant la violence ou la contrainte.

Comme mes plantes, je ne me plais pas partout, ni avec n'importe qui.

J'ai des exigences, c'est évident, mais aussi des espoirs secrets, des inclinaisons, des désirs, des lubies et des aversions. J'accepte le pouvoir, mais avec respect, considération et attention.

Je voudrais corriger le principe de l'autorité par celui de l'incitation ou de la persuasion.

J'aimerais vivre et être bien avec moi-même comme dans mon jardin. En recherchant, tous les jours qui me restent, la perception de la concordance avec mes actes,  la droiture de ma pensée et de la sérénité de mon esprit. Dans mon jardin comme dans ma vie sur terre, je voudrais trouver l'harmonie d'un paradis.

Mais voilà… Je suis comme les herbes folles, je ne crois pas qu'un jour, j'arriverai à cultiver  toutes ces belles idées…

Il y a une chose dont je suis persuadée, c'est que je ne me laisserai jamais, étouffer, car mon envie de vivre est forte. Si je deviens, inactive, calme, sage, tranquille, c'est que les portes du paradis imaginaire  se seront ouvertes et que je serai, après une énorme tourmente: "Arrachée".