La belle court

Fanny Chouette

Convulsion littéraire directement inspirée d'un cliché de François Sola, mettant en scène la station de métro qui fait battre le cœur de Lyon.

Essoufflée, assoiffée, emmitouflée dans ses idées. Haut, elle le fixera comme un règle une horloge.

La belle vient du sous-sol, où la nuit berce tout le jour, où le monde défile sans se méfier. Elle aime à s'y perdre ces instants suspendus à une attente sourde, mère d'un but à atteindre. Quand à côté d'elle, ils aspirent tous à la doubler pour rien et sans le dire, fantasme d'une victoire personnelle : faire de ce trajet la clé d'un charisme anecdotique, être le premier de tous les autres à voir le jour en haut des marches. Et ensuite ?

Garder secret le temps qui change d'une station à l'autre, partir en éclaireur et ne rien dévoiler. Que la pluie ou le soleil les grignottent jusqu'au dernier.

Et la belle court, s'emparant des secondes qui changent tout. Quand le métro s'éventre en un râle brut, elle se voit déjà là-haut, qu'importe la saison. Alors seulement, elle saisit l'horizon blindé, les pulsations cardiaques métronomes. Grandissante, la tension du temps qui presse. Il n'y a rien à gagner, c'est là tout l'enjeu pour ceux qui filent. La belle les regarde faire, un instant. Elle perçoit le choc des chairs qui s'excusent, des talons qui martèlent et des souffles qui dérangent. Autour, l'autre devient l'homme à abattre pendant que le métro flotte et ricane. Elle devine les regards qui hurlent et qui cherchent, agards, une impasse inventée pour se dérober à cette jungle imposée.

 

Soudain, la belle de se soustraire à la foule halentante, elle file tout droit. Elle court, sait quoi faire. Son corps automate la porte en trophée dans les bras des rues divines. L'escalier de métal que le sol aussitôt ravale la pousse au triomphe discret.

Elle ignore que le temps change déjà et reprend sa course, elle va vite. Puis lève les yeux et s'offre le temps. Chaque fois elle regarde alentour, enfant, et se demande pourquoi le sous-sol vrombissant se garde d'annoncer un tel décor. Haut, elle le fixe maintenant comme on règle une horloge. Le bronze aime jouer avec la lumière, mais l'étalon que monte ici le Roi Soleil n'en sait rien. Et la belle enfin, d'attendre la seconde idéale, presque inventée, pour décider que le temps s'arrête sur cette place irréelle : La Bellecour.

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Photographie :  "La belle court" de François Sola, dans la série "Gone Underground".
(François Sola, 2014 ©) 
http://www.gone-underground.fr/

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